Naïma Bel Allan, condamnée pour le meurtre de ses filles handicapées – .

Naïma Bel Allan, condamnée pour le meurtre de ses filles handicapées – .
Naïma Bel Allan, condamnée pour le meurtre de ses filles handicapées – .

“J’en ai marre de cette justice, tout est biaisé ! Cette enquête n’était que partiale !”
— Assez, Madame ! Savez-vous à qui vous parlez ?
— Oui ! À une présidente de tribunal qui essaie de diriger les choses à sa guise !
Ça chauffe, lundi 17 juin, aux assises du Lot-et-Garonne. L’accusée, Naïma Bel Allam, se déchaîne. Son avocat tente de la calmer, lui pose la main sur l’épaule, mais l’ambiance est électrique dans la salle d’audience. La présidente du tribunal, Nelly Emin, fusille du regard l’accusée, une petite femme trapue au visage rond qui tient des propos incendiaires. C’est simple, Naïma Bel Allam, 56 ans, a réponse à tout. Et quand elle n’a rien à répondre, elle crie, elle insulte, elle accuse ! A l’entendre, elle est innocente, absolument innocente. Bien sûr, elle a menti et elle continue de mentir, mais c’est uniquement parce qu’elle n’a pas « confiance dans la justice du pays » et qu’elle veut « protéger ses filles ». Ses filles, Inès et Nawal, sont justement l’objet de ce procès. Deux petites filles lourdement handicapées qui n’ont pas donné signe de vie depuis le 7 décembre 2016. Bien que leur mère jure qu’elles sont quelque part « en sécurité », tout indique, hélas, qu’elles ne sont plus de ce monde.

Inès et Nawal seraient au Maroc

Dès l’ouverture du procès, la présidente a rappelé les « fondamentaux » de l’affaire. Naïma Bel Allam, mise en examen pour meurtre, a affirmé dès le début qu’Inès et Nawal se trouvaient au Maroc, hébergées chez des personnes dont elle a refusé de donner les noms.
— Vous maintenez que vos filles sont vivantes ? demande le magistrat.
Se tenant droit comme un I, Bel Allam répond d’une voix forte :
— Oui, ils sont vivants !
— Très bien, vous avez alors jusqu’à la fin de cette audience, jeudi midi, pour nous fournir des preuves…
Ce à quoi l’intéressé rétorque, en colère :
— Je ne fais pas confiance à l’institution !
Le ton est donné.
Nelly Emin ordonne à l’accusé de se rasseoir et appelle à la barre l’enquêteur de personnalité, qui dresse un large portrait de l’accusée. Naïma Bel Allam, née au Maroc en 1967, est arrivée en France à 5 ans. Un parcours scolaire sans heurts, un diplôme de comptabilité, un concours d’entrée réussi dans une banque marocaine. A 25 ans, la jeune immigrée part s’installer à nouveau dans son pays natal. Elle y tombe amoureuse d’un de ses cousins, Abdellatif, qu’elle épouse. De retour en France accompagnée de son compagnon en 1998, elle donne naissance six ans plus tard à Inès, puis à Nawal l’année suivante. Les deux enfants, on l’a dit, sont lourdement handicapés. Incapables de bouger ou de parler, ils doivent être assistés en permanence. C’en est trop pour le mari, Abdellatif, qui quitte Naïma peu après la naissance de la petite dernière. La jeune femme se retrouve seule à porter sur ses épaules l’énorme poids de cette situation dramatique.

Elle s’occupe d’eux le week-end et pendant les vacances.

Elle obtient par chance une place en crèche à l’ISEP, un établissement médicalisé de Tonneins, non loin de Marmande. Un taxi vient chercher les petites le matin et les ramène le soir. Leur mère les garde le week-end et pendant les vacances scolaires… Les années passent. Bel Allam se remarie, toujours avec une cousine, mais une fois encore cette union ne dure pas longtemps. Son compagnon la quitte début décembre 2016. Dans ce contexte morose, la perspective de s’occuper seule de ses filles pendant les vacances de Noël est sans doute trop pour Naïma… Le 7 décembre, au lendemain des 12 ans d’Inès, les deux petites sont vues une dernière fois à l’ISEP. Après, plus rien.
Après ce résumé biographique, le président appelle à la barre Abdellatif, le premier mari de Naïma et père des enfants disparus. L’homme semble à cran, tendu. Plus que quiconque, il attend depuis huit ans de savoir ce qu’il est advenu de ses filles… En revenant sur sa vie de couple avec l’accusée, il décrit une mère peu soucieuse du bien-être de ses petites filles.
— Quand elle rentrait à la maison, elle passait dix minutes avec eux, pas plus, puis elle allait s’asseoir devant son ordinateur… Quand elle est tombée enceinte de Nawal, la deuxième, je n’ai pas voulu prendre de risques. Je lui ai demandé d’avorter, mais elle a refusé. L’ambiance à la maison était difficile. Un soir de l’été 2005, on s’est disputés à propos d’Inès, parce qu’elle ne lui avait rien donné à manger. Elle m’a dit : « Si tu n’es pas contente, va te faire foutre ! » Alors je suis partie.

Naïma éloigne le père des enfants

Par la suite, Naïma a tenu Abdellatif éloigné des enfants. À partir de 2013, il ne les a quasiment plus vus. Au procès, avant de regagner son siège, l’homme s’est tourné vers son ex-femme et lui a crié :
– Je veux connaître la vérité!
Elle soutient son regard sans cligner des yeux, apparemment indifférente à sa détresse. Puis le directeur adjoint de l’ISEP de Tonneins, où Inès et Nawal passaient le plus clair de leur temps, apparaît à la barre. C’est cette personne, la première, qui a signalé la disparition des deux fillettes. Et si la chose a pris du temps, c’est que Naïma Bel Allam l’a « menée en bateau » pendant des semaines.
— Elle m’a d’abord dit que les petites étaient malades. Puis qu’elles étaient parties se reposer à Toulouse, dans sa famille. Puis elle m’a dit qu’elles étaient au Maroc et qu’elles avaient raté le bateau pour rentrer… A chaque fois, elle m’a promis que les filles reviendraient au centre. J’ai fini par lui poser un ultimatum, et comme Inès et Nawal n’étaient toujours pas là le jour dit, j’ai donné l’alerte. C’était en mars 2017.
Le rapport finit par arriver sur le bureau de la Section de recherches de Bordeaux, alors dirigée par Laëtitia Evon. Celle-ci dépose à son tour, vêtue d’un pantalon bleu et d’une chemise blanche, la tenue « civile » des gendarmes.
— Le 6 juin 2017, explique-t-elle, les gendarmes locaux se sont présentés au domicile de Mme Bel Allam. Elle n’a pas voulu ouvrir la porte sous prétexte que le ménage n’avait pas été fait… Ils sont revenus dans l’après-midi et ont pu constater que les filles n’étaient pas à la maison. Mme Bel Allam a déclaré les avoir confiées à une voisine nommée Malika, à Meknès, au Maroc. Nous avons contacté cette femme : elle n’avait pas vu les enfants depuis l’été 2016.

Une grande « tache brunâtre » sur le sol

Naïma Bel Allam est placée sous surveillance. Lors de la perquisition de son domicile, sur le sol de la chambre des filles, la Section de recherches découvre une large « tache brunâtre ». Les analyses montreront qu’il s’agit du sang d’Inès…
— Il y avait une odeur nauséabonde dans la pièce, l’odeur de la mort, explique Laëtitia Evon. Il y avait de nombreux flacons de produits ménagers. Dans l’ordinateur et le téléphone du suspect, on a trouvé de nombreuses recherches de destinations à l’étranger, un devis pour un déménagement au Maroc… Tout cela démontrait une envie de partir.
Autre détail marquant : les comptes en banque de Naïma Bel Allam montrent une forte baisse des dépenses alimentaires à partir de décembre 2016. Comme si, du jour au lendemain, la mère de famille avait deux bouches de moins à nourrir… Acculée par tous ces éléments, la quinquagénaire a fini par changer sa version des faits. Elle a confié aux policiers avoir fait « une grosse bêtise » et s’est lancée dans un récit ahurissant…
— Elle a affirmé qu’en mars 2017, alors qu’elle voyageait au Maroc avec les filles, elle a rencontré une certaine Malika dans une aire d’autoroute en Espagne, entre Madrid et Malaga. Les deux femmes se sont bien entendues et ont bu quelques bières. Les filles ont ensuite dormi dans le camping-car de Malika. Naïma a passé la nuit dans sa voiture. Et quand elle s’est réveillée, le camping-car avait disparu !
Au cours des interrogatoires qui suivent, ce prétendu enlèvement disparaît du récit au profit d’une autre version encore : Naïma aurait « confié » ses filles à Malika, qui les aurait emmenées au Maroc, pays où elles vivraient désormais heureuses.

Pour la énième fois, où sont les enfants ?

Lorsque le président lui demande pour la énième fois où sont ses enfants, Naïma Bel Allam répond :
— Je ne te le dirai jamais !
Un autre échange houleux s’en est suivi.
— Madame, dit le juge, vous avez donné plusieurs versions différentes à la police, à l’ISEP, à votre famille… Pourquoi ?
— Madame, répondit l’accusé, si j’ai menti, c’est parce que des personnes en qui j’ai confiance m’ont aidé et je veux éviter qu’elles aient des ennuis avec la justice !
Quand Nelly Emin évoque la tache de sang dans la chambre des filles – si grande qu’elle avait trempé le sol – Ben Allam perd son sang-froid :
— Concentre-toi sur cette tâche ! J’en ai marre de cette justice, tout est un fardeau !
Refusant d’admettre ce que tout le monde a compris depuis longtemps, Ben Allam persiste à nier l’évidence.
— C’est atroce, de prétendre que je les ai tuées ! Je ne ferai jamais de mal à mes filles ! Dès que je serai libérée, j’irai les rejoindre. Aujourd’hui, Inès se déplace en fauteuil roulant, toute seule. Elles sont radieuses… J’ai hâte de tout mon cœur de les prendre dans mes bras !
La quinquagénaire fond alors en larmes, enfouie jusqu’au cou dans le marais de ses mensonges. Rien ne l’en arrachera, pas même le témoignage poignant de sa propre mère, qui, à 82 ans, vient la supplier devant le tribunal de dire enfin la vérité. Naïma, toujours aussi têtue, rétorque :
— Un jour, tu viendras avec moi voir tes petites-filles…
Ce jour-là, hélas, n’arrivera jamais. Du moins, pas dans cette vie. Au terme de son procès – et de sa sinistre comédie –, Naïma Bel Allam a été condamnée à quatorze ans de prison pour double meurtre. Au moment où nous mettions sous presse, nous ignorions si elle avait fait appel.

Compte rendu d’audience de Vincent Sénécal.

 
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