Flottant à près de 400 kilomètres d’altitude au-dessus de la Terre, la Station spatiale internationale (ISS) est un laboratoire de recherche scientifique où, depuis son lancement en 1998, plus de 3700 expériences ont été menées par des astronautes de 23 pays différents. Au-delà d’être une prouesse technique, l’ISS est aussi un levier diplomatique unique. Selon le Traité spatial de 1967, les astronautes sont en effet considérés «envoyé de l’humanité» mettant de côté les questions politiques terrestres au profit de l’intérêt commun. Cependant, la détérioration et la perspective d’un remplacement de l’ISS mettent au premier plan des considérations géopolitiques. En janvier 2022, l’agence spatiale américaine NASA a officialisé retrait de l’ISS en 2030 car malgré sa résistance au temps, la structure commence à présenter quelques fuites. À mesure que ses coûts de maintenance augmentent, la NASA souhaiterait réaffecter ces fonds à l’exploration spatiale au-delà de l’orbite terrestre. Mais le remplaçant de l’ISS n’est pas encore choisi, et ce retrait interroge non seulement sur l’avenir de la présence occidentale dans l’espace, mais aussi sur les enjeux diplomatiques liés à ce laboratoire de microgravité.
L’ISS est le produit d’un opération conjointe entre les agences spatiales américaine (NASA), canadienne (CSA), européenne (ESA), japonaise (JAXA) et russe (Roscosmos). Ainsi, la station constitue également un outil diplomatique crucial pour ces pays, notamment dans des contextes de tensions internationales. En 2014, l’annexion de la Crimée par la Russie a provoqué une vague de sanctions économiques et commerciales par les pays occidentaux. La question du maintien de la coopération au sein de l’ISS se pose alors, puisque la NASA annonce couper les liens avec Roscosmos. Mais de telles mesures sont définitivesement exclu concernant l’ISS, en raison d’une forte interdépendance entre les cinq partenaires qui doivent résister aux crises géopolitiques terrestres. En effet, c’est la Russie qui fournit le seul moyen d’atteindre la station via la fusée et la capsule Soyouz, nécessitant donc une coopération pour que les missions se poursuivent sans entrave.
Mais ces dernières années, certaines évolutions technologiques et géopolitiques rebattent les cartes sur la question de l’ISS. En 2020, la société privée SpaceX ouvrait un nouveau chapitre de l’ISS en proposant un accès alternatif directement depuis le sol américain via ses capsules Dragon. L’année suivante, la Chine achève sa station spatiale Tiangongajouter une deuxième présence humaine dans l’espace et devenir une nouvelle puissance spatiale face aux États-Unis. Enfin, l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 a ravivé le malaise autour de cette collaboration, qui trouve sa réponse dans la fin de l’ISS initialement prévue pour 2024. En effet, la Russie a annoncé en 2022 qu’elle mettra fin à son partenariat et commencera le développement de sa propre station spatialedans son ambition d’affirmer son pouvoir de manière indépendante. Cependant, l’extension de l’ISS jusqu’en 2030 et les contraintes d’interdépendance ont poussé Roscosmos à maintenir sa participation jusqu’en 2028ce qui facilite la planification conjointe de la retraite.
La fin de la contribution de Roscosmos à l’ISS conclut une collaboration russo-américaine de plus de 30 ans, débutée avec la première course spatiale entre les États-Unis et l’Union soviétique (URSS) pendant la guerre froide. Dans un contexte de détente entre les deux blocs, la rivalité avait cédé la place à un terrain d’entente, après avoir réalisé que la jonction des connaissances et des technologies pouvait multiplier les capacités d’exploration spatiale. Le projet Apollo-Soyouz a inauguré en juillet 1975 la coopération internationale en matière de vols habités d’astronautes et de cosmonautes en amarrant ensemble en orbite les capsules respectives des deux puissances. La chute de l’Union soviétique en 1991 a accéléré le processus, la coopération spatiale devenant l’un des premiers domaines de partenariat entre la Russie et les États-Unis, dans le cadre de la construction d’un nouvel ordre mondial. Ainsi, en 1993, le président américain Bill Clinton invite Roscosmos de rejoindre le projet ISS avec des partenaires européens, canadiens et japonais. Mais aujourd’hui, la coopération directe entre plusieurs agences spatiales nationales ne semble plus à l’ordre du jour pour remplacer l’ISS.
Face à l’émergence de stations spatiales nationales issues d’États rivaux, la NASA souhaite réaffirmer sa position de puissance spatiale internationale. Pour l’instant, l’absence d’un remplaçant américain place les États-Unis dans une situation fragile, le pays risquant de se retrouver temporairement sans accès à une base orbitale.. Cependant, une nouvelle stratégie a été établie : la prochaine station spatiale sera commerciale. En effet, les États-Unis dépendent désormais des entreprises privées. Y compris SpaceX, responsable de retirer l’ISS de son orbitetandis que le Programme lunaire Artémis repose sur les performances de groupes comme la société d’Elon Musk, Blue Origin de Jeff Bezos et Boeing. La NASA a signé en 2021 des contrats avec trois entreprises aérospatiales privées, leur accordant un budget de 415,6 millions de dollars (USD) pour développer la future structure orbitale, mais pour l’instant aucun projet ne semble s’être imposé comme un choix définitif. La présence de stations nationales face à une délégation commerciale entraînera certainement une évolution de la diplomatie spatiale vers un réseau plus complexe d’intérêts privés et nationaux confrontés au principe d’utilisation de l’espace pour le bien de l’humanité.
L’approche du retrait de l’ISS laisse place à des questions légitimes sur l’utilisation future de l’espace et la répartition de la puissance en orbite. Les États-Unis souhaitent réaffirmer leur statut dans un contexte géopolitique où la Chine et la Russie deviennent concurrentes dans une nouvelle course spatiale. Leurs ambitions s’étendent au-delà de l’orbite terrestre, vers la Lune et Mars, pour devenir pionniers de l’exploration spatiale. Voulant y arriver les premiers, les États-Unis mobilisent un volume considérable de ressources pour les missions Artémis et Exploration de Mars. En effet, la NASA a donné 3,4 milliards de dollars (USD) à Blue Origin pour développer son module lunaire, alors qu’elle l’a seulement accordé 130 millions de dollars (USD) développer sa station spatiale Récif orbital. Cette priorisation politique présente le risque d’une absence humaine occidentale de l’orbite terrestre d’ici 2030, la laissant occupée uniquement par des adversaires chinois et russes, entraînant une asymétrie de pouvoir. Un scénario idéal pour les ambitions occidentales serait ainsi de disposer d’ici 2035 d’une orbite terrestre accueillant des stations chinoises et russes, une première station indienne, et une station commerciale multifonction exploitée par les Etats-Unis pour conserver une capacité d’innovation face à ses concurrents. .
L’ère post-ISS présente actuellement plus de questions que de réponses. La rivalité croissante entre les États-Unis et le bloc sino-russe donne naissance à une nouvelle course à l’espace, où les stations orbitales terrestres deviennent des piliers des rapports de force. L’Occident construira-t-il un remplaçant à temps ?
Edité par Camille Tavitian
Image en vedette : «La capsule Dragon de SpaceX peut transporter des astronautes vers l’ISS», «SpaceX Dragon 16” de Astro_Alex (ESA) sous licence CC BY-SA 2.0.