Hier, et encore aujourd’hui, sur la place de la parole publique progressiste

Hier, et encore aujourd’hui, sur la place de la parole publique progressiste
Hier, et encore aujourd’hui, sur la place de la parole publique progressiste

Chère Emilie, cher Gabriel, j’espère que vous me permettrez de m’adresser directement à vous dans la foulée de la tribune publiée par Emilie Nicolas le 21 novembre, sous le titre « Hier encore ». Nous ne nous connaissons pas. Mais étant un lecteur assidu de Devoir et un des premiers partisans de Québec solidaire, j’ai l’impression, comme beaucoup de Québécois, de vous connaître un peu. J’ai un immense respect pour vos talents respectifs et j’admire votre détermination à soutenir et promouvoir quotidiennement un discours public progressiste dans les domaines de votre choix.

Sachez que j’ai été profondément déçu, triste, de voir, une fois de plus, cet élan de haine suite aux propos maladroits d’Haroun Bouazzi, voire la nécessité de Devoir de fermer la section commentaires de ta chronique, Emilie, afin d’éviter les excès. Seul point positif : la motivation (lire ici, le courage) que cette situation m’a insufflée pour rédiger cette lettre d’avis, que j’espère à la hauteur. En guise d’introduction au sujet que je m’apprête à aborder, permettez-moi de vous raconter un peu mon « hier ».

Je me souviens de quelques remarques déplacées de mon père sur divers sujets. À l’époque, ils me paraissaient inoffensifs et plébiscités par son entourage. Dans le contexte actuel, ils seraient qualifiés de racistes et misogynes. Maintenant, je suis le fruit de cette époque. Heureusement, j’ai choisi un métier, acrobate, qui m’a permis de remettre en question et de tester certaines des valeurs qui m’ont construit et j’ai pu corriger certains préjugés hérités de mon enfance. Et en 2016, Emilie, j’étais prête depuis longtemps à soutenir une commission sur le racisme systémique et, qui plus est, sur le sexisme systémique.

Étant un peu sarcastique, j’aime parfois présenter mon défunt père (avec une pointe d’ironie et pour le simple plaisir de profiter des réactions parfois indignées de mes interlocuteurs) comme un homme raciste et misogyne. Pour beaucoup de gens, ces deux mots, surtout lorsqu’ils sont lancés sans nuance quant à leur degré d’intensité, ont une connotation lourde. C’est, je crois, une des raisons pour lesquelles il semble si difficile de les faire accepter dans l’espace public, même lorsqu’on les accompagne du qualificatif de « systémiques ».

J’ai le sentiment que beaucoup de gens (y compris parfois les plus érudits) ont le réflexe de penser, en entendant ce terme, que la majorité des individus à la tête de ce système sont accusés d’être racistes, alors qu’ils ne le sont pas. n’est rien.

La déclaration de M. Bouazzi sur la « construction de l’Autre » et les fusillades collectives qui ont suivi renforcent, à mon avis, cette hypothèse. Gabriel, je ne vous cacherai pas que j’ai été profondément déçu par l’intervention du député de Maurice-Richard, non pas parce que je réfute le contenu de ses propos (maladroits et exagérés, nous en convenons), mais parce qu’il les a livrés de manière provocatrice ton et sachant pertinemment qu’ils allaient se diviser.

Dans les jours qui ont suivi, j’ai senti mon ardeur solidaire faiblir. Elle hésite encore. Ce n’est pas ce que j’attends d’un parti politique qui se dit progressiste et avant-gardiste. J’ai souvent entendu mon père, un homme aux nombreux proverbes, citer le roi Philippe II de Macédoine : « Diviser pour régner ». S’il en est un qui reflète parfaitement le climat politique mondial actuel, c’est bien celui-là, et il faut à tout prix s’élever et s’éloigner de cette conception rétrograde de la démocratie.

Revenant sur cet épisode qui, comme bien d’autres, deviendra vite anecdotique dans le paysage politique, j’aimais imaginer M. Bouazzi formuler son intervention en invitant humblement ses collègues de l’hémicycle, la voix tremblante, à prêter attention à comment, parfois, nous construisons l’Autre, et rappelons à chacun comme à soi-même l’importance, la force et le poids des mots. C’est lui qui, à mon avis, a été le premier à rater cette « opportunité de faire rayonner le Québec au sein de l’Amérique par sa différence ». Par ailleurs, cette posture clivante de la frange la plus à gauche de nos voisins du Sud n’est sans doute pas étrangère à cette occasion manquée d’élire une femme à la tête de la première puissance mondiale, Kamala Harris, et de barrer la route à Donald Trump, ce être insensible qui a visiblement manqué d’amour au cours de sa vie.

Malheureusement, l’écosystème politico-médiatique québécois n’était pas plus « assuré », une fois de plus, pour tempérer les ardeurs de l’avenir.

Certains diront qu’il est difficile de contenir ses émotions face à des sentiments d’agressivité répétés. En réfléchissant à ces lignes que j’allais écrire, je me suis souvenu de ma récente lecture de la pièce documentaire Projet Polytechniquede Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond. Les acteurs reviennent sur le premier discours, ô combien altruiste, de l’imam Hassan Guillet suite à l’horrible attentat terroriste à la Grande Mosquée de Québec en 2017, dans lequel il évoque les « sept » victimes du drame. Six fidèles et… « un autre ». En incluant l’homme responsable de l’attaque, il a fait preuve d’une empathie sans précédent pour « l’Autre ». Il a reconnu les préjugés qui avaient construit le parcours de vie de l’agresseur face à ce geste impensable.

La pièce culmine, en conclusion, sur la nécessité de créer des ponts entre les pensées extrêmes et rappelle l’importance de garder, à tout prix, la discussion ouverte si l’on veut espérer un jour dépasser nos préjugés collectifs les plus sombres, qui puisent leurs sources dans chaque de nos histoires individuelles.

Hier, et aujourd’hui encore, je travaille au sein de plusieurs collectifs. J’ai appris, au fil du temps, à présenter les choses de manière à éviter, autant que possible, les provocations inutiles. J’ai compris qu’ils constituent, la plupart du temps, des obstacles à l’obtention d’un consensus et d’une réussite collective. Je rêve du jour où nos hommes politiques assumeront leur rôle au sein de l’Assemblée nationale comme partie d’un tout, car convaincus que c’est la meilleure option pour survivre, pour promouvoir les valeurs sociales qui leur tiennent à cœur et servir le peuple. Bien.

En tant que fier descendant de mon père, je voudrais vous laisser avec cette devise intemporelle (merci papa) : « Il y a la force dans le nombre » ! Rassemblons-nous pour célébrer la force de nos différences.

Oh !… Et moi aussi, j’adorerais un rhum, peu importe la marque, avec vous deux !

A voir en vidéo

 
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