Les prix des moutons en Algérie atteignent des niveaux sans précédent. Si l’irrégularité des pluies est en grande partie responsable du manque de fourrage, les éleveurs pointent du doigt les minoteries. Ceux-ci spéculeraient sur la vente du son de blé.
Lors des marchés aux bestiaux hebdomadaires, de nombreux témoignages d’éleveurs expriment leurs inquiétudes quant au coût de l’orge et du son nécessaires à l’alimentation de leurs moutons, dont le prix peut atteindre 140 000 DA. Un ordre de grandeur, le Smic est actuellement de 20 000 DA.
Déjà, à l’été 2023, les éleveurs confiaient leur difficulté à la chaîne web Tiaret New. Un éleveur a appelé les autorités à « frapper d’une main de fer, sinon le bétail est menacé d’extinction ».
Cet éleveur a laissé transparaître son désarroi : « Comment se fait-il que nous n’ayons droit qu’à un seul quota d’orge par an, alors qu’au niveau du garage [ceux des marchands privés] c’est 7 000 DA le quintal ? »
L’éleveur a poursuivi : « J’ai 34 ans d’expérience et tous mes revenus proviennent de l’élevage pour nourrir mes 7 enfants. On n’y arrive plus, il faut que l’État fasse quelque chose. J’élève des moutons toute l’année et mes enfants m’aident et sont privés de tout, de télévision et même de limonade fraîche. Avoir un réfrigérateur, ce n’est pas possible quand on est nomade ».
Un autre éleveur a témoigné : « Les problèmes viennent des moulins à farine et du quai [la CCLS qui affecte les quotas d’orge]. C’est à l’Etat de procéder aux contrôles ».
Le recensement du cheptel ovin réalisé en 2023 a permis de détecter une partie des fausses déclarations et l’attribution d’orge à ces faux éleveurs. Reste le bruit des moulins à farine.
Un approvisionnement en fourrage insuffisant
Traditionnellement, la steppe abrite des troupeaux de moutons, mais la sécheresse et le surpâturage ont miné ces réserves fourragères.
La valeur de ces pâturages peut atteindre 300 unités fourragères (UF) par hectare, soit l’équivalent de 300 kg d’orge. Une offre de fourrage gratuite qui attire les convoitises bien que la moyenne soit de 150 UF, mais ces dernières années, elle est tombée à 60 UF selon les services agricoles de Naama.
Les éleveurs disposant de moyens de transport profitent actuellement des pâturages de steppe qui ont reverdi après les pluies, comme c’est le cas dans la wilaya de Béchar.
Ceux qui en ont les moyens nourrissent leurs animaux avec du fourrage cultivé dans des conditions irriguées. Pour d’autres, la pénurie actuelle de fourrage signifie que la seule solution consiste à utiliser davantage de son d’orge et de blé.
De nombreux éleveurs se plaignent des prix pratiqués par les minoteries. Bien que le prix du son soit plafonné à 1.800 DA le quintal, certaines minoteries le vendent au tarif de 4.700 DA alors que sur les factures émises le prix indiqué est de 1.800 DA.
A la demande des propriétaires de moulins, l’ancien prix de vente réglementé précédemment fixé à 1.500 DA le quintal a été réévalué. Il est passé à 1.800 DA en 2022. Mais rien ne se passe, les minoteries persistent à pratiquer des prix excessifs selon les témoignages des éleveurs.
Les minoteries ne sont pas obligées de vendre la totalité du son qu’elles produisent à un prix réglementé, mais seulement une partie.
En juin 2022, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a annoncé que : « Les unités spécialisées dans la mouture du blé tendre et du blé dur devront, dès la saison prochaine, redistribuer 60 % des quantités de son issues des opérations de transformation aux éleveurs. ».
A cette occasion, le ministre de l’Agriculture a déclaré devant l’Assemblée populaire nationale (APN) qu’il souhaitait que tout le son produit par les minoteries soit vendu au prix réglementé de 1.800 DA.
Les minoteries, des activités rentables
En avril 2024, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Youcef Cherfa précisait lors d’une intervention devant l’APN qu’une quantité totale de blé « estimé à 29 millions de quintaux en 2023 » avaient été distribués aux minoteries.
Avec un taux d’extraction de farine de 75% par quintal, les 25% restants constituent des produits de meunerie dont le son de blé.
En 2023, ces produits meuniers s’élèvent donc en moyenne à 7,25 millions de quintaux. La vente de 60% de ceux-ci au prix spéculatif moyen de 4.500 DA représente un gain de près de 20 milliards DA contre seulement moins de 8 milliards DA au prix réglementé de 1.800 DA.
Avec un différentiel de 12 milliards DA entre les deux sommes, ce montant correspond donc à l’équivalent de 600 000 SMIC perçus illégalement par les minoteries.
Le manque de fourrage naturel et le prix élevé des aliments pour bétail ont conduit les éleveurs à vendre une partie de leurs animaux. Une situation qui a entraîné l’abattage de moutons.
Ceci expliquerait la pénurie actuelle de petits agneaux de quelques jours et leur prix qui atteint 35 000 DA au moment où les éleveurs spécialisés dans l’engraissement pour le mois de Ramadan recherchent des animaux.
Le 12 novembre, au marché aux bestiaux de Bougtob (El Bayadh), un éleveur a affirmé avoir reçu une offre de 25 000 DA pour vendre un agneau de trois jours et qu’il demandait 35 000 DA pour le vendre. Un prix qui a choqué les Algériens.
En mai 2023, le ministre de l’Agriculture avait dû rappeler que l’abattage des moutons était interdit. ” Nous présenterons dès que possible un projet de loi criminalisant l’abattage de bétail femelle comme les moutons et les vaches. » a-t-il déclaré.
Au tarif de 2.800 DA le kilo, le consommateur n’est pas sûr de trouver de la viande ovine à un prix abordable à moins de se tourner vers la viande ovine de Roumanie au prix de 1.900 DA.
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