Vous nous parlez en un mot…
Le mot burlesque, qui évoque la comédie, nos vieux films muets, que l’écrivain Kamel Daoud a choisi d’associer à un autre mot, tragique, pour exprimer la peur et l’oppression dans le pays, l’Algérie, dont il est issu…
Et la scène qu’il décrit dans un texte du Figaro est sans doute burlesque.
« Mon ami fait des grimaces, agite les mains, prend un cahier puis griffonne. J’attends, tout aussi silencieux. Je fais alors des signes avec mes mains pour qu’il éloigne le drap qu’il brandit : la lumière est trop forte, je ne sais pas lire… » Et c’est ainsi que Daoud communique désormais avec ses amis algériens, en écrivant sur du papier que l’on filme sur quoi. app, car on n’ose plus parler, de peur que la conversation ne soit entendue par le « régime », qui aurait acheté de nouveaux équipements d’écoute…
Daoud nous le raconte, au lendemain du jour où nous avons appris que Boualem Sansal avait été arrêté samedi dernier à l’aéroport d’Alger… Il dit « apparemment », Daoud, et s’accroche à ça, il dit « mon ami Sansal », dans Le Figaro et aussi sur le Point. site internet qui est sa maison en France…
Le Prix Goncourt 2024 aura donc consacré hier deux textes, à Sansal, dans deux grands journaux que nous classerons à droite, cela n’est pas indifférent dans nos paysages mentaux…
Et en lisant la presse et les sites ce matin, vous verrez à quel point l’inquiétude et le souci de liberté de Boualem Sansal impactent les enjeux politiques…
Sansal fait la Une et deux pages du Figaro, mais Libération s’est contenté d’un petit article sur son site, le site du Point lui consacre plusieurs articles, mais Le Nouvel Obs n’a rien publié hier soir – étrangeté du sort quand Boualem Sansal en a écrit quatre il y a quelques années à sa mort un si bel hommage au fondateur du journal, Jean Daniel, venu comme lui de la langue française en Algérie…
Dans Le Figaro, sur le site du Point, également sur le site du Monde, qui autrefois joliment baptisait Sansal « le sourire dissident », on lit son parcours… C’était un scientifique, un serviteur de l’État algérien, directeur général de l’industrie et des restructurations. jusqu’en 2003, mais il est devenu celui qui prend sa société à contre-courant, méprisant le régime et ses compromissions avec l’islamisme, brisant un tabou en se rendant en Israël, et ayant affirmé cet automne que la France coloniale s’était retirée Tlemcen, Oran et Mascara du Maroc pour les ajouter à l’Algérie… Est-ce pour cela que les autorités s’en prennent à lui ?
C’est sur le site Frontières-Livre noir, « média d’extrême droite », rappelle Le Figaro, que Sansal a livré son message géopolitique… Car l’écrivain, qui pense et proclame que la France est menacée par l’islamisme comme l’était l’Algérie, est autant un figure de la liberté comme référence, convient-il, de la droite la plus dure… Cela explique-t-il le moindre engagement de la gauche à s’alarmer de son sort ? Ce serait aussi, je crois, un problème entre la France et l’Algérie.
J’ai lu sur le site du Point qu’un avocat algérien prétend que le président Macron est intervenu pour que Houris, le roman de Kamel Daoud, soit prêt à temps pour remporter le Goncourt… Cet avocat défend une jeune femme, on vous en a parlé, survivante de l’attentat islamiste. terreur, égorgé enfant, qui accuse Daoud d’avoir volé son histoire pour son livre – la femme de l’écrivain ayant été sa psy…
Tout se mélange alors autour de Sansal, que Daoud décrit ainsi, « un vieux prophète biblique souriant, détesté des soumis et des jaloux et dont le nom signifie porte-drapeau… » Ils sont détestés par les mêmes gens, dit-il…
De Sansal, Daoud ne diffère que par cela. Le vieux prophète, contrairement à lui, est retourné dans son pays natal, « il a refusé de ne pas pouvoir y retourner » dit Daoud, qui lui proclame que l’exil, c’est quand on ne revient pas… Il dit à Daoud qu’il ne comprend pas l’imprudence de son ami Sansal, je ne sais pas s’il le désapprouve ou s’il l’envie, il dit que ce n’est pas « le temps des reproches », mais penser qu’un jour, il se disputera avec Sansal, c’est un pari sur la vie.
Vous nous parlez d’une autre urgence…
Ce qui nous surprend en première page de La Croix, « Il faut parler », dit le journal, et qui demain sera mis en pratique par plus de 6000 personnes dans le pays, qui à l’appel du journal catholique et du média en ligne Brut, parleront chacun avec un inconnu sélectionné par une intelligence artificielle selon ce critère : les interlocuteurs a priori ne seront pas d’accord, n’auront pas les mêmes idées… Ils parleront de la police municipale, devraient-ils être armés, vitesse par voiture, devrions-nous le limiter pour le climatique, de la semaine de quatre jours et se demandera – on leur a demandé lors de leur inscription, si on peut s’aimer tout en ayant des idées politiques opposées…
Tout cela veut abattre nos murs, notre ignorance de nous-mêmes quand on ignore l’autre… Dans La Croix, où les lecteurs expriment leur impatience de débattre, je lis Marie Thérèse, retraitée de 75 ans, fille de Polonais, engagée dans qui un jour, en faisant du vélo, a croisé un groupe « anti-vax » dans un village du sud de la France et s’en est rendu compte. « Mes parents sont réfugiés, j’ai parcouru le monde et, bon sang, je ne connais pas la population française. pas ! »
En 2006, Boualem Sansal, dans un texte que Le Figaro publie toujours, le disait. « Au fond, nous n’avons jamais eu l’occasion de nous parler, je veux dire entre nous, les Algériens, librement, sérieusement, méthodiquement, sans a priori, face à face, autour d’une table, avec un verre, nous ne nous parlions pas. Nous avions tant de choses à nous dire sur notre pays, son histoire falsifiée, son présent effondré, ravagé, ses lendemains hypothéqués… C’est bien triste. » Je veux penser que nous sommes heureux.
Dans Libération, qui aime l’Humanité mais sur un ton plus modéré, le « Recherché » dit Libé, le « criminel de guerre » dit l’Humanité, consacre sa Une à Benyamin Netanyahou que réclame la Cour pénale internationale, je découvre un curieux personnage, un entrepreneur israélo-américain du nom de Motti Kahana, à qui serait confié l’aide humanitaire à Gaza qu’Israël voudrait privatiser, qui tient, dit-il, à alimenter l’enclave palestinienne avec des convois menés par des hommes « en t-shirt, pas en treillis », et qui souhaitent donc que la vie reprenne dans des espaces protégés… Est-ce inquiétant de voir cette bonne volonté affirmée par un millionnaire qui dit avoir voté pour Kamala Harris, étant une composante d’une domination durable…
Nous parlons enfin d’amour…
L’amour et la gloire, le succès, qui unissait deux êtres qui voulaient sans doute périr ensemble, au printemps, pensant avoir tout perdu, mais elle a survécu…
Aude de Thuin, « grande prêtresse », écrit Le Monde, « des salons d’affaires », fondatrice de Forum des femmes de Deauville où les puissants refaisaient le monde, qui incarnait un féminisme conquérant et montait encore en mai un spectacle sur la sous-représentation des femmes dans l’intelligence artificielle, et qui se dit aujourd’hui ruinée, sans abri, et prolonge son existence sans elle homme son partenaire Hubert Zieseniss… Et c’est – sous la plume de Jérome Lefillatre et Ariane Chemin, une plongée dans les fragilités insoupçonnées du pouvoir, ceux qui semblent qui dirigent notre monde sont peut-être, parfois, fragiles, des lucioles.
Dans Nice-matin vous raconterez le calvaire des oiseaux maltraités entassés chez elle par une septuagénaire qui croyait avoir le droit de les posséder.
Dans Sud-Ouest vous lirez un drame social en Dordogne, la fermeture annoncée de l’usine Rougié qui laisse derrière elle 73 personnes à Sarlat… Cette usine fabrique du foie gras depuis un demi-siècle, car foie gras et Périgord travaillent ensemble, mais ce luxe bon enfant, à l’heure des vaccins redoutés et de la souffrance animale rejetée, fonctionne moins bien qu’avant…