Il règne au festival Planches Contact une ambiance qui invite à la joie. Là, on s’embrasse, on parle avec le cœur, on célèbre joyeusement la photographie, on donne, on reçoit, surtout on est reçu avec beaucoup de générosité, et cela nous fait du bien. Cette ambiance est sans doute l’œuvre de deux personnes : Philippe Augier, ancien maire de Deauville et ancien directeur de l’Agence française de vente de pur-sang, initiateur du festival il y a 15 ans et donc aussi passionné de chevaux, homme aux paroles sincères ; et Laura Serani, directrice artistique depuis 6 éditions, toujours au mot ou au sourire agréable, commissaire d’expositions ou directrice de projets en France depuis le début des années 80, et qui semble avoir trouvé à Deauville un festival qui lui convient parfaitement.
Chez Planches Contact, c’est aussi cette année un magnifique hommage au photographe de mode Dominique Issermann, qui par choix n’est représenté par aucune galerie, et dont les images se retrouvent souvent dans les lieux publics, où elles peuvent être vues par le plus grand nombre. , reflétant un sens populaire de la photographie. En 2016, ses images étaient affichées en noir et blanc dans les couloirs des aéroports parisiens, en 2024 elles orneront majestueusement des cubes géants sur la plage de Deauville. Cette même plage sur laquelle Dominique Issermann courait cheveux au vent, poursuivie par son partenaire Leonard Cohen sur le tournage du clip de sa chanson Prenons d’abord Manhattanen 1986.
Dominique Issermann a longtemps refusé d’exposer à Deauville, mais a finalement cédé face à l’insistance de Laura Serani. « La photographie est un saut qui transforme le temps en espace. C’est très court, ça va durer longtemps, sans limites, sans frontières, nous sommes sur une autre planète, ici même règne la liberté.”dit l’écrivain Philippe Sollers à propos de son œuvre. « Voulez-vous une collision de détails ? C’est ici. Le visage ébloui d’une femme ? Un coin de ville ? Une nudité tordue ? Un enfant ? Des pyramides ? Un artiste qui pense ? Ici aussi. Il suffisait d’être là. Comme c’est étrange que personne ne soit jamais là. »
« Il y a des images iconiques que vous reconnaîtrez, il y en a d’autres qui sont moins connues », explique Laura Serani. « Il y a des images de mode. Il y a un autoportrait ici à gauche. Nous n’avons pas voulu inclure de légendes, nous avons laissé flotter un peu de ce mystère dans l’exposition de Dominique. C’est une plongée dans son univers. » Outre les photographies incontournables de la plage, Dominique Issermann a présenté en exclusivité son moyen métrage des textes, non sans paraître affaiblie par la maladie, parfois incapable d’en parler, mais applaudie de longues minutes par tout un public enthousiasmé par son travail. Son film, poétique et singulier, a transporté le public dans une atmosphère captivante, éclairée par des scènes rares et émouvantes.
Sur la plage, ou plutôt au Grand Bain, sur les célèbres panneaux publicitaires qui bordent la plage, promenade phare de Deauville, se trouvent aussi les photographies de Bettina Pittaluga, sa série de portraits intimes et de singulières confidences de personnes se reposant sur leur lit. Ainsi, pour l’artiste, le lit est bien plus qu’un simple meuble. Il devient une porte vers l’intérieur, un lieu de sincérité et de vérité. “Grâce à cette résidence, j’ai pu, pour la première fois, entamer un travail conscient autour du lit et vraiment voir ce que cela peut signifier de faire exister le lit de manière parfois plus personnelle”explique . « C’est un mélange entre mon travail d’archives et mon travail réalisé à Deauville. »
Un peu plus loin, au Point de Vue, on retrouve les travaux de 5 photographes émergents exposés, dans le cadre de la « Résidence de Lancement pour Jeunes Talents ». Une série en particulier, récompensée par le prix correspondant, attire l’attention. « Rose noise », de Cloé Harent, est un hymne à la nature, qui révèle à la fois la puissance et la fragilité de la biodiversité présente sur les côtes normandes. Les marées, omniprésentes dans cette zone, déposent chaque jour des déchets marins. Cloé Harent s’attache à montrer ces petites choses laissées par le temps, nous invitant à contempler des micropaysages iodés, créations naturelles du monde vivant.
«C’est une mise en valeur de la biodiversité, mais aussi de la beauté de la nature, des petits détails qui nous entourent sur la plage», explique le photographe. « Vous découvrez mes petits trésors, mes petits coquillages, et je vous emmène en plongée pour retrouver ces mêmes coquillages au fond de l’eau. Le « bruit rose » est le terme scientifique désignant le son que vous entendez lorsque vous tenez un coquillage contre votre oreille. C’est le nom de ce bruit des vagues. Dans l’exposition, je propose également au visiteur des tirages d’images représentant mes trouvailles sur la plage. Je suis par terre. L’idée est d’inciter le visiteur à se pencher et à prendre une image comme je prenais les images au sol, un peu comme se pencher pour ramasser quelque chose sur la plage. »
Franciscains
La culture à Deauville, c’est avant tout un lieu emblématique et unique, Les Franciscaines, qui regroupe un musée, une médiathèque et une salle de spectacle où la culture est gratuite (à l’exception des spectacles), dans un bâtiment du XIXème siècle rénové sur plusieurs étages. Ce lieu constitue le centre névralgique du festival Planches Contact, qui comprend cette année une dizaine d’expositions, projections, tables rondes et événements collatéraux.
Parmi les photographes présents aux Franciscaines, Richard Pak, initialement connu comme photographe documentaire, dont le travail est exposé lors de nombreux événements depuis 3 ans, et qui aime bousculer les codes et explorer d’autres pratiques artistiques. Pour « The Island Thief », Pak se consacre à la pratique du « fun découpage », photographiant les îles de Normandie puis les découpant directement à partir de ses tirages. Ainsi naissent deux œuvres : une mer sans son île et une île sans sa mer. L’artiste devenu le pirate-collectionneur qu’il a lui-même inventé, présente un archipel idéal des îles normandes.
Autre exposition très marquante cette année : celle de l’artiste Phillip Toledano. Et pour cause : le New Yorker a créé les images accrochées au mur entièrement grâce à l’intelligence artificielle, notamment avec l’application Midjourney. « Another America » est une surprenante réécriture de l’histoire américaine (pour la première fois en France), tandis que « We Are at War » ressuscite visuellement le débarquement de Normandie, à l’occasion de son 80e anniversaire, et propose indirectement de recréer les images que Robert Capa, selon la légende, réalisé sur la plage et dont les négatifs ont ensuite disparu ou ont été endommagés. Une série qui oscille entre faits historiques et fake news en pleine ère complotiste. “Je n’utilise pas les images de Robert Capa ni son style pour créer des suggestions”explique le photographe. « J’utilise son histoire comme un véhicule pour parler de ce que l’IA peut accomplir. » Laura Serani déclare également : « Derrière les images de Philippe il y a une intelligence, une finesse, une histoire, il y a aussi une beauté, une force, une dramaturgie très inspirée du cinéma. Ce n’est pas la machine qui crée ces éléments. C’est la personne derrière la voiture. »
Pour la suite du voyage on cite : « Une fois la folie passée », de l’artiste chinois Huang Xiaoliang. La série explore la dualité entre les scènes dynamiques d’une ville balnéaire comme Deauville pendant la saison touristique et la solitude qui l’accompagne. À travers divers médiums tels que la vidéo, la photographie et la peinture, il illustre les relations complexes entre l’individu et son environnement, entre illusion et réalité. Ou encore « Le siècle des vacances », une collection de photographies de la Fnac, qui retrace l’évolution du phénomène des vacances à travers différentes époques et lieux, des vacances à la démocratisation des vacances, jusqu’à l’ère du tourisme de masse. Les images exposées, prises par de nombreux photographes célèbres (Boubat, Ghirri, Erwitt, Kubrick, Plossu, Wenders…) illustrent l’évolution de la société et de ses mœurs, mêlant soucis documentaires et nostalgie. « Toute transformation sociale s’accompagne d’un langage et de codes esthétiques spécifiques ; chaque époque a ses auteurs, ses historiens et, aujourd’hui, ses photographes. Offrant un aperçu de l’histoire intime du XXe siècle, l’exposition raconte également l’histoire et l’évolution de la photographie.raconte Laura Serani, qui a été directrice des galeries photos et du fonds Fnac de 1985 à 2005.
Le dernier week-end d’octobre, qui voit l’ouverture du festival, représente enfin le week-end du changement d’heure, du passage à l’heure d’hiver. Dans la nuit du samedi au dimanche, on dit qu’il est 25 heures. “Pour beaucoup c’est virtuel, sauf à Deauville, car à ce moment-là on le photographie”dice Philippe Augier. « Nous avons lancé ce concours d’une heure, pendant laquelle chacun peut apporter une image. Normalement, c’est à 2 heures du matin, mais nous le faisons à minuit, parce que nous ne voulons pas plaisanter… Le dimanche matin, le jury décide du gagnant. La dernière fois, nous avons reçu 250 photographies. Quand on aime la photographie, c’est un bonheur total de voir cette diversité qui peut venir d’un lieu unique. »
Outre ce concours ouvert à tous, il convient de souligner que la majorité des photographes exposés à Planches Contact effectuent leur travail en résidence, et qu’ils sont accueillis entre les mois de février et juin de l’année de l’édition. Au total : une vingtaine d’artistes. Ce préjugé favorise une expérience d’échange entre photographes d’origines et de profils très différents, que l’équipe du festival soutient lors de leurs projets. Cela provoque une discussion et un dialogue permanents et contribue à cet esprit de « laboratoire ». Après 15 ans d’existence, Planches Contact n’est pas en pleine adolescence, mais à l’aube de son âge adulte.
Contact des instances du festivalsur scène à Deauville jusqu’au 5 janvier 2025. Programme complet et lieux dédiés sur le site dédié.