Le 4 avril 2024, une forte chute de neige est tombée sur Montréal, du genre qui nous rappelle qu’on ne peut jamais tenir le printemps pour acquis dans notre belle province. Mon collègue et moi garons la voiture du mieux que nous pouvons devant le centre de francisation William-Hingston, du Centre de services scolaire de Montréal. Nous avons rendez-vous avec des élèves de niveau 8, le niveau le plus avancé du cours de français. On nous attend là pour faire de l’improvisation. Les élèves ont écrit les thèmes qui inspireront nos sketchs et ils peuvent nous rejoindre s’ils le souhaitent.
En montant les escaliers vers la salle où se déroulera notre atelier de démonstration, j’entends d’autres étudiants parler entre eux français avec leurs accents de l’autre bout du monde. Tout le monde parle de cette tempête de neige inattendue. Une élève assidue utilise le terme « dérive » et un professeur sympathique lui apprend l’expression « banc de neige ». Elle rit. Mimant la hauteur de la neige, elle demande, incertaine : « On dit un banc parce qu’on peut s’asseoir dessus ? » Le professeur acquiesce en riant à son tour.
Une fois dans la classe, je regarde arriver les élèves, souriants et de tous âges, venus du monde entier. On se lance sans plus attendre et improvise devant eux en toute simplicité. Les thèmes qu’ils composent sont drôles, pertinents et surtout inspirants. Certains viendront même jouer avec nous. Leur maîtrise du français est impressionnante. Ils ont de belles plaisanteries. Faire rire dans une langue étrangère démontre une bonne connaissance de celle-ci, mais aussi plusieurs compétences en termes de références culturelles. J’en repars émerveillé par leur intelligence, leur vocabulaire et leur humour.
J’apprécie tous les efforts qu’ils ont déployés pour réussir leur intégration dans leur société d’accueil et la confiance avec laquelle ils parlent notre langue. J’admire également le travail des professeurs. On peut voir leur engagement envers le progrès de leurs apprenants et leur fierté de leur réussite.
Si je vous parle de ce matin dans un centre de francisation, c’est parce que l’avenir de ces lieux d’apprentissage essentiels semble menacé par les priorités budgétaires du gouvernement caquiste. Pourtant, ce gouvernement a placé le français au cœur de ses préoccupations. Elle a même renforcé sa protection en adoptant la loi 96 en 2022. Cette mise à jour de la Charte de la langue française précise que tous les services publics doivent être fournis en français pour tous les nouveaux arrivants et réfugiés (sauf exceptions) qui séjournent au Québec depuis six mois. Cependant, six mois, même si vous étudiez à temps plein, c’est très peu pour maîtriser une langue, surtout si vous fermez des cours de français à proximité.
Bien sûr, le nombre d’étudiants a augmenté avec le flux migratoire, mais justement, je pense qu’il est urgent d’augmenter le financement de la francisation et de l’intégration. Malheureusement, il y a des réductions ou des remaniements arbitraires qui, selon les estimations, laisse plus de 10 000 étudiants sans rien. On estime qu’environ 113 enseignants ont perdu leur emploi. C’est un désastre sous plusieurs angles.
Je sais très bien que la bourse de l’État n’est pas une bourse magique d’où peuvent sortir des millions de dollars. Par contre, lorsqu’un gouvernement rappelle sans cesse la fragilité du français, lorsqu’il commande des rapports sur l’évolution de la situation linguistique à l’Office québécois de la langue française ou encore lorsqu’il demande des études sur la situation des langues parlées. à Québec à l’Institut de la statistique, j’attends de lui qu’il intervienne en amont pour contrer le déclin de notre langue commune.
En tâtant le terrain avec des amis qui œuvrent dans le monde de la francisation et de l’intégration, et qui observent avec scepticisme, voire inquiétude, les choix du ministère, j’apprends que cette branche de l’éducation est malmenée. depuis plusieurs années, et pas seulement sous ce gouvernement. Je me suis rendu compte qu’une multitude d’activités incluses au programme avaient disparu au fil des années. Des expériences qui ont aidé les étudiants à s’intégrer à notre culture, comme une visite à Québec, des épluchettes de maïs, la cueillette de pommes, etc.
Par ailleurs, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration semble chercher à réduire le nombre de cours physiques pour augmenter l’offre virtuelle. Mais apprendre en groupe dans un même lieu est tellement plus vivant ! On peut réfléchir à ce que vient de dire le professeur, échanger spontanément, participer à des discussions de couloir. On apprend mieux en classe qu’isolé devant un écran impersonnel. C’est aussi ce que me confirme mon ami, qui est lui-même professeur. Il remarque que ses étudiants progressent beaucoup plus rapidement lorsqu’ils sont en présentiel plutôt qu’en ligne.
Il y a fort à parier que je ne serai plus invité à faire de l’improvisation dans un cours de français. Bien sûr, cela me rend un peu triste, mais ce qui me met le plus en colère, c’est de penser que ces merveilleux adultes pleins de bonne volonté et de courage, qui pourraient contribuer à notre société à leur plein potentiel, seront privés des services d’experts compétents et des enseignants motivés. Au lieu de voir un énorme investissement dans les cours de français, le gouvernement semble désormais le considérer comme une vulgaire dépense. Je vois là un énorme gaspillage.