L’image la plus célèbre de Gia Carangi est peut-être celle capturée par Helmut Newton en 1979. Appuyée sur une colonne en noir et blanc, chemise ouverte et bretelles visibles, elle offre la cigarette coincée entre ses lèvres à la femme en costume d’affaires à manches courtes. cheveux qui se penchent vers elle. Femme fatale d’un photographe à l’objectif chic et lascifcelle qui vient de célébrer sa majorité est pour Newton une fille d’Ève dotée d’une aura de pouvoir. Tout dans ce plan résonne avec vie personnelle du mannequin. Fumer la cigarette entre les doigts, sexualité libérée, rapport aux autres femmes, androgynie manifeste, Gia Carangi incarne une indocilité qui plaît au photographe et au monde.
Mais c’est une métamorphe, un véritable caméléon pour qui la caméra ne fait pas peur. Devant lui, elle se dévoile là où les autres flirtent. Devant lui elle brille, se déshabille volontiers, joue avec sa moue. Femme élégante en trench pour Dior en 1979, femme bohème pour Lancetti en 1978, femme presque nue pour Versace, Gia Carangi se permet tout parce qu’elle le peut. Seul son regard trahit peut-être sa force. Repérée à 17 ans au club DCA de sa Philadelphie natale par Maurice Tannenbaum, alors qu’elle travaille dans la boutique de son père, elle rejoint l’agence de la célèbre Wilhelmina Cooper et conquiert la mode avant le années quatre vingt ne vous présentez pas. L’avenir ouvre grand ses bras, tout comme l’obscurité de la nuit.
Descente et enfer
Le succès la transforme en une figure emblématique de la mode, et la ville qui ne dort jamais lui fait de la place à ses escapades. Gia Carangi est une habituée du Studio54, fait ses apparitions au Mudd Club, s’entend avec tout le monde dans la communauté. Personne ne résiste au charme de ce nouveau venu, par qui les photographes ne jurent que. Elle devient le modèle le mieux payé au mondeses honoraires s’élevant jusqu’à 10 000 $ par séance. Personne, à l’époque non plus, ne pouvait résister aux paradis artificiels dont la poudre envahissait les clubs. Le mannequin essaie la cocaïne, puis l’héroïne.
En 1980, Gia Carangi perd deux amis proches, son agent Wilhelmina Cooper et le photographe Chris von Wangenheim, qui laissent derrière eux un portfolio bien garni de son travail. Le top se lance dans la drogue. Là où son esprit rebelle magnétisait, son manque de discipline agace. Dans le livre Chose de beauté de Stephen Fried, Le photographe John Stember se souvient : «Un jour, elle a fait une séance photo (…) L’équipe a passé des heures à la préparer (…) Richard Avedon Appuyez une fois sur le déclencheur. Un clic. Gia lui dit alors : “une seconde, je dois aller aux toilettes ». Elle y va, passe par la fenêtre, prend un taxi et rentre chez elle.
Mais les photographes l’adorent et beaucoup lui donnent une seconde chance. Francesco Scavullo lui offre une dernière reprise de Cosmopolitan, au cours de laquelle il est frappé par les abcès des mains et le néant de ses yeux. Sa dépendance est connueC’est aussi la raison de ses manches longues : elle vit entre les centres de rééducation, les appartements de ses amis et les studios photo. Dans son journal, elle écrit même «prendre de l’héroïne» sous forme de rendez-vous. Celle qui a toujours un couteau dans la poche donne des interviews où elle parle de ses démons : «Il est difficile de faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Surtout quand on est entouré de vautours. Ça t’envahit, seuls ceux qui l’ont vécu le savent».
Sa carrière croule sous le poids de l’addictionGia Carangi retourne à Philadelphie, la ville où elle a grandi dans une famille instable où les disputes étaient fréquentes. Sa vie ressemble désormais à un électrocardiogramme. Elle se soigne, rechute. Elle a commencé à étudier le cinéma, mais a abandonné. Elle déménage à Atlantic City, est violée, puis revient. Elle attrape une pneumonie, et pendant son hospitalisation, on lui dit qu’elle a le VIHla maladie de la faucheuse de l’époque dont elle était convaincue qu’elle était atteinte. Sa santé se détériore et le SIDA l’emporte, en silence, le 18 novembre 1986. Personne dans le monde de la mode n’assistera à ses funérailles. Seul Francesco Scavullo enverra une carte de condoléances lorsqu’il apprendra la nouvelle.
Un héritage
Malgré une brève carrière, le mannequin laissera derrière lui un héritage plus solide que bien d’autres. Premier mannequin ouvertement gay, elle a également été la première à poser de manière ludique, à poser pour de nombreux designers et à poser du tout. Si les mannequins posent comme elles le font aujourd’hui, c’est grâce à elle. Car bien avant Kate, Naomi, Claudia et Christy, il y avait Gia. Considéré comme un pionnier dans le monde du mannequinat, elle a ouvert la voie à super modèlesdont Cindy Crawford qui pour sa ressemblance avec Gia Carangi était initialement surnommée « Baby Gia ». En 1998, une jeune actrice nommée Angelina Jolie fait irruption à l’écran dans Gia, anatomie d’un top modelrendant célèbre l’histoire du premier super mannequin au monde, un mannequin à la liberté indomptable, décédé il y a trente-six ans jour pour jour.