l’essentiel
L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur peut-il se résumer simplement en une ligne : « De la viande argentine et brésilienne pour les voitures allemandes et du lithium pour l’Europe industrielle, mais tout ça… au détriment de l’agriculture française » ? Réponses de l’économiste Charlotte Emlinger, du Centre de prospective et d’information internationale (CEPII).
Cet accord est-il au seul bénéfice des constructeurs ?
Qui dit accord de libre-échange, dit compromis. Il y a donc des secteurs qui gagnent et qui perdent. Les voitures étant actuellement taxées à 35 % à leur entrée dans le Mercosur, cela constituera effectivement un réel gain pour l’industrie automobile européenne. Mais elle ne sera pas la seule gagnante. Il y aura aussi le secteur agricole. Egalement taxés entre 20 et 35%, les producteurs de vins, spiritueux et fromages français pourraient également en bénéficier. On ne peut donc pas réduire ce traité à un accord au seul bénéfice du secteur manufacturier, au détriment de l’agriculture, et d’autant qu’il protège les indications géographiques de plus de 350 produits, ce qui n’est pas négligeable pour la France.
Que représentent les 99 000 t de viande bovine qui verraient leurs droits de douane réduits, par rapport à la consommation de viande bovine dans l’Union européenne ? Et les menaces aussi, que représente le poulet brésilien pour les producteurs ?
L’accord entre l’UE et le Mercosur réduit les droits de douane sur ces deux produits sensibles, dont les producteurs ont déjà été très durement touchés et fragilisés par les événements climatiques et les maladies animales. C’est pourquoi ce texte impose des quotas. 99 000 t de bœuf et 180 000 t de volaille, cela représente environ 1,2 ou 1,3 % de la consommation européenne. Ce n’est donc pas grand-chose. Or, dans ces secteurs fragiles, une petite quantité peut être déstabilisante. Mais la principale critique est bien sûr la différence de standards, de normes de production, entre les pays du Mercosur et l’UE qui représente une concurrence déloyale pour nos producteurs. Il faut toutefois comprendre que l’accord ne réduit en rien les normes d’entrée dans l’Union européenne. Ils restent les mêmes. Le problème est leur contrôle et la mise en place d’une traçabilité réelle et fiable, ce qui est très complexe.
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Quels engagements réels cet accord propose-t-il pour limiter le lourd impact environnemental et humain qu’il entraîne ?
En termes d’émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture, l’impact des transports est très limité, de l’ordre de 4 %. Le vrai problème est la déforestation et les exploitations agricoles qui ne respectent pas nos normes sociales, environnementales et alimentaires. Mais pour le lithium, par exemple, le vrai problème, c’est qu’on en a besoin indépendamment du Mercosur, car de toute façon, on l’achèterait ailleurs et plus cher.
Côté nord-américain, Donald Trump prévoit d’augmenter les droits de douane sur les importations de 10 à 20 %. La perspective d’une double peine pour les agriculteurs ?
Il est intéressant de faire le parallèle car ce sont justement les agriculteurs bénéficiant de l’accord avec le Mercosur qui seraient potentiellement les plus touchés par la politique de Trump, produits laitiers, vins et spiritueux…
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Refuser cet accord risque-t-il aussi de renvoyer les pays du Mercosur aux États-Unis et en Chine ?
Assez. Aujourd’hui, en 2024, l’enjeu n’est plus seulement économique. Outre l’accès à des matières premières essentielles comme le lithium, il est désormais aussi géostratégique. Les Etats-Unis ont une politique très incertaine, la Chine prend de plus en plus de place, avec pour conséquence de potentiels conflits commerciaux… Il est donc important d’avoir des partenaires sur la scène internationale.
Les pays sud-américains ont-ils encore les moyens d’acheter des produits européens compte tenu de leurs difficultés économiques ?
C’est une très, très bonne question et, en effet, nous pouvons la poser.