Notre-Dame de Paris veille sur les Parisiens depuis 800 ans. Quelques semaines après sa réouverture, le 7 décembre, Paule Amblard, historienne de l’art et auteur du livre « Notre-Dame de Paris, les symboles des pierres », nous invite à rappeler le rôle de cette cathédrale au Moyen Âge et celle aujourd’hui est appelé à occuper. Entretien.
Qu’est-ce qu’une cathédrale ? Quel message nous envoie à travers lui les bâtisseurs du Moyen Âge ? Fermée depuis l’incendie d’avril 2019, Notre-Dame de Paris s’apprête à rouvrir ses portes le 7 décembre. Si tout le monde ne parvient pas à entrer dès les premiers jours, peu importe. La réouverture de Notre-Dame est l’occasion de (re)plonger dans le sens d’un tel édifice et la place qu’il occupe depuis le Moyen Âge. « Notre-Dame de Paris n’est pas un monument du passé, ce n’est pas qu’une belle décoration, c’est juste une prouesse technique », confie Paule Amblard, historienne de l’art et auteur du livre, à Aleteia. Notre-Dame de Paris, les symboles des pierres. « La Madone est un enseignement. Sa beauté est là pour nous ouvrir à autre chose. Entretien.
Paris resta sans cathédrale pendant cinq ans. Est-ce un événement sans précédent dans l’histoire de la ville et de la cathédrale ?
Notre-Dame est une cathédrale exceptionnelle à plus d’un titre. Dans la plupart des cathédrales, des incendies éclataient environ deux à trois fois par siècle. Mais avant le grand incendie d’avril 2019, il n’y avait plus rien à Notre-Dame de Paris depuis dix siècles. Bien sûr, il y a des traces d’incendie à Notre-Dame. En 1218 par exemple, un voleur met le feu à une tenture recouvrant le chœur. Cela a fait quelques dégâts mais rien de grave. En 1871, lors de la Commune de Paris, les communards allumèrent également un incendie mais celui-ci fut rapidement éteint. Mais les Parisiens ont déjà connu une période plus longue durant laquelle ils ont été privés de leur cathédrale. Durant la Révolution française, le culte catholique étant interdit, Notre-Dame fut transformée, pendant neuf ans, en Temple de la Raison, un entrepôt où étaient entreposés des milliers de tonneaux de vin. Le lieu fut scellé jusqu’à l’arrivée de Napoléon en 1801 qui y fut même couronné empereur.
Au Moyen Âge, Notre-Dame était un lieu où l’on venait soigner son âme et son corps.
Le rôle de la cathédrale au Moyen Âge est-il si différent de son rôle aujourd’hui ?
Cette question pose pour nous aujourd’hui le rôle de cette cathédrale. Pourquoi tant d’émotion lors de l’incendie parmi tant de personnes, croyants ou non ? Cette grande émotion née dans les yeux des gens n’était pas raisonnée. Au Moyen Âge, la cathédrale Notre-Dame était le cœur de Paris. C’est ici que tout se passe. C’est le centre qui donne l’heure, qui marque le jour et la nuit, un lieu de prière, de refuge et d’asile. Chacun savait qu’il pouvait bénéficier de la protection divine en entrant dans Notre-Dame. Lorsqu’ils y entrèrent, aucune loi humaine ne pouvait s’opposer à cette loi divine. Au Moyen Âge Notre-Dame était aussi un lieu où l’on venait se faire soigner, les médecins pouvaient donner des consultations. C’était aussi un lieu de vie, on y venait pour discuter et se rencontrer. Notre-Dame était un lieu où l’on venait soigner son âme et son corps. Les pierres étaient trempées dans tout cela. Devant le feu, quand quelqu’un venait prier ou s’y rassembler, c’était pour trouver de l’aide. En fin de compte, notre perspective n’a pas beaucoup changé.
La réouverture de Notre-Dame est prévue début décembre mais il faudra certainement attendre encore quelques semaines avant de pénétrer en toute sécurité dans la cathédrale. Mais depuis la place, l’étonnement devrait être total…
J’aime aborder les choses lentement car je pense que c’est la meilleure façon de les aborder en profondeur. S’il peut être compliqué d’entrer dans Notre-Dame en décembre, on peut déjà depuis l’Île de la Cité et la place prendre le temps de marcher sur les traces de l’évêque qui rêvait de Notre-Dame et de sa construction, Maurice de Sully. Urbaniste, il rêvait de Notre-Dame comme une nouvelle Jérusalem céleste. Imaginez qu’à l’époque la cathédrale Saint-Étienne, construite à partir du VIe siècle, était entourée de maisons. Il ouvrira des routes, il voudra une grande place. Nous pensons que c’est petit mais en ce moment c’est énorme ! Sur cette petite île, une cathédrale de 120 mètres de long et 40 mètres de large sera construite. On peut donc considérer que l’on fera un pèlerinage depuis la place, comme symbole du chemin spirituel que chacun de nous doit entreprendre !
En entrant dans Notre-Dame, le pèlerin est déjà très riche de tout ce qu’il a vu sur les façades, à commencer par la place.
Sur quels « détails » recommandez-vous de vous concentrer ?
Il y en a tellement ! Sur le portail royal, celui central, on voit le Christ bénissant. Sous ses pieds se trouvent les apôtres. Un peu plus bas, il y a une série de femmes. Ce sont les arts libéraux. Ces arts sont très importants car ils contiennent toutes les connaissances dont vous avez besoin pour bien mener votre vie : médecine, astronomie, grammaire… et sous ces pieds se trouve une femme avec une échelle entre les jambes : Cybèle. Il représente la rhétorique, l’art du langage. Pourquoi cette femme (l’art du langage) est-elle si visible ? Il faut comprendre qu’au Moyen Âge la rhétorique est l’art de transmettre la belle parole, la bonne parole, l’art de communiquer, d’entrer en relation. Cette femme est sur un trône. Sa tête touche le Ciel et sous ses pieds il a cette échelle plantée dans la terre. Cette échelle n’est rien d’autre que l’évolution de l’homme, de la terre au Ciel. La rhétorique nous dit que nous pouvons évoluer, nous perfectionner et voici ce que nous devons faire pour y arriver : suivre le Christ, qui est le guide de la bénédiction !
Comment « entrer dans une cathédrale » ?
Lorsqu’on se dirige vers les portes de la cathédrale, il faut avoir conscience que tout ce que nos yeux ont déjà pu voir sur les façades, depuis la place. En entrant dans Notre-Dame, le pèlerin est déjà très riche de tout cela. Il n’est pas sans bagages et peut désormais accéder au lieu sacré. L’externe est une préparation, il a une expérience plus interne. Entrer dans la cathédrale, c’est atteindre un niveau plus profond. Pourquoi une nef avec ses voûtes qui rappellent une forêt ? En traversant la nef on traverse la forêt qui incarne l’ombre pour se diriger vers la lumière qu’est le chœur. Chœur également orienté vers le soleil levant… C’est agréable d’y penser en entrant dans Notre-Dame ! « Qu’est-ce que Dieu ? Il est à la fois longueur, largeur, hauteur et profondeur », disait saint Bernard de Clairvaux. Lorsqu’on se retrouve dans un édifice comme Notre-Dame de Paris, cette phrase de Saint Bernard prend tout son sens. Elle reflète dans ses murs et ses proportions tout ce que nous avons voulu insuffler de divin. Les bâtisseurs de Notre-Dame n’ont pas vu l’édifice construit. Mais ils l’ont construit pour nous transmettre ce message.
Quel est l’enseignement spirituel de Notre-Dame ?
Notre-Dame de Paris n’est pas un monument du passé, ce n’est pas seulement une belle décoration, une prouesse technique. Notre-Dame est une leçon. Sa beauté est là pour nous ouvrir à autre chose. C’est de cette verticalité dont nous avons tant besoin. En revenant à Notre-Dame de Paris, il faut retrouver la perspective des origines. C’est l’âme des cathédrales et de Notre-Dame qu’il faut désormais raconter, redécouvrir et proclamer !