«NOui, le tank n’est pas mort, mais il faut l’utiliser à bon escient. » Comme le résume un colonel interrogé en 2023 à l’Assemblée nationale, le char est loin d’être abandonné par les états-majors. Il n’en reste pas moins que ces machines, dont la conception a peu évolué depuis la Guerre froide, sont au cœur d’une réflexion approfondie, tant du côté des militaires que des industriels. Des vidéos de centaines de carcasses carbonisées ou d’attaques meurtrières contre des véhicules blindés dans des zones de combat en Ukraine sont régulièrement retrouvées sur les réseaux sociaux. Dans ce conflit de haute intensité, des missiles ultra-rapides, des drones FPV (pour First Person View, équipés d’une caméra embarquée et d’une télécommande), qui explosent aux endroits les plus vulnérables du corps du char, et des problèmes logistiques expliquent cette situation. .
S’ils ont été conçus pour engager directement les uns contre les autres grâce à leur blindage frontal lourd et leur puissance de feu, très peu de chars ont été utilisés de cette manière depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. Cachés sous la végétation ou dans les bâtiments, ils sont désormais utilisés pour soutenir les fantassins lors d’actions rapides et ciblées ou pour des tirs indirects, c’est-à-dire des tirs de cloches hors du champ de vision. Face à la pénurie d’armes, l’Ukraine et la Russie ont recours à des chars, parfois obsolètes, faute de mieux. “Les utiliser ainsi est un gaspillage, car l’artillerie est bien plus adaptée, explique Marc Chassillan, ancien ingénieur du corps de l’armement et consultant spécialisé dans les questions de défense. L’amplitude de leur canon ne dépasse pas 17 à 18 degrés. Cette limitation de pointage les empêche d’atteindre des cibles situées à plus de dix kilomètres. Un canon d’artillerie a une amplitude allant jusqu’à 60 degrés, ce qui lui permet de tirer jusqu’à 40 kilomètres.
Mobilité et blindage renforcé
Si la doctrine de la cavalerie blindée a été adaptée à certains combats asymétriques au cours du XXe siècle, dans les conflits opposant les armées traditionnelles aux guérilleros, elle s’articule toujours autour de trois fondamentaux : la mobilité, la puissance de feu et la protection. « Ce triptyque est inchangé, car il permet de créer rapidement une percée sur le champ de bataille pour modifier le rapport de force, souligne le lieutenant-colonel Christian, du département des études et de la prospective de l’armée. Mais dans le conflit ukrainien, elle est remise en question car un front gelé n’est pas un bon théâtre d’opérations pour la cavalerie blindée.»
Pour l’heure, les états-majors comptent sur deux piliers pour protéger leurs chars. La première est la mobilité, qui a fait ses preuves pour l’artillerie et les canons César et qui reste essentielle pour éviter qu’ils ne soient trop faciles à cibler. La seconde s’appuie sur plusieurs dispositifs mis en place par les équipages pour se protéger lors des impacts. Outre les plaques de blindage, des cages métalliques, appelées « cope cages », ont été installées sur les parties les plus faibles des véhicules blindés, comme le toit et le moteur, pour piéger les drones ou les têtes de fusée. Le dispositif permet d’éloigner la détonation et donc de limiter les dégâts. En Israël, un système appelé Trophy, qui déclenche automatiquement des contre-mesures pour repousser les missiles et les roquettes, a également vu le jour.
De son côté, l’armée française va réapprendre le tir indirect dans ses centres de tir. Grâce au programme de modernisation du Scorpion, la cavalerie pourra mettre en place une nouvelle organisation. “C’est une chaîne de pulsations dans laquelle les unités de cavalerie sont capables d’agir de manière dispersée sur le champ de bataille pour se rendre moins vulnérables”, précise le lieutenant-colonel Christian. En cas de préavis court, ils peuvent être recentrés pour concentrer les efforts sur un endroit donné et se disperser immédiatement. Conçu à la fin de la Guerre froide pour faire face à une invasion de blindés soviétiques, le char Leclerc a bénéficié d’une rénovation dans le cadre du programme XLR. Il prévoit l’installation de nouveaux viseurs, d’une mitrailleuse à tourelle télécommandée, le renforcement du sol et la protection des flancs. Développées pour la lutte anti-guérilla, ces améliorations sont jugées trop légères par certains observateurs, à l’heure du retour des guerres de haute intensité.
Dans une vision à plus long terme, l’architecture des chars est en cours de révision par plusieurs pays. « L’idée est de construire des véhicules beaucoup plus légers et plus maniables pour éviter les incendies plutôt que d’y survivre. » observe Yohann Michel, chercheur à l’Institut d’études de stratégie et de défense. Ainsi les Etats-Unis ont déjà pris en compte les retours de la guerre en Ukraine pour la prochaine version de leur char Abrams, prévue pour la fin de la décennie. Baptisé M1E3, le futur engin devrait peser une dizaine de tonnes de moins que l’Abrams actuel, avec un toit renforcé, une protection active contre les missiles et un moteur plus silencieux. De leur côté, la France et l’Allemagne poursuivent leur projet de char du futur, le MGCS (pour Main ground combat system, en français). Capable de tirer à plus grande distance, de mieux protéger son équipage et de mettre en œuvre des combats collaboratifs, il devrait remplacer le Leclerc à partir de 2040.
La France revoit sa stratégie en matière d’hélicoptères
Défense anti-aérienne, missiles sol-air, drones… En vol ou sur le tarmac, les hélicoptères sont devenus des cibles privilégiées en Ukraine. Les drones capables de détruire des véhicules blindés ou des bâtiments et ne coûtant que quelques centaines de milliers d’euros ont fait réfléchir les militaires. En février, les États-Unis ont abandonné le développement d’une nouvelle génération d’hélicoptères d’attaque. Pour l’armée américaine, il n’est plus question de risquer la vie d’un pilote lorsqu’un drone ou un satellite peut le remplacer lors d’une mission de reconnaissance. En revanche, l’armée française n’est pas prête à tirer un trait sur ces dispositifs. Malgré l’annulation d’une modernisation importante – après le retrait de l’Allemagne – la France disposera encore de 67 hélicoptères d’attaque Tigre en service en 2025. Sa stratégie militaire repose sur le vol à très basse altitude, loin derrière les lignes ennemies, de préférence de nuit. Et quelle est la prochaine étape ? Camouflage, logistique plus efficace, réduction de l’empreinte thermique, coordination avec les drones, protection contre les cyberattaques… Les pistes sont nombreuses pour permettre au Tigre de rester à jour jusqu’à la fin de son service, prévue en 2045.
Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3736 – novembre 2024
Lire le résumé