« Nous payons le prix de notre aveuglement et de nos illusions »

« Nous payons le prix de notre aveuglement et de nos illusions »
« Nous payons le prix de notre aveuglement et de nos illusions »

Après avoir répondu à plusieurs questions du public lors de sa conférence à la Faculté de droit de Nice, Alain Bauer a évoqué une « mondialisation pitoyable » lors d’un entretien avec Petites Affiches.

Qu’est-ce que la « mondialisation pitoyable » ?

Alain Bauer – La mondialisation pitoyable est à l’opposé d’un moment auquel nous croyions tous après la chute du mur de Berlin, à l’idée que la guerre avait disparu, que le crime avait disparu, que la violence avait disparu, que l’affrontement avait disparu et que nous allions vivre une mondialisation heureuse, une sorte d’Erasmus géant. Nous avons vécu un moment d’illusion et nous nous sommes réveillés un beau matin, essentiellement en 2001 avec les attentats du World Trade Center. Mais cela avait déjà commencé avec l’affaire yougoslave lorsque la Serbie fut bombardée pendant 99 jours, par une décision de l’OTAN qui mit fin au dialogue pacifique qui existait entre l’Occident et la Russie. C’est ce que j’ai expliqué dans l’ouvrage précédent : « Au commencement, c’était la guerre », et depuis lors s’est construite une confrontation structurée que nous ne voulions pas voir, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine. Nous payons donc le prix de notre aveuglement et de nos illusions. C’est valable à tous les niveaux, c’est très contagieux.

Sait-on pourquoi il y a cette explosion de violence ?

Alain Bauer – Entre ce que nous savons, ce que nous croyons et ce que nous cherchons, ce que nous savons est la plus petite partie du tout mais nous avons des indications.

La première : la constitution de réseaux criminels entraîne des conflits territoriaux et donc une multiplication des règlements de compte. C’est très sensible à Marseille mais cela s’est répandu sur tout le territoire.

Deuxième indice : il existe de nombreux conflits intimes qui aboutissent aujourd’hui à des féminicides ou des tentatives d’homicide sur conjoint qui n’étaient pas quantifiés auparavant, qui ne se voyaient pas et qu’on ne voulait pas voir.

Troisième indice : il y a une violentisation de toutes les relations sociales, entre gamins d’un même lycée, entre amants, ex-amants, entre groupes de filles, entre cyclistes et automobilistes, entre automobilistes eux-mêmes… qui grandit aujourd’hui jusqu’au fait et à un forme de désinhibition de la violence ultime, comme si elle était normale, sans gravité, et avec des gens qui ne comprennent même pas la gravité de ce qu’ils ont fait, surtout parmi les plus jeunes ou très jeunes. Ce sont tous ces éléments, cumulés, qui conduisent à une augmentation historique des homicides. Nous sentons clairement qu’il y a un mécanisme d’atténuation dans la loi qui ne fonctionne pas.

La médiation sociale n’existe plus, nous ne faisons plus confiance aux pairs, ni aux pères, ni aux médiateurs sociaux, ni à tout ce qui permettait auparavant de réguler la violence.

Et vous pouvez ajouter le ” rageosphère », un espace où le confinement par l’algorithme vous amène à n’être d’accord qu’avec vous-même et avec les gens qui sont d’accord avec vous et qui vous suggèrent de faire pire car vous devez montrer que vous êtes un vrai « croyant », quelle que soit votre croyance. Cela entraîne des effets de meute, d’embuscades, de tentatives d’élimination physique, renforcés par cette facilité d’action et l’impossibilité de faire la différence entre le réel et le virtuel.

lires : Conférence d’Alain Bauer à Nice : Une histoire de violence

Comment sortir de cette situation ?

Alain Bauer – Il faut refaire beaucoup de choses. Il faut refaire la société et donc réinvestir le système d’autorité. Il ne s’agit donc pas d’une autorité punitive ni d’une autorité policière, c’est un système d’autorité générale qui exige non pas de punir les parents mais de les réhabiliter, en considérant que la punition n’est pas lente et longue mais qu’elle peut être courte et rapide. Bref, de revisiter toute une série de dogmes des années 70 qui ont complètement échoué.

L’intelligence artificielle peut-elle aider, notamment en matière de vidéosurveillance ?

Alain Bauer – Je dis souvent que l’IA est très artificielle et peu intelligente. Elle n’est pas encore générative ou ne l’est que dans un cadre fermé. C’est le charme de l’esprit humain d’inventer des choses qui n’existent pas. Mais l’IA peut accélérer beaucoup de choses. La vidéo est très utile par la suite. Cela permet d’identifier un auteur, de mener une enquête, de le suivre dans ses pérégrinations. En termes de résolution d’enquêtes, c’est un outil extrêmement utile et efficace. En revanche, cela n’empêche pas toujours ce qui se passe avant. Car ceux qui se lancent dans une impulsion irrésistible malgré l’existence de la caméra, qu’ils voient, montrent bien qu’elle n’est pas là pour les arrêter. Il faut donc savoir quoi faire, quand et dans quel objectif ? Cela n’aide pas mais cela n’aide à rien. Il suffit de l’encadrer et surtout de veiller à ce qu’il n’y ait pas de détournement d’usage et donc un contrôle citoyen utile et indispensable.

Commentaires recueillis

by Sébastien GUINÉ

En vedette : Malgré un sujet extrêmement sérieux, Alain Bauer a pris le temps de discuter de manière conviviale avec le public à la fin de sa conférence ©SG

 
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