« Donald Trump et Joe Biden sont comme un vieux couple toxique. Ils sont codépendants » (entretien) – .

« Donald Trump et Joe Biden sont comme un vieux couple toxique. Ils sont codépendants » (entretien) – .
« Donald Trump et Joe Biden sont comme un vieux couple toxique. Ils sont codépendants » (entretien) – .

Après la condamnation de l’ancien président, la tentation est grande, du côté démocrate, d’exploiter la situation. Mais ce n’est pas sans risque, juge la spécialiste américaine, Marie-Christine Bonzom.

Après la condamnation de Donald Trump par le tribunal du comté de Manhattan à New York le 30 mai pour 34 délits de falsification de documents comptables, les spéculations vont bon train sur les conséquences possibles de l’élection présidentielle du 5 novembre. Il faudra cependant attendre que la sentence soit prononcée – prison ou pas ?– 11 juillet, quatre jours avant la Convention nationale républicaine censée introniser Trump comme candidat du parti, pour les déterminer plus précisément. L’ancien président a déjà prévenu qu’une peine de prison « serait compliquée à accepter pour le public » et constituerait « un point de rupture », semblant accroître la menace de violence dont ses partisans ont déjà fait preuve le 6 janvier 2021 lors de l’assaut du Capitole à Washington. Mais que dit le verdict du tribunal du comté de Manhattan sur l’Amérique d’aujourd’hui ? Politologue, journaliste correspondante à Washington de 1989 à 2018, Marie-Christine Bonzom a couvert sept élections présidentielles américaines et est l’une des rares analystes à avoir prédit la victoire de Donald Trump en 2016. Elle apporte quelques éléments de réponse.

L’argument du « procès politique » avancé par Donald Trump est-il fondé ?

De toutes les procédures judiciaires lancées contre Donald Trump, c’est l’affaire la plus fragile sur le plan juridique. La Commission électorale fédérale a refusé de sanctionner Donald Trump pour ce paiement à Stormy Daniels. Le ministère fédéral de la Justice ne l’a pas poursuivi, pas plus que Cyrus Vance, l’ancien procureur local du comté de New York qui couvre Manhattan. Comme Vance, l’actuel procureur local, Alvin Bragg, est un élu démocrate et était initialement réticent à poursuivre Trump dans cette affaire. Ce n’est que sous la pression de deux de ses collègues démocrates qui ont publié un article dans la presse qu’il s’est décidé à le faire. C’était également le procès le plus susceptible d’être accusé de partisanerie. Le jury populaire était composé de l’une des zones démographiques les plus favorables aux démocrates, Manhattan. Le procureur est un élu démocrate qui a fait campagne sur le thème « Mettez Trump en prison ». Enfin, le juge du tribunal de comté Juan Merchan, bien que non élu, a été nommé par les démocrates, a contribué financièrement à la campagne 2020 de Joe Biden, et sa fille, spécialiste de la communication politique, a des élus comme clients démocrates. Dans un tel contexte, le verdict de culpabilité prononcé contre Trump n’est pas une surprise. Les procédures judiciaires les plus graves, tant juridique que politique, c’est le cas, mené devant un tribunal fédéral siégeant en Floride, des documents secrets que Trump a emportés à la fin de sa présidence dans sa résidence de Mar-a-Lago et celui, mené devant un tribunal fédéral, cette fois à Washington, qui porte sur son rôle dans le terrible assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Un autre procès portant sur le 6 janvier, portait sur la tentative de Trump d’influencer le décompte des voix lors de l’élection présidentielle de 2020 dans l’État de Washington. La Géorgie, se déroule en revanche dans un autre comté ultra-démocratique, celui d’Atlanta, avec une procureure élue, Fani Willis.

Est-ce, plus généralement, le système judiciaire qui est en faute ?

Le système judiciaire américain est très différent du nôtre. Dans le système non fédéral, les procureurs et les juges sont le plus souvent élus et donc des hommes politiques. De plus, La société américaine est devenue extrêmement polarisée et ultrapartisane. Malheureusement, le système judiciaire, y compris le système fédéral, est désormais contaminé par ce poison du sentiment hyperpartisan que les partis républicain et démocrate attisent depuis des années. Le risque est alors d’avoir des jurés qui ne peuvent pas laisser leurs opinions politiques aux vestiaires, d’une manière ou d’une autre.

Nikki Haley, l’ancienne principale rivale de Donald Trump, est-elle dans la réserve du Parti républicain ? © Getty Images

Cette condamnation pourrait-elle avoir un impact sur le vote des indépendants lors de la présidentielle du 5 novembre ?

Jusqu’à présent, Donald Trump avait le soutien de l’électorat indépendant, celui qui ne s’identifie ni au parti républicain ni au parti démocrate. Cette catégorie de l’électorat est aujourd’hui dominante et la seule à croître. Environ 25 % des Américains se considèrent comme démocrates, 27 % comme républicains et 45 % comme indépendants. Les électeurs indépendants ont toujours pris la décision lors d’une élection présidentielle. Ils le feront encore plus cette année puisque leur poids est plus important. En 2020, Biden a remporté le vote indépendant. Pourtant, depuis des mois, les sondages montrent qu’ils sont plus favorables à Trump qu’à Biden. Et depuis l’automne, Trump mène Biden à l’échelle nationale et dans la plupart des sept Etats qui prendront la décision. Sa condamnation dans l’affaire Stormy Daniels finira-t-elle par couler le candidat républicain qui, jusqu’à présent, n’a pas souffert de ses déboires judiciaires dans les sondages ? Pour l’heure, les investigations menées depuis le verdict ne révèlent pas de changement massif. Mais celui-ci n’est pas nécessaire. Cela ne prendrait qu’un changement marginal dans l’opinion publique de voir Trump mis en difficulté.

“C’est la première fois qu’un ancien président est condamné pénalement alors qu’il briguait un nouveau mandat.”

En raison de l’importance des États clés ?

Lors de la dernière confrontation électorale entre Trump et Biden, la victoire dans plusieurs États clés a été remportée par des majorités extrêmement faibles. En Arizona, Biden a gagné en 2020 avec seulement 0,3%, soit par environ 10 000 voix. En Géorgie, où Biden a gagné, seules 11 000 voix le séparaient de Trump. Des marges comparables ont marqué la victoire de Biden dans le Wisconsin et le Nevada. Aujourd’hui, Trump devance Biden en termes d’intentions de vote dans ces Etats ultra-clés, mais il suffirait de quelques milliers d’indépendants qui diraient “non, franchement, Trump, ça suffit, il n’a pas sa place à la Chambre -Blanche”. » pour faire pencher la balance du côté de Biden. Cette année, nous sommes en territoire inconnu. C’est la première fois qu’un ancien président est condamné pénalement alors qu’il briguait un nouveau mandat.

Connaissons-nous la sociologie des indépendants ?

Le groupe indépendant n’est pas monolithique. Une grande partie d’entre eux se méfie beaucoup du gouvernement fédéral, n’aime pas les deux partis dominants et souhaite un autre choix électoral. Et parce qu’ils se méfient du pouvoir fédéral, certains indépendants pourraient se conforter dans leur choix pour Trump ou rejoindre son camp en se disant qu’il est la cible du gouvernement et des amis politiques de Biden, qui veulent le faire tomber. D’autres indépendants sont plus attachés au respect des institutions et de la Constitution. Cela peut aller dans un sens ou dans l’autre. C’est pourquoi Biden marche sur des œufs. Lors de sa déclaration, il s’est concentré uniquement sur l’éloge de l’action du jury. Il n’a mentionné ni le procureur ni le juge. Il n’est jamais bon qu’un candidat soit condamné, surtout pénalement. Le camp démocrate est tenté d’exploiter cette conviction car Biden est très affaibli, avec une cote de popularité moins bonne que celle de Trump à ce même stade du mandat. Le camp démocrate espère que la condamnation de Trump sera l’événement qui changera la dynamique de la campagne. Mais aussi que le verdict rassemblera la base de leur parti, extrêmement fracturée – notamment à cause de la guerre à Gaza. Mais le risque pour Biden est de surexploiter le verdict contre Trump et d’être accusé de ne pas avoir fait campagne sur son bilan, ce que désapprouve la majorité des Américains. Au fond, Biden et Trump sont codépendants. C’est comme un vieux couple toxique. L’écrasante majorité des Américains ne veut ni de Biden ni de Trump et, du coup, ces deux hommes ont besoin l’un de l’autre pour exister, pour rester sur la scène politique et électorale.

Ce climat pourrait-il avoir des conséquences sur la campagne elle-même ?

Cette campagne va monter d’un cran dans la virulence du discours politique des deux côtés et dans la médiocrité du débat politique sur les grands sujets qui préoccupent le plus les Américains : l’économie, l’inflation, la crise. migratoire… Les deux candidats ne feront qu’être impatients, et ils ont déjà commencé dans ce registre, et c’est pour faire peur. Ce sera « celui qui fait le plus peur ». Trump prétendra que Biden est complètement sénile, que son bilan est celui du chaos, qu’il y a une guerre en Ukraine, à Gaza, et qu’il résoudrait cela en deux coups de cuillère. Biden répétera sans cesse que Trump est désormais un criminel, qu’il risque la prison et que l’élire signifierait la fin de la démocratie américaine. Mais la démocratie américaine en a déjà assez de ses deux grands partis et de ces deux hommes massivement rejetés par le peuple qui ne veut ni de l’un ni de l’autre et réclame une offre politique élargie ainsi qu’une refonte du système politique et électoral.

« Les deux candidats seront impatients. Ce sera « celui qui fait le plus peur ».

Les Républicains modérés pourraient-ils eux aussi être tentés de prendre leurs distances avec Donald Trump ?

Il existe encore des républicains modérés. Par exemple, j’ai trouvé très intéressant que Nikki Haley n’ait pas encore réagi à ce stade à la condamnation de Trump. Elle est l’une des rares personnalités républicaines à ne pas l’avoir fait. Avant cette condamnation, l’ancienne rivale de Trump lors des primaires républicaines lui avait pourtant apporté son soutien en vue de l’élection. Toutefois, ces dernières semaines, les primaires républicaines se sont poursuivies et à chaque fois, un bon nombre d’électeurs, entre 15% et 20%, ont préféré Haley à Trump alors même qu’elle n’était plus candidate depuis qu’elle s’est retirée de la course. De plus, dans les sondages, placés face à Biden, elle a gagné beaucoup plus facilement le président sortant que Trump. Certains électeurs républicains ne l’ont pas oublié. S’il y avait un problème encore plus important avec Trump, comme l’incarcération, la dynamique pourrait changer et Haley pourrait se présenter comme étant en lice pour l’investiture républicaine.

La condamnation de Donald Trump peut-elle avoir d’autres conséquences ?

Deux sont possibles. Un effet sur l’abstention et le vote des tiers, en faveur de petits partis ou de candidats indépendants comme Robert Kennedy Junior, surtout si Trump écope d’une peine de prison ou s’il y a d’autres problèmes également du côté de Biden, notamment avec le procès de son fils Hunter pour fraude fiscale et la corruption. Si des conséquences à l’égard de Joe Biden étaient révélées, ce serait un événement majeur dans la campagne. Enfin, une conséquence plus immédiate concerne les débats présidentiels entre les deux principaux candidats, l’un prévu le 27 juin, l’autre en septembre. Avant la condamnation dans l’affaire Stormy Daniels, Biden a longtemps déclaré qu’il ne débattrait pas de Trump parce qu’il le considérait comme un criminel. Maintenant que Biden a accepté de participer à deux débats parce qu’il était dans les limbes dans les sondages et maintenant que Trump est un criminel reconnu coupable par un tribunal de première instance, Biden maintiendra-t-il sa participation ou utilisera-t-il le verdict contre Trump comme prétexte pour se retirer ?

 
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