Alors que la COP29 se déroule dans un pays pétrolier et gazier, les émissions mondiales de gaz à effet de serre provoquées par la combustion de combustibles fossiles augmentent à nouveau. Ils devraient augmenter de 0,8% entre 2023 et 2024, selon la dernière étude du Budget carbone mondial dévoilé mercredi 13 novembre. Il s’agit du rapport mondial sur les émissions de gaz à effet de serre pour 2023 réalisé par le Global Carbon Project. Il donne également les tendances pour l’année 2024. Ainsi, pour l’année en cours, 37,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) provenant de l’utilisation des énergies fossiles devraient être émises. Ce qui motive les 120 scientifiques auteurs de l’étude Carbone mondial Budget publié ce mercredi dans le magazine Données scientifiques du système terrestre pour émettre un avertissement sans équivoque : « Au rythme actuel des émissions, l’équipe du Global Carbon Budget estime qu’il y a 50 % de chances que le réchauffement dépasse 1,5°C de manière constante d’ici six ans environ. »
Plus de combustibles fossiles, moins de puits de carbone terrestres naturels
Par ailleurs, le Global Carbon Project, un groupe de scientifiques qui donne un aperçu quasiment en temps réel des émissions de gaz à effet de serre et du changement climatique, constate que non seulement les émissions liées à l’énergie ont augmenté, mais aussi celles liées aux changements d’utilisation des sols, ce qui c’est-à-dire l’ensemble des émissions générées par la dégradation ou la disparition de la biomasse végétale qui stocke du carbone. En bref, la déforestation et la dégradation des terres ont émis 4,2 milliards de tonnes supplémentaires de CO2. Cela porte les émissions mondiales totales de CO2 à 41,6 milliards de tonnes pour 2024, contre 40,6 milliards pour 2023.
Les auteurs notent qu’au cours de la dernière décennie, seules les émissions énergétiques ont augmenté jusqu’à présent. Or, pour la première fois en 2023, ceux liés au changement d’affectation des terres sont en augmentation, du fait des activités humaines, ainsi que des sécheresses. ” On sait que l’absorption du CO2 par la partie continentale de la végétation est elle-même très dépendante du climat. Durant les années sèches et chaudes, comme les années El Niño, les continents cessent d’absorber le carbone. »déclare Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) et auteur du rapport Budget carbone mondial.
En conséquence, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère. Sa concentration, mesurée en PPM ou parties par million, atteindra 422,5 PPM en 2024. Il s’agit du niveau le plus élevé de l’histoire de l’humanité. ” Il existe une relation quasi-linéaire entre la quantité totale de carbone que nous émettons et le réchauffement climatique », rappelle Philippe Ciais qui estime qu’à moins d’éliminer le CO2 de l’atmosphère, il semble irréaliste de limiter le réchauffement à 1,5 degré. Il précise qu’au rythme actuel, il faudrait un quart de siècle pour atteindreledroit et dépasse 2 degrés. Philippe Ciais, du LSCE ajoute : « Tant que nous n’aurons pas atteint zéro émission nette de CO2 à l’échelle mondiale, les températures mondiales continueront d’augmenter et auront des conséquences de plus en plus graves. »
Un boom des émissions fossiles dans les pays en développement…
La baisse de 6 % des émissions liées à l’énergie enregistrée en 2020 lors de la pandémie de Covid-19 avait suscité des espoirs. ” Tout le monde se demandait si nous allions assister à une croissance verte, à une décarbonation de l’économie ou encore à des changements dans les modes de vie. », déclare Philippe Ciais du LSCE avant de conclure que « cela ne s’est pas produit. ». Depuis, les émissions ont recommencé à augmenter : 1% par an. En 2023, l’Inde a vu ses émissions augmenter de 8 % tandis que celles de la Chine ont augmenté de 4,9 %. Les émissions de l’Union européenne ont diminué de 3,8 %. L’Inde émet désormais plus de gaz à effet de serre que l’Europe, mais un Indien pollue moins qu’un Européen si l’on rapporte ce chiffre au nombre d’habitants. Ainsi, la Chine représente 32 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, suivie par les États-Unis (13 %), l’Inde (8 %) et l’Europe (7 %).
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Ensuite, les données de Budget carbone mondial montrent que le charbon représente encore 41 % des émissions de CO2, suivi du pétrole (32 %) et du gaz naturel (21 %). Il est toutefois intéressant de noter que la croissance des émissions du charbon est de 0,2 % entre 2023 et 2024, de 0,9 % pour le pétrole et de 2,4 % pour le gaz naturel. En effet, la production d’électricité à partir du charbon se stabilise progressivement dans le monde tandis que le pétrole reste toujours une énergie très demandée pour les transports, même si la mobilité électrique est en plein essor. Le gaz naturel est utilisé pour se chauffer ou pour produire de l’électricité en remplaçant le charbon, car il émet moins que ce dernier. Le gaz naturel est donc souvent présenté comme « une énergie de transition “, même s’il le fait ” augmenter le niveau de CO2 dans l’ambiance », se souvient Philippe Ciais.
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Concernant les transports, le Global Carbon Project écrit également que « l’aviation et le transport maritime internationaux (3 % du total mondial, comptabilisés séparément des totaux nationaux/régionaux) devraient augmenter de 7,8 % en 2024, mais resteront 3,5 % en dessous de leur niveau d’avant la pandémie de 2019. »
…mais une transition énergétique en marche
La complexité du climat ajoutée aux nombreux facteurs qui entrent en jeu, parmi lesquels les politiques ainsi que la situation économique des nations, incitent cependant à nuancer ce tableau plutôt sombre à première vue. L’action climatique, notamment à travers le prisme de la décarbonation de l’économie, progresse, et donne des résultats qui se traduisent par un ralentissement de l’augmentation des émissions. ” Malgré une nouvelle augmentation des émissions mondiales cette année, les dernières données montrent des signes d’une action climatique généralisée, avec une pénétration croissante des énergies renouvelables et des voitures électriques remplaçant les combustibles fossiles, ainsi qu’une baisse des émissions liées à la déforestation au cours des dernières décennies, confirmée par le première fois », commente la climatologue Corinne Le Quéré, professeure de recherche de la Royal Society à l’UEA School of Environmental Sciences.
Selon Pierre Friedlingstein, coordinateur du Global Carbon Project, les évolutions montrent quee‘ « il est possible de décarboner l’économie sans entrer en récession, mais cela ne va pas assez vite pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. » Il note cependant que « dans l’ensemble, le monde évolue dans la bonne direction » en raison du ralentissement mondial des émissions de gaz à effet de serre, passées de 2 % par an en moyenne il y a vingt ans à 0,6 % ces dernières années.
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Ce bilan carbone mondial est publié à un moment charnière, entre une COP29 qui peine à convaincre sur les engagements financiers et la sortie des énergies fossiles, la multiplication des catastrophes naturelles et l’élection de Donald Trump. ” L’élection de Trump remet en question la gouvernance internationale de l’action climatique. Même si sous son premier mandat les émissions américaines avaient diminué notamment en raison de la compétitivité des énergies renouvelables par rapport au charbon, son élection peut avoir un impact plus large. Car, si les États-Unis, émetteur historique, ne font rien, cela servira peut-être de prétexte aux autres pays pour ne pas s’engager à réduire les énergies fossiles. », commente Philippe Ciai interrogé sur l’actualité, soulignant que l’action climatique ne dépend pas seulement d’une seule personne mais aussi de facteurs socio-économiques.
Enfin, le rapport se concentre sur l’absorption du CO2. Cela indique clairement que cela ne suffira pas à faire face à la crise. Il faudra réduire l’usage du pétrole, du gaz et du charbon, trois énergies responsables de 90 % des émissions de CO2 et que le cycle naturel du carbone n’est plus en mesure de réguler à lui seul. Par exemple, l’élimination du CO2 grâce à la reforestation ne compense que la moitié des émissions liées à la déforestation. Même si des solutions technologiques existent pour capter ou éliminer le CO2 dans l’atmosphère, elles ne représentent qu’une part très minime de l’action climatique qui, par ailleurs, n’enlève rien à l’urgence de réduire les émissions et donc la dépendance aux énergies fossiles. Selon les auteurs de l’étude, « Les niveaux actuels d’élimination du dioxyde de carbone grâce à la technologie (à l’exclusion des moyens naturels tels que le reboisement) ne peuvent compenser qu’un millionième du CO2 émis par les combustibles fossiles. »
Julien Leprovost
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