Il y a des expressions comme celle-là qui vous coupent le souffle. Parlez de « La Belle au bois dormant » aux Bordelais et vous serez insulté pendant plusieurs générations, pire que si vous osiez manger un petit « pain au chocolat » au bord de la Garonne. Mêmes yeux qui roulent lorsqu’il s’agit d’évoquer le Zidane de… (insérer pays ou département) même en tant que footballeur un peu technique. En voile, notamment lors du Vendée Globe, on va vous taquiner avec ces fameuses « Formule 1 des mers ».
Des voitures pleines de technologie qui vont très vite et l’analogie entre les Imoca et les monoplaces disparaît vite. On pourrait même aller un peu plus loin. Cette année, en tant qu’équipe de F1, le projet Vulnérable envoie deux bateaux, menés par Thomas Ruyant et Sam Goodchild. Une sorte de doublé océanique Red Bull Max Verstappen-Sergio Pérez. Une première dans l’histoire du Vendée Globe.
« Quand nous avons lancé la construction d’un nouveau bateau pour ce Vendée Globe, nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de maintenir, avec un nouveau skipper, ce que le Jacques-Vabre a fait en 2021 et la Route du Rhum en 2022, pour aller plus rapide dans la compréhension de ce nouveau bateau, explique Thomas Ruyant, qui fait partie des favoris. Quand j’ai commencé à en parler dans l’équipe, tout le monde n’était pas forcément content, car on partage des connaissances, on donne à la compétition quelques clés d’un bateau que l’on sait très bon. »
« Esprit d’équipe »
Le bar est alors confié à l’Anglais Sam Goodchild, qui disputera son premier Vendée Globe. Depuis deux ans les deux skippers ont beaucoup échangé, sans filtres. “Nous avons fait des briefings techniques qui se déroulent en petits cercles, en petits groupes autour du skipper, du ‘capitaine du bateau’, de l’équipe technique dédiée au bateau, explique Thomas Gavériaux, directeur du TR team Racing et projet Vulnérable. Mais en revanche, tout ce qui concerne la préparation météo ou la préparation sportive, que ce soit un entraînement ou une course, on le fait toujours ensemble. C’est au cœur de l’approche que nous avons construite de procéder de cette façon. »
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« Un peu à la manière d’une écurie de F1, Goodchild résumait quelques semaines avant la course. Si le collectif est plus fort, nous serons tous les deux plus forts. Je vais lui donner des informations, parfois il me donne des informations, on travaille sur les mêmes données. Après la navigation, il y a eu un problème avec mon bateau. Nous l’avons immédiatement partagé entre nous, puis ils ont modifié certains éléments pour qu’il n’ait pas le même problème. C’est vraiment un esprit d’équipe. »
Certains membres du petit monde de la voile se sont montrés assez sceptiques en voyant émerger ce design à deux bateaux. Avant de finalement se laisser conquérir, voire admirer comme Samantha Davies (Des initiatives sincères) : « Il y a beaucoup de choses que chacun de nous fait seul, parce que nous ne voulons pas les partager, puisque nous sommes concurrents. Avoir une équipe de deux bateaux, c’est très malin, ce n’est pas évident à faire, car sans favoritisme il faut vraiment bien collaborer. Et en travaillant ensemble sur deux bateaux, nous pouvons vraiment réduire nos budgets. Cela nous permet d’avoir deux bateaux avec une meilleure préparation et peut-être un meilleur équipement.
Regroupement de coûts
C’est notamment le cas de Jean Le Cam (Tout commence dans le Finistère) éd. Eric Bellion (Restez unis), qui ont travaillé côte à côte pour préparer ce Vendée Globe en construisant deux nouveaux bateaux (sans foil) pour cette dixième édition. « L’idée était de démontrer que la performance peut être respectueuse de la nature », explique Bellion. Nous avons partagé les moules des bateaux, les achats pour réaliser des économies d’échelle, les développements, le traitement des avaries. cela nous fait gagner du temps et de l’argent. Les bateaux nous ont coûté plus d’un million d’euros de moins. »
Même s’ils travaillaient sur deux projets différents, eux aussi collectaient leurs informations, sans garder pour eux le moindre secret commercial. « En 2023, j’ai subi une avarie sur le paquebot Jacques-Vabre, je n’ai donc pas pu fabriquer mes deux paquebots dans l’année », raconte Bellion. Jean les a réalisés et en rentrant chez lui il m’a montré sa checklist avec tout ce qu’il avait découvert sur le bateau pendant la course. Ses équipes viennent sur mon bateau chaque fois qu’elles veulent observer tout ce que nous faisons, et nous aussi. »
Chacun pour soi dans la course
C’est bien beau tout cela, mais le Vendée Globe reste une course solitaire, et voir ces alliances, ces projets communs se développer, pourrait-il remettre en cause les fondements de la course ? Pas pour l’instant, en tout cas, car le règlement ne le permet tout simplement pas : pas d’assistance entre les skippers, pas de stratégies discutées en table, cachées sous la couchette. « Il n’y a pas de consignes », assure Thomas Gavériaux. Chacun d’eux réalisera son propre Vendée Globe. Ce n’est pas une course par équipe, c’est une course individuelle, chacun pour soi. Ce sont des concurrents. »
« Sam sera un compétiteur comme tout le monde, ajoute Thomas Ruyant. Même s’il y a une affinité particulière, et un fonctionnement commun en amont, il n’y aura pas de travail d’équipe, ni on ne demandera à Sam de me laisser passer, ni à moi de laisser passer Sam. Tout le monde va concourir et donner le meilleur de lui-même. »
Toutefois, le projet lancé par TR Racing pourrait donner des idées à d’autres partenaires, espère Thomas Gavériaux. Jusqu’à, pourquoi pas, former une véritable équipe, avec deux bateaux similaires. “On n’en est pas encore là, mais ce serait vraiment sympa”, s’enthousiasme Louis Burton (Bureau de la Vallée). J’aimerais qu’il y ait un bateau 1 et un bateau 2 ». Reste à définir lequel des deux sera Max Verstappen ou Sergio Pérez. Il y a un palmarès à construire.