de Nantes à la NASA, les recherches immuables du planétologue Christophe Sotin

de Nantes à la NASA, les recherches immuables du planétologue Christophe Sotin
de Nantes à la NASA, les recherches immuables du planétologue Christophe Sotin

Comment avez-vous réussi à faire de l’Université de Nantes une pierre angulaire de l’étude des planètes du système solaire, avec le Laboratoire de Planétologie et Géosciences (LPG) ?

Lorsque j’ai débuté à l’université d’Orsay en 1988, on s’est rendu compte que les missions préparatoires vers Mars et les satellites de glace Jupiter et Saturne nécessitaient les compétences de spécialistes des sciences de la Terre, qui étudient les surfaces et les intérieurs. Un tel laboratoire n’existait pas vraiment en et un collègue m’a dit qu’il était possible d’en créer un à Nantes, d’où je suis originaire. Le GPL est développé depuis 1993 et ​​nous sommes aujourd’hui 70 à y travailler. C’est devenu une référence internationale.

Vous avez également été nommé directeur scientifique d’un des laboratoires les plus prestigieux au monde, le Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, à qui l’on doit des missions spatiales légendaires comme les deux Voyager. Comment un Français pourrait-il accéder à ce poste ?

J’ai eu l’occasion de travailler sur la mission Cassini-Huygens (lancée en 1997 pour explorer Saturne et ses satellites) et de calibrer sa caméra infrarouge au JPL au début des années 1990. Puis, en 2005, sa direction a souhaité m’embaucher car elle cherchait à renforcer son expertise en géologie des satellites de glace. Mais j’ai dû refuser, un peu tristement dans mon âme, pour des raisons personnelles et professionnelles. Après avoir été invités à y enseigner régulièrement pendant deux ans, ma famille et moi avons finalement éclaté et avons déménagé en Californie. Puis on m’a demandé de prendre la direction scientifique de l’exploration du système solaire. Je n’aurais jamais pensé obtenir ce type de poste au JPL ! J’ai accepté et complété deux mandats de quatre ans, dont le dernier s’est terminé en 2020.

Quelle est la recette de l’excellence du JPL, capable de réaliser des prouesses telles que l’atterrissage de robots rotatifs sur Mars ?

Le JPL est responsable des missions dites « phares », celles dotées des budgets les plus importants, depuis la fin des années 1970. C’est avant tout un laboratoire d’ingénierie, dont le savoir-faire est reconnu dans le monde entier : 6 000 personnes y travaillent, dont les deux tiers. qui sont dans l’ingénierie, avec un secteur de recherche technologique très avancé, notamment dans la miniaturisation des instruments qui trouve également des applications en médecine et dans la vie quotidienne.

Vous avez participé au développement de la mission Europa Clipper, lancée le 14 octobre vers Europe, une des lunes de Jupiter. Quel a été votre travail sur ce projet doté d’un budget de cinq milliards de dollars ?

Nous avons rencontré des politiques, des membres du Congrès qui votent les budgets de la NASA, pour leur expliquer pourquoi l’exploration de l’Europe était devenue une priorité, d’un point de vue scientifique. La recherche de financement était l’une de mes principales occupations. Pour Europa Clipper, nous avons réussi à obtenir des budgets de recherche et développement importants qui nous ont permis de développer de nouvelles techniques, tant pour la protection contre les radiations de Jupiter que pour réaliser de nouvelles analyses spectroscopiques de la surface d’Europe.

Pourquoi est-il si important d’envoyer des sondes spatiales pour étudier les lunes de Jupiter comme Europe, mais aussi Ganymède, avec la mission européenne Juice (lancée en avril 2023) ? Vont-ils nous permettre d’y détecter de la vie ?

Avec ces deux missions, nous n’aurons pas la réponse quant à savoir si la vie existe sur ces satellites. Leur objectif est de mieux comprendre l’océan qui est présent dans chacun d’eux, sous la couche de glace. En observant leur surface, nous pourrons également voir si un échantillon de cet océan aurait pu être expulsé par des processus de volcanisme glaciaire. Sur Europe, nous vivons des conditions similaires à celles qui existent au fond des océans terrestres. Savoir si la vie a pu s’y développer permettrait de répondre à la question de savoir si la vie a émergé sur Terre.

Pourra-t-on un jour percer leur surface gelée pour atteindre ces océans qui pourraient abriter des formes de vie ?

Au JPL, j’ai travaillé sur des concepts de mission. L’une d’elles consistait à envoyer un atterrisseur sur Europe, pour obtenir plus d’informations sur sa surface et travailler à des forages jusqu’à l’océan. Mais à quelle profondeur ? Nous ne savons pas. Pour cela, nous avons besoin d’Europa Clipper et de Juice. L’épaisseur de la glace qui existe au-dessus de l’océan peut atteindre quelques centaines de mètres ou plusieurs dizaines de kilomètres.

En quoi consiste votre programme Promesses, mis en œuvre à Nantes à partir de 2022 et doté de 2,3 millions d’euros du Conseil européen de la recherche ?

La question posée est de savoir d’où viennent les éléments constitutifs de la vie. La vie est en fait constituée de quelques molécules organiques. Nous essayons de voir s’ils existent parmi les molécules organiques synthétisées avant et pendant la formation du système solaire. Pour cela, nous travaillons sur les données des missions Rosetta et Dawn (qui ont étudié une comète et des astéroïdes, vestiges de la formation des planètes du système solaire il y a quatre milliards d’années) et réalisons des expériences en laboratoire et des simulations numériques.

La recherche de la vie s’effectue également en dehors du système solaire, sur des planètes extrasolaires. Est-ce une voie prometteuse ?

La découverte de planètes extrasolaires (la première en 1995) a été un véritable essor. Beaucoup ont été découverts, il y en a maintenant près de 6 000 confirmés. Les scientifiques travaillent sur les biosignatures qui caractérisent l’atmosphère de ces exoplanètes, notamment avec le télescope James Webb. Cependant, détecter la vie sera extrêmement compliqué en raison des distances considérables qui nous en séparent, même si nous continuons à progresser dans l’amélioration des observations.

L’époque actuelle connaît une renaissance de discours, parfois complotistes, qui remettent en cause certains consensus scientifiques, sur les réseaux sociaux ou à la télévision. Comment s’en protéger ?

Avec le développement des réseaux sociaux, tout le monde peut s’exprimer, même les extrémistes, au point de dire que la Terre est plate… C’est pourquoi l’éducation et l’enseignement sont essentiels. Grâce à eux, nous pouvons intégrer les résultats des recherches menées au cours des 50 dernières années. Les missions spatiales, par exemple, ont apporté une énorme quantité de connaissances. Avant les années 1960, les films de science-fiction parlaient de la vie possible sur Vénus, aujourd’hui ce n’est plus le cas…

Dans de nombreux discours politiques, il semble que l’heure du retrait soit venue. La recherche scientifique peut-elle se le permettre ?

Sur le plan de la recherche scientifique, nous sommes extrêmement ouverts, les données acquises sont mises à la disposition de tous. Au LPG de Nantes nous accueillons une vingtaine d’étudiants du monde entier à travers un master financé par l’Union Européenne. Et quant aux missions spatiales, qui coûtent cher, il faut une coordination internationale complémentaire. C’est le cas d’Europa Clipper et de Juice.

 
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