Château Robert. Sa simple évocation provoque des sourires fugitifs qui se transforment presque immédiatement en grimaces. Des espoirs encore nés, brisés « un dossier trop complexe ». Trop cher aussi. Selon les estimations de la mairie de Vallauris, pas moins de vingt millions d’euros seraient nécessaires pour restaurer ce magnifique édifice dont l’aspect actuel date de 1875. Une somme hors de portée du budget municipal. Ce qui ne veut pas dire qu’aucun avenir n’est envisagé. Au chevet de la belle endormie, en ruine depuis des décennies, les projets se succèdent. Et somnoler. En attendant d’être réveillé par de généreux clients.
Empêcher la destruction de la colline
De la jungle luxuriante qui recouvre la côte de Golfe-Juan, surgit une façade exubérante. Un rêve d’Orient aux riches décors décrépits, rayés de frises craquelées, entourés de tours de guet et de mâchicoulis à moitié effondrés. Des merveilles abandonnées qui n’ont jamais été classées aux monuments historiques.
Laissé en jachère par la famille Caters, principal propriétaire du XXe siècle, le domaine revient, au début des années 1990, aux proches du roi Fahd d’Arabie Saoudite. Ils n’ont rien fait, ont vendu les ruines et une partie du parc à la ville de Vallauris en 2008. Une vente qui avait alimenté les soupçons de corruption envers l’ancien maire, Alain Gumiel (2002-2014). Affaire finalement classée sans suite en 2015 (lire ci-contre).
Ce qui libérera le dossier dont s’empare Michelle Salucki. Durant son mandat (2014-2020), l’édile espère transformer le château en centre de thalassothérapie. Le cadre s’y prête parfaitement mais pas le terrain. Trop à l’étroit dans le bâtiment de 600m2le centre réclame des droits de construction. « Ce qui aurait défiguré la colline avec une déforestation importante. L’histoire s’est terminée là. »raconte Michelle Salucki.
Malgré les attaques répétées des promoteurs, elle ne baisse pas les bras. Mais l’incendie de juillet 2017 empêchant tout classement par Bâtiments de France, donne un argument de plus à ceux qui préféreraient tout raser et reconstruire. “LE Le danger qui pesait sur le sol était trop grand. J’ai fait le choix de la préservation de l’environnement”, déf.finit l’ancien maire. En 2018, les sept hectares du parc, hors château, ont été vendus 300 000 euros, prix fixé par l’État, au Conservatoire du Littoral.
Problèmes de sécurité
Ce qui fait sursauter Kevin Luciano. Le maire actuel tacle son prédécesseur : « Le terrain a été vendu. Avec le peu de surface qu’il nous reste, il est impossible d’en faire un hôtel par exemple. Et puis, si des entreprises ou des fondations sont prêtes à financer la restauration, elles attendent forcément des retours sur investissement. Nous voulons que cet endroit revienne aux citoyens.
Un souhait qui a été partiellement exaucé le 12 septembre avec l’inauguration par le Département de l’extension du parc naturel du Paradou.
Mais qu’en est-il de la sécurité du site propice à la promenade ? Les panneaux de propriété privée éloigneront-ils les aventuriers amateurs ? Les trous dans la clôture suffiront-ils à les dissuader ? Dans le budget communal, 100 000 euros sont alloués au domaine. «Nous allons sécuriser le site»commente le maire. D’ici la fin de l’année ? “Aucun calendrier n’a encore été fixé.”
En faire la vitrine de la Ville
Et aucun projet à long terme n’a été défini. Pourtant, les amateurs de vieilles pierres ne manquent pas. Ainsi, des dizaines de dossiers ont déjà été présentés par autant d’idéalistes. A qui il manquait plus de moyens que de bonne volonté. Florian Coz de Ploesquellec espère combiner les deux. Le fervent défenseur du patrimoine, qui s’était déjà battu, victorieusement, pour la préservation du château de Sansovino à Cannes, compte sur une liste de mécènes prometteuse. « J’ai obtenu des engagements pour 18 millions d’euros », s’enthousiasme celui qui « est tombé amoureux » de la belle demeure lorsqu’il vivait sur la Côte.
En 2021, il présente un dossier à la mairie : « Un ami architecte a réalisé un premier bilan. La façade peut être conservée, les fondations sont solides. Il est urgent de protéger les ruines de l’eau avant de lister les pierres et de les rénover. » L’objectif serait de transformer le château « en un lieu d’accueil, d’exposition, un musée. Une vitrine pour la Ville »plaide le quadragénaire.
Deux ans plus tard, il attend toujours le feu vert de la mairie. Qui, de leur côté, souhaitent plus de garanties financières. « Si le plan de financement tient, nous pourrons anticiper » Kevin Luciano s’est tempéré en ce début d’année. Une main tendue que Florian Coz de Ploesquellec s’empresse de saisir à nouveau : « Je vais remettre les clients sur les rails. Tant que Château Robert sera debout, il y aura encore de l’espoir.
Un hôtel plutôt qu’une résidence
L’histoire la plus courante concernant le Château Robert est truffée d’inexactitudes. Grâce au travail de Nathalie Aguado, auteur du livre Les secrets des villas du Cap d’Antibes (éditions Akinome, 44 euros), les archives notariales ont révélé des histoires jusque-là oubliées.
Construit bien avant 1867
Contrairement à ce qui est souvent écrit, le château n’a pas été construit en 1867. Lorsque Frédéric-Louis Gazan (maire d’Antibes élu puis démis en 1878) hérite en 1854 de terres agricoles sur les hauteurs de Golfe-Juan, un « château à deux étages sur le rez-de-chaussée » y a déjà été construit. Qui est le sponsor initial ? Le mystère demeure.
Au nom du père
Il faudra attendre 1875 pour qu’André-Ferdinand Dervieu (maire de Vallauris entre 1888 et 1891) donne à l’édifice son charme unique en y ajoutant des ornements d’inspiration mauresque. D’innombrables espèces exotiques sont également plantées. De quoi désorienter les clients. Car en 1876, le propriétaire ouvre « un hôtel d’Orient », comme le surnomment les guides touristiques de l’époque. Le site porte également le nom de Château Robert, en hommage à Robert Dervieu, père d’André-Ferdinand.
Un hôtel sur la Riviera
Un nom et une fonction hôtelière qui perdureront pendant des décennies. Le site fut racheté en 1900 par Aimé Ernest Dubosc, déjà propriétaire du Grand Hôtel de Cannes. Son décès amène ses héritiers à revendre le domaine aux industriels Emil Jellinek, fondateur de Mercedes, et Charles Lehmann. Ce dernier vend ses parts l’année suivante au baron belge Pierre de Caters. Lorsque l’allemand Jellinek fut vendu en 1914, la famille aristocratique devint l’unique propriétaire. Dix ans plus tard, l’aventure hôtelière touche à sa fin, le château étant transformé en société d’exploitation florale et immobilière.
Les archives notariales n’étant plus accessibles après 1953, la suite de l’histoire reste floue. Le Château Robert a été acheté par la famille du roi Fahd d’Arabie Saoudite, certainement après 1979, date d’acquisition du Château de l’Horizon, situé dans la même zone.
A l’abandon, le bâtiment n’était plus que ruines lorsqu’il fut racheté en 2008 par la ville de Vallauris Golfe-Juan. Lequel cédera à son tour, en 2018, une grande partie du parc au Conservatoire du Littoral.