Lara Gut-Behrami n’a pas pu retenir ses larmes lors de son titre olympique aux Jeux Olympiques de 2022.Image : TRAPÈZE
Commentaire
Les skieurs autrichiens devront payer une amende s’ils osent verser une larme devant les caméras. Il s’agit en tout cas d’une incompréhension sur le sport et sa dramaturgie.
Les larmes de Lara Gut-Behrami devant les caméras ont quelque chose de réel, d’authentique. A Sölden, il y a deux semaines, il a cassé son armure et laissé tomber devant la presse le masque de l’athlète sur glace qu’il préfère garder à une distance respectable.
Ses larmes ont une saveur : avant d’être une championne, elle est une femme. Chirurgicale sur attelles la saison précédente, elle apparaît fragile lorsqu’il faut lancer le nouvel exercice, affligée par un mauvais état de santé.
Si « LGB » skiait sous les couleurs autrichiennes, elle serait condamnée à une amende de 50 euros. Cette loi, édictée en interne et d’un commun accord par les membres des speed teams, est simple : pas de pleurs devant les caméras à moins que quelqu’un ne meure.
Des moments amusants.
Les Autrichiens ont raté un chapitre, car le sport est une tragédie grecque, un art que le cinéma a tenté de raconter à travers des destins singuliers. Le sport, cette odyssée du dépassement de soi qui renvoie à une pression intrinsèque, ainsi qu’à la frustration qui s’y exploite. De nombreux sportifs, à force de tout garder, de tout contrôler, flirtent ou sombrent dans la dépression. La poursuite individuelle de la compétition suffit à frapper la foudre.
Vivre toute sa vie en contrôle et rester concentré sur l’objectif nécessite un esprit d’acier. Et parfois il y a une rupture, les émotions prennent le dessus et le mécanisme de défense s’active :
nous laissons exploser la joie et la déception et nous pleurons.
De Roger Federer, qui laisse couler des larmes de crocodile lors de son sacre en Grand Chelem, à la spécialiste de la voile Maud Jayet, qui sanglote après sa 4e place aux JO de Paris, les larmes sont la conclusion (triomphale ou triste) d’une épreuve avant tout émotionnelle.
Le nageur Alain Bernard, lors de son titre olympique de 2008, a lâché cette phrase :
« Ce sont des années de travail qui se concrétisent en quelques secondes. Les sacrifices et les séances de travail acharné reviennent et avec eux les moments de joie et de doute. Je n’ai pas pu m’empêcher de verser quelques larmes.”
L’âme du champion doit s’intérioriser, car la compétition est un entonnoir de Dante, un excès de tension et de concentration. À un moment donné, il faut sous-traiter. Michael Jordan, par exemple, même plusieurs années après sa retraite, n’a pas pu retenir ses larmes lorsqu’il a été intronisé au Hall of Fame en 2009.
Même Hermann Maier, le grand « Herminator », a pleuré sur une carrière monstrueuse.Image : AP
Les dirigeants du ski autrichien devraient également se plonger dans les vidéos d’archives et se souvenir des adieux de leur légende, Hermann Maier, qui n’a pu cacher son émotion. La fin d’un voyage glorieux et douloureux (le terrible accident de moto qui a failli lui coûter une jambe). Il est revenu, il a brillé et il a pleuré. Il n’y a aucune raison de se décourager, se laisser déborder est normal.
Les sacrifices resteront à jamais imprimés sur les corps, et les larmes sont une réponse. Donc les interdire, c’est ne pas comprendre ce sport.
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