Le dernier prix Goncourt, célèbre récompense littéraire en France, a été remis à Kamel Daoud. Écrivain algérien désormais résident en France, ce chroniqueur au Point chante régulièrement les louanges de l'extrême droite et aime blâmer la gauche. Invité sur toutes les radios et plateaux télévisions, la figure de Kamed Daoud mérite d'être analysée. Trois questions à Ahmed Bensaada qui a consacré un livre sur ce personnage.
Est-ce un hasard si Kamel Daoud est honoré dans un contexte de délégitimation permanente des Palestiniens et de leurs partisans ?
Dans mon livre sur Kamel Daoud, écrit en 2016, j’ai donné les caractéristiques de l’écrivain néocolonisé, de ce que les spécialistes appellent « l’alibi ethnique » :
« L’écrivain néocolonisé du XXIe siècle est facilement reconnaissable. C’est lui qui se confond avec la littérature de l’ancien colonisateur, épouse automatiquement les idées les plus réactionnaires, use et abuse des stéréotypes et s’efforce de diaboliser sa communauté en les brandissant dès que le volant d’un hijab excite l’actualité. Après tout, ce n’est qu’à ce prix qu’il est accepté allègrement, affiché sur toutes les plateformes médiatiques, affiché dans les lieux littéraires prestigieux, orné de superlatifs pompeux, comparé aux plus grands auteurs métropolitains et « anobli » par des trophées prestigieux. »
En fait, le sujet du roman, pour l’auteur néocolonisé, est bien plus important que son style. C’est de lui que dépendent le succès et la renommée.
Par ailleurs, les positions idéologiques de Kamel Daoud lui ont permis d’être admis et acclamé par le lobby sioniste et « sionistophile » français. Il suffit de regarder dans quel magazine il publie pour comprendre le contenu de ses divagations qui font hurler de joie les islamophobes et autres adeptes de la théorie du « grand remplacement ».
Mais c’est surtout pour ses positions sur la Palestine que ce lobby l’a béatifié avant sa récente canonisation littéraire.
En effet, le 12 juillet 2014, quatre jours seulement après le massacre de Gaza, Kamel Daoud a publié un article dans le journal Orano intitulé « Pourquoi je ne suis pas « solidaire » avec Gaza ».
Le 23 octobre 2023, il écrit un article intitulé « Guerre Hamas-Israël : lettre à un Israélien inconnu par Kamel Daoud » dont le texte de présentation est très éloquent : « Notre chroniqueur envoie une touchante missive à un destinataire israélien, qu’il a été entraîné à détester. Mais il a appris à comprendre. Un effort que le Monde arabe doit faire « . Article tiré, évidemment, du “Jewish Tribune”.
A la même époque, Kamel Daoud signe la postface de l’ouvrage collectif dont le titre révèle son contenu : « Un pogrom au 21e siècle : Israël le 7 octobre 2023 ».
Alors, pour répondre à votre question initiale : non, ce n’est pas une coïncidence.
Concernant la qualité littéraire de son roman primé, j’invite les lecteurs à se référer à l’excellente analyse de Christiane Chaulet-Achour, spécialiste de la littérature française. On peut lire : « Ce troisième roman de K. Daoud n’atteint guère le statut d’œuvre littéraire majeure. …]Il sera certainement récompensé mais probablement pas pour des raisons littéraires ».
Pourquoi Kamel Daoud est-il si populaire dans la grande majorité des médias français (qui semblent pourtant différents – FR 5, Arte, France Inter, Le Point) ?
Il n’y a aucune différence dans les grands médias français. Ils travaillent tous dans le même sens et les éventuelles voix discordantes sont rapidement évacuées. Nous l’avons clairement vu dans la couverture du conflit entre la Russie et l’Ukraine et, surtout, dans le massacre génocidaire du peuple palestinien par l’armée sioniste. Cet auteur est apprécié parce qu’il possède toutes les caractéristiques de « l’alibi ethnique » ou de « l’informateur autochtone ».
Concernant le premier, le politologue Thomas Serres nous apprend que Kamel Daoud agit comme « alibi ethnique qui soutient des discours culturalistes, racistes ou islamophobes ».
Selon la terminologie utilisée par Alain Gresh, un « informateur autochtone » est une personne qui « simplement parce qu’il est noir ou musulman, il est considéré comme un expert des noirs ou des musulmans. Et surtout ça a l’avantage de dire ce que “on” veut entendre » . C’est le rôle de Kamel Daoud.
Autre indicateur de la connivence des grands médias dans le cas de Kamel Daoud et de la protection de cet auteur par le lobby précité : sa condamnation pour « coup de couteau intentionnel » sur son ex-femme. Kamel Daoud a en effet été condamné par le tribunal d’Oran (Algérie) en 2019 pour ce crime et les médias algériens l’ont rapporté. Comment alors expliquer ce silence total de la part des grands médias sur ce sujet ? Pire, Kamel Daoud est présenté comme un défenseur des droits des femmes !
Pour moins que cela, des personnalités publiques ont été vilipendées et traînées dans la boue sur la scène médiatique. Mais pas dans le cas de Kamel Daoud. Il reçoit le prix Goncourt et continue de parler de « la liberté des femmes » sur tous les plateaux de France et de Navarre.
Comment êtes-vous devenu intéressé par cet auteur ?
J’ai rencontré Kamel Daoud en lisant ses articles dans le Quotidien d’Oran. Il avait acquis une grande popularité en critiquant ouvertement le gouvernement et les échecs de la société algérienne, ce qui séduisait les lecteurs.
Cependant, ses écrits ont progressivement glissé de la critique constructive à l’insulte envers sa communauté, de l’impertinence intellectuelle à la vulgarité de l’insulte. Puis, il développe un discours soutenant la nostalgie de la colonisation avec des affirmations telles que « la terre appartient à ceux qui la respectent. Si nous, Algériens, n’en sommes pas capables, autant le rendre aux colons ».
Par la suite il a exprimé son aversion envers la langue arabe qu’il considère comme morte ou « langue de colonisation » alors que le français est la « langue de la liberté ».
De mon point de vue, le paroxysme de la haine de soi a été atteint par Kamel Daoud avec l’affaire du viol de Cologne. Sans même attendre les résultats de l’enquête (qui ont révélé qu’il s’agissait d’un pur canular), l’éditorialiste a qualifié les réfugiés arabes de “violeurs potentiels”. Et pour affirmer sa vérité, celle destinée aux lecteurs du monde des « lumières », du monde « civilisé » : « L’opinion publique occidentale découvre, avec crainte et agitation, que le sexe est un mal dans le monde musulman et que ce mal s’étend également à ses pays. » .
C’est cet épisode du « trop » qui m’a poussé à écrire, en 2016, un livre sur l’idéologie véhiculée par les écrits de Kamel Daoud. Ce travail m’a valu à l’époque beaucoup de critiques sévères et de noms. Mais huit ans plus tard, les innombrables frasques de cet écrivain néocolonisé ont fini par me donner raison, de l’avis d’un nombre croissant de lecteurs avertis. Il est difficile d’avoir une longueur d’avance. Mais mieux vaut tard que jamais, non ?
Ahmed Bensaada, « Kamel Daoud : Colonia Contre-enquête », éd. Frantz-Fanon, Algérie 2026
Kamel Daoud, « Pourquoi je ne suis pas « solidaire » avec la Palestine », Le Quotidien d’Oran, 12 juillet 2014, p.3
Kamel Daoud, « Kamel Daoud. Lettre à un Israélien inconnu », Jewish Tribune, 26 octobre 2023, https://www.tribunejuive.info/2023/10/26/kamel-daoud-lettre-a-un-israelien-inconnu/
Christiane Chaulet Achour, « « Houris » de Kamel Daoud ou… écrire sa propre catabase », Collatéral, 17 septembre 2024, https://www.collateral.media/post/houris-de-kamel-daoud-ou-%C3 % A9écrivez-votre-propre-catabase
Thomas Serres, « Autopsie d’une défaite et notes de combat pour la prochaine fois », article 11, 2 mars 2016, http://www.article11.info/?Autopsie-d-une-defaite-et-notes-de
Alain Gresh, « Bidar, ces musulmans qu’on aime tant », Le Monde Diplomatique, 25 mars 2012, http://blog.mondediplo.net/2012-03-25-Bidar-ces-musulmans-que-nous-objectifs – donc beaucoup
Kamel Daoud, « La pauvreté sexuelle dans le monde arabe », The New York Times, 12 février 2016, http://www.nytimes.com/2016/02/14/opinion/sunday/la-misere-politiquele-du – monde -arabic.html?_r=0
Ahmed Bensaada, « Kamel Daoud : contre-indication de Colonia », SUR. Cit.
fonte : investigation’Action.net