À chaque crue importante, le niveau maximum atteint est marqué, appelé borne de crue. Une façon simple et indélébile de se rappeler jusqu’où l’eau peut atteindre. Après les inondations du 17 octobre en Haute-Loire, de nouveaux balisages seront ajoutés sur la Loire et le Lignon. D’autres rivières plus modestes le mériteraient également. Cette inondation importante met en évidence le rôle de ces repères.
« L’eau est montée ici, elle peut remonter par là… ». Voici l’inscription que l’on peut lire sur un panneau placé à côté d’une borne de crue en bordure du Lignon. Quelques lignes pour rappeler qu’une marque de crue est « un témoin des crues passées. Ces marques indiquent le niveau atteint lors d’une crue. Les informations fournies doivent être préservées pour entretenir la mémoire collective et transmettre la connaissance du risque.Une marque de crue avait été peinte sur ce linteau de fenêtre d’une maison de Peyredeyre au bord de la Loire. Depuis, la pierre a été réutilisée et ne correspond plus au niveau d’une crue. L’écriture reflète une inondation à la fin du 19e ou au début du 20e siècle.
Une définition simple qui résume bien leur rôle. Car après chaque inondation, on nettoie, on répare, les arbres repoussent au bord des cours d’eau et à mesure que les cicatrices s’estompent, on finit peu à peu par oublier que le niveau de l’eau peut aussi remonter. haut, et plus encore… D’où l’importance de laisser une trace, une marque indélébile sur un support visible pendant plusieurs siècles.
160 ans de bornes d’inondation à Brives
À Brives-Charensac, il existe deux échelles de crues (une sur chaque rive du fleuve) qui fournissent plusieurs références aux crues depuis près de 160 ans. « Il n’y a pas encore de nouveaux repères installés pour 2024, mais il y en aura », explique Jean-Paul Bringer, premier adjoint au maire de Brives-Charensac. La DDT (Direction Départementale des Territoires) est venue réaliser des marquages à partir des « marques de crue », les traces laissées par le niveau de l’eau. » Sur la digue de Charensac, transférée cette année à la communauté urbaine du Puy-en-Velay, une échelle a également été installée. « La DDT a mis en place une échelle millimétrique sur la digue et ils nous ont demandé de bien identifier le niveau de la crue du 17 octobre », poursuit l’élu. Autant de repères, dans une commune maintes fois touchée, qui permettront d’analyser l’impact d’aménagements comme l’immense chantier du plan Loire Grandeur Nature dans le lit de la Loire entre 1996 et 1999. les deux échelles Brives crues prennent en compte les crues « avant travaux » et après.Balise de crue au Moulin du Mas Boyer à Mazet-Saint-Voy. Cette année, le Lignon est monté 20 cm plus bas.
Le marqueur (parfois gravé sur une pierre d’un pont, une plaque vissée, etc.) est le moyen le plus efficace de rappeler que ce qui est déjà arrivé peut surtout se reproduire. Après la crue de référence du 21 septembre 1980, seules celles de 2003 (dans une moindre mesure) et surtout de 2008, avaient laissé des traces. Il faudra désormais compter avec 2024. Ces repères de crues permettent de mieux comprendre comment et pourquoi les pics sont atteints. Sur la Loire, les niveaux étaient très variables le 17 octobre.
Au lendemain des crues, nous indiquions que cette crue de la Loire était la plus forte depuis 2008. Quelques jours plus tard, ce constat est à la fois vrai et faux… À Brives-Charensac et Goudet, le niveau d’eau était bien supérieur à celui de la crue du 2 novembre 2008. L’eau est montée à Brives 50 cm plus haute qu’il y a 16 ans ! Mais immédiatement après, comme à Chadrac ou Peyredeyre, le niveau est très légèrement inférieur à 2008, comme partout en aval. Une telle observation mérite donc quelques explications. « En 2008, il a beaucoup plu sur la Borne et le Dolaizon qui étaient en crue importante et se jettent dans la Loire juste en aval de la Chartreuse », explique Jean-Paul Bringer. Le 17 octobre dernier, ce n’était pas le cas : ces deux rivières n’avaient pas beaucoup grandi. Cette fois, l’eau est venue d’en haut, de la Loire en amont avec des pluies torrentielles en Ardèche, alors qu’ici, il n’est pas tombé une goutte de pluie jusqu’à trois heures du matin. »Une borne de crue placée sur le pont de Baccarat au Puy-en-Velay indique la plus forte crue connue à Dolaizon. Toutes les dates gravées dans la pierre ne sont pas lisibles. L’une d’elles correspond à une crue de 1872. Photo LC
Même au Bas-en-Basset, la Loire était à un niveau plus bas en 2024 par rapport à 2008 et n’a pas causé de dégâts majeurs. Là encore, le pic de crue de son principal affluent, le Lignon, était déjà passé il y a trois heures lorsque la Loire a atteint son plus haut niveau au pont de Bas-en-Basset. Tout nouveau balise inondation installé dans les mois ou années à venir sera donc précieux pour continuer à tirer les enseignements de ces épisodes. Mais avant cela, il faut d’abord garder une petite trace visible, même un simple trait de peinture, du niveau maximum atteint par l’eau le 17 octobre 2024.
A Peyredeyre, il n’existe qu’une seule borne de crue du 21 septembre 1980 accrochée au viaduc ferroviaire, 300 mètres après le village. Au milieu des maisons, rien… Alors un habitant (photo ci-dessus), Jean Gibert, a eu la sagesse de prendre un burin pour graver sur le mur de son garage le niveau incroyable atteint ce jour-là par la Loire. 44 ans après les crues meurtrières du fleuve, c’est un important ouvrage de mémoire qui mérite à son tour un marquage officiel. Une centrale hydroélectrique EDF portant une cote de crue : celle de Monistrol-d’Allier avec ici le niveau atteint le 21 septembre 1980.
Un site officiel recense les niveaux atteints
Vous souhaitez connaître le niveau d’eau le plus élevé enregistré près de chez vous, ou savoir où se situent les marques d’inondation sur votre lieu de pêche préféré ? Rien de plus simple, il suffit de se rendre sur le site officiel : www.reperesdecrues.developpement-durable.gouv.fr
Grâce à une carte interactive, en sélectionnant un périmètre, vous pourrez retrouver de nombreux monuments en Haute-Loire et sur un grand nombre de rivières, pas seulement sur la Loire ou l’Allier, avec leur localisation et photos. Vous pouvez même apporter votre contribution en ajoutant un marqueur d’inondation manquant avec sa photo. Nul doute que de nouveaux repères apparaîtront dans les mois et années à venir dans les secteurs les plus touchés en 2024.A Brives-Charensac, l’ancien moulin de Celle, aujourd’hui médiathèque, abrite une échelle de crue. Il distingue le niveau de la Loire avant (à gauche) et après (à droite) les aménagements réalisés dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature. Seules les inondations de 1996 et 2008 ont été répertoriées à droite. Il faudra désormais ajouter celui de 2024, environ 50 cm plus haut que 2008.
Sur l’Allier, la crue dévastatrice de 1866 fait encore référence
Dans le jardin du Prieuré qui jouxte l’arrière de la basilique Sainte-Croix de Lavoûte-Chilhac, la petite plaque apposée il y a 158 ans surprend. C’est même un peu effrayant quand on réalise que l’Allier en crue a complètement plongé la presqu’île de Lavoûte-Chilhac sous l’eau.
Le maire de Lavoûte-Chilhac, Christian Dauphin, montre le niveau absolument effrayant atteint par la crue de l’Allier le 24 septembre 1866 dans le jardin du prieuré derrière la basilique Sainte-Croix. Photo Lionel Ciochetto
Contrairement à la Loire où la crue de 1980 fut la plus dramatique, sur le fleuve Allier en Haute-Loire, la crue du 24 septembre 1866 fait référence. C’est un véritable miracle que personne n’ait été tué. Le journal L’Abeille Brivadoise a dressé un rapport effrayant sur la désolation le long du fleuve à la suite de cet épisode violent. « A Lavoûte-Chilhac, 30 maisons ont été détruites. La plupart des habitants sont sans asile, sans ressources et beaucoup sans vêtements », peut-on lire. « Saint-Julien-des-Chazes offre un spectacle déchirant. Vingt maisons ont été emportées ou détruites, huit autres ont été gravement endommagées. La nourriture, les meubles, le linge et les vêtements ont été emportés. Les habitants sont obligés de recourir à la charité publique.
A Prades, cinq maisons ont été détruites par les inondations. L’histoire de la crue de Langeac en 1866 donne des frissons. « A 18 heures, des bateaux de secours ont dû être mis en place pour libérer les riverains de la rue du Pont de Langeac. A 6 heures et demie, le pont du Costet disparaît avec la maison du gardien, et à minuit le pont de Langeac s’effondre à son tour. » A Brioude, l’Allier « a presque atteint le talus ferroviaire ». Quelques jours plus tard, Napoléon III envoie le général de Failly constater les dégâts. Il « a pris conscience des désastres de Lavoûte-Chilhac. Ce n’est qu’à la vue des brèches créées par l’Allier et des rochers exposés, seuls vestiges des habitations des habitants, qu’il parvient à expliquer la formidable crue du 24 septembre.
Lionel Ciochetto