L’argent est une chose. La dignité en est une autre. « Mes parents nous avaient promis de bonnes bouteilles pour Noël. Devant les 30 convives, ils ont sorti deux caisses de vin d’une enseigne discount. » Les retraités pensaient avoir acquis de grands vins. « J’ai vu la honte dans leurs yeux », tremble encore leur fille, ce mardi 5 novembre, devant le tribunal de Bayonne. Un Angloy de 44 ans et son complice, basés à Ambarès-et-Lagrave (Gironde), y ont été jugés pour abus de faiblesse.
Entre 2018 et 2021, le quadragénaire achetait des bouteilles à bas prix chez un grossiste pour les revendre cinq à dix fois leur valeur. Les clients sont tous d’un âge avancé. Les méthodes sont décrites comme insistantes. « L’idée qu’un individu ait pu faire pression sur ma mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, m’est encore insupportable », déplore une autre partie civile. Après la première livraison de bouteilles, la vigilance des voisins et des aides à domicile a permis de conjurer les vendeurs, revenus à la charge. «J’ai été obligé de condamner la porte. Ma mère ne comprenait pas pourquoi elle se retrouvait enfermée. »
7 000 euros pour six cartons
Au total, 32 plaintes ont été déposées. 25 finalement conduit à des poursuites. Les victimes, principalement originaires des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, sont âgées entre 78 et 98 ans. La plupart souffrent de troubles cognitifs. «Certains ne se souviennent ni de la transaction ni du prix payé», explique la présidente, Mélanie Mistral. L’un d’eux, âgé de 86 ans, est resté essoré pendant plus de six mois. Pour 14 000 euros de vins de table. Un autre octogénaire a payé 7 000 euros, en trois chèques, pour 36 bouteilles. Les vins coûtent entre 6 et 16 euros dans n’importe quel supermarché.
« J’ai effectué des centaines et des centaines de livraisons. 32 plaintes, je trouve ça raisonnable »
Le total des dégâts est estimé à 40 000 euros. «J’étais là pour livrer, j’ai ignoré le prix», explique le principal prévenu. L’ancien vendeur de voitures d’occasion affiche un bavardage à toute épreuve. D’une voix chaleureuse et confiante, il confirme le minimum. Sert d’explication pour le reste. « Les prix étaient élevés, c’est vrai. Comme quand j’achète un parasol à 10 euros sur le marché, quand on peut trouver le même ailleurs à 3 euros. » Son rôle se serait limité à prendre le chèque, voire à descendre le vin en cave. « Cela durait cinq minutes, on ne traînait pas car il pouvait y avoir huit livraisons dans la journée. »
Entreprises Lambert
Pour les enquêteurs de la brigade de recherche de Bayonne, il a fait plus. Dans une opacité savamment entretenue. “On ne sait plus qui fait quoi, ni qui a vendu quoi”, résume le procureur, Jean-Claude Belot. La police a lié l’accusé à neuf entreprises en trois ans. Certains enregistrés sous son propre nom. D’autres sous celui d’un SDF soupçonné d’être un homme de paille. Ces entreprises ont contracté avec un centre d’appel au Maroc. Les clients ont été contactés par téléphone. « Les prix ont été négociés depuis le Maroc, qui m’a envoyé les commandes. J’ai respecté les prix et les quantités indiquées», se limite à préciser le prévenu.
Un mode de fonctionnement adopté par d’autres sociétés dans toute la France. « Le centre d’appels nous a conseillé de mettre « Lambert » dans le nom de notre entreprise. Se faire passer pour Lambert (sic) permettait de collecter plus facilement de l’argent. » Le centre d’appel marocain a perçu entre 50 et 75 % du produit de la vente. « En seulement deux mois, vous lui avez versé 90 000 euros », illustre Jean-Claude Belot. Le défendeur ne démonte pas. «C’est normal. J’ai effectué des centaines et des centaines de livraisons. 32 plaintes, je trouve cela raisonnable. J’ai toujours laissé ma carte de visite avec mon numéro personnel et mon nom. »
Interrogé, le directeur du centre d’appel marocain avance une autre version. « Il prétend que vous avez sélectionné les clients, les avez rappelés après démarchage. Selon lui, les personnes âgées n’étaient pas ciblées, mais elles étaient plus facilement accros. »
Pour l’accusation, l’abus de faiblesse est bien constitué. Outre l’indemnisation des parties civiles, le procureur requiert dix-huit mois de prison, dont six avec sursis pour le prévenu principal. Huit mois avec sursis pour l’autre, bien moins impliqué. L’avocat de la défense revient à l’essentiel. “Nous ne sommes responsables que de nos propres actes”, déclare M.e Antoine Tugas. « On peut retourner l’affaire dans tous les sens, dire que la confusion a été entretenue, que l’acte dommageable a eu lieu au moment où la vente a été scellée. » Autrement dit, au téléphone avec le Maroc. L’avocat plaide pour la libération. Le tribunal rendra son délibéré le 10 décembre.