Comme une blessure qui ne se referme pas… Six ans après les effondrements du 63, 65 et 67 rue d’Aubagne, les riverains n’ont pas oublié » ce jour là ». « Il était 9h, j’étais juste devant, on a vu un gros nuage de poussière jaune » se souvient Naamar qui détient « depuis des années », le magasin d’alimentation juste à côté de la place du 5 Novembre. Un cri, ” alors plus rien » poursuit-il, « pendentif deux semaines, tout le quartier a été bouclé, les gens sont traumatisés ».
Depuis, ” J’y pense parfois, c’étaient tous mes clients » sourit-il tristement. Il se souvient des derniers achats de Julien, la veille du drame : « Il avait acheté des chips, du rosé, sa mère est venue le voir, et puis voilà, miskine. Il n’aurait pas eu le temps. » Et Simona, « un paquet d’œufs et de champignons, une omelette ? Je lui ai dit en riant… » Puis plein d’amertume, « ces gens sont partis pour rien « . Lui, qui a vécu dans l’un de ces immeubles jusqu’en 2016, se souvient bien de l’état de délabrement. En 2019, il a été expulsé du 53 où il s’était installé, suite à un danger. Traîné d’hôtel en hôtel pendant deux ans, pendant que son propriétaire effectuait les travaux du bâtiment, il rentrait à peine dans… un appartement temporaire.
Un peu plus loin, au PMU, Tata, l’une des personnalités du quartier, n’a également rien oublié » ces jeunes » qui l’a aidé à organiser les courses. Avec de gros moulinets de canne, elle se dit « en colère contre ces propriétaires qui ne pensent qu’à percevoir le loyer «, disent aussi les rats, les fenêtres qui ne ferment pas » aujourd’hui chez moi ».
Plus bas, à 52 ans, chez Saloum couture, on ne s’en remet pas vraiment non plus. ” Quand on est arrivé pour ouvrir le magasin, il y avait des barrières partout, on ne travaillait pas, c’était trop triste » se souvient le fils du patron, pas vraiment serein. ” On se dit que ça pourrait encore arriver » s’inquiète-t-il.
« C’est très simple pour moi, chaque fois qu’il pleut j’ai peur et ma fille aussi. », témoigne Nora, la boulangère qui dirige la boulangerie d’Aubagne, à 37 ans. » J’habite un peu plus haut, j’y passe tous les matins. Le 5 Novembre, c’est l’anniversaire de mon père, je me suis réfugié sous le pont pour lui téléphoner, c’est ça qui m’a sauvé. » Sa sœur, Soraya, qui tient un salon de coiffure dans la rue avec son mari confie que de temps en temps elle s’arrête devant la « dent creuse » mais « pas comme ces touristes qui arrivent en groupe avec un guide pour prendre des photos, c’est macabre » s’indigne-t-elle. Coup du sort, elle ajoute qu’elle habite rue Jaubert (5e), et croit revivre le pire lorsque l’immeuble voisin de la rue Tivoli est détruit par une explosion.
Parties civiles ou pas, tous iront en jugement, certains se sont d’ailleurs rendus à la manifestation dominicale organisée par le collectif du 5 novembre. En suivant deux de ses membres, Fabrice et Stéphane, rue Pollack dans une distribution de tracts, on se rend compte que le traumatisme reste fort dans tout le quartier. Étudiants partagés qui arrivent, jeunes propriétaires ou occupants d’une minuscule chambre de bonne, ils témoignent, au-delà du drame ancré dans leur mémoire, d’un fort sentiment d’injustice. ” Tout le monde a tourné le regard, maintenant il faut que les choses changent » affirme Charles, vivant lui-même dans un immeuble en danger…