ENTRETIEN – Maia Sandu, candidate sortante, a remporté dimanche le second tour de l’élection présidentielle. Une victoire liée à son discours en faveur de l’Union européenne, qui a mobilisé la diaspora, analyse le chercheur Florent Parmentier.
Maia Sandu, candidate sortante, a remporté dimanche le second tour de l’élection présidentielle moldave avec 55,33% des voix malgré la forte ingérence russe. Deux semaines plus tôt, les Moldaves avaient approuvé à une courte majorité l’inscription de sa vocation européenne dans la Constitution. Ces deux votes ont beaucoup à voir avec la mobilisation de la diaspora, majoritaire favorable à l’intégration dans le camp occidental.
Florent Parmentier est docteur en sciences politiques, secrétaire général du CEVIPOF (centre de recherches politiques de Sciences Po Paris) et chercheur associé au Centre de Géopolitique d’HEC. Il est l’auteur de La Moldavie à la croisée des mondes (non-place editions, 2019).
LE FIGARO.- Comment analyser les résultats du second tour de l’élection présidentielle en Moldavie ?
Florent PARMENTIER. – Maia Sandu a remporté une nette victoire. Elle se situe dans la fourchette haute de ce que prédisaient les sondages, qui peinent à estimer la mobilisation de la diaspora moldave. Celui-ci a voté à 80% pour Maia Sandu. Pourtant, son adversaire, le socialiste Alexandr Stoianoglo (plutôt proche de la Russie, NDLR), a obtenu la majorité des voix sur le territoire moldave avec 51 % des voix. La large victoire de Maia Sandu est donc une défaite sur le terrain. Cela fait suite à un faible succès lors du référendum validant l’adhésion à l’Union européenne (50,4%) il y a deux semaines. Enfin, la participation est assez nettement supérieure à celle des seconds tours de 2016 et 2020, pour les précédentes élections présidentielles.
Maia Sandu a obtenu presque le même nombre de voix qu’il y a quatre ans. Son adversaire, en revanche, s’est largement mobilisé en Moldavie. La carte électorale est, à cet égard, frappante. Si 80 % de la diaspora a voté pour le président sortant, la Gagaouzie (une région autonome peuplée de Turcs où l’empreinte russe est très forte, NDLR) a voté à 97 % pour Alexandr Stoianoglo. A Taraclia, 94% des voix lui sont également favorables, même si cette région est marquée par une forte minorité bulgare. Ensuite, le Nord et le Sud du pays votent traditionnellement pour des candidats dits pro-russes et le Centre et l’Ouest pour des candidats dits pro-européens. Cette dynamique n’a cependant pas favorisé le candidat de l’opposition qui souhaitait imposer un vote sanction à Maia Sandu. Ce dernier a pu recueillir des voix entre les deux tours.
Comment Maia Sandu a-t-elle réussi à créer une dynamique de vote en sa faveur ?
Son discours a changé entre les deux tours. La situation est devenue plus dramatique entre les deux tours. Dès le soir du premier tour, alors que la police évoquait 130 000 achats de voix avant le scrutin, Maia Sandu parlait de 300 000 achats de voix sans apporter aucune preuve.
Ensuite, certains électorats comme ceux d’Irina Vlah (5,4% au premier tour), l’ancienne leader (Ensemble, NDLR) de la région autonome de Gagaouzie ; de Victoria Fortuna (4,5%), soupçonnée d’avoir bénéficié du soutien d’Ilan Shor (un oligarque réfugié en Russie après avoir été impliqué dans le vol de la banque centrale moldave, NDLR) ; enfin, Vasile Tarlev (3,2), ancien premier ministre (2001-2008) du Parti communiste, s’est tourné vers l’opposition. D’autres, en revanche, se sont tournés vers l’abstention. Mais la dramatisation des enjeux a permis une mobilisation importante de la diaspora.
Quelle a été la stratégie de Moscou lors de ce second tour ?
Deux éléments doivent être différenciés : qu’est-ce qu’une influence et qu’est-ce qu’une interférence. Tous les acteurs ont de l’influence. Quand Ursula Von Der Leyen vient dix jours avant le début du vote annoncer une aide de 1,8 milliard d’euros, c’est une forme d’influence ! En cela, elle défend les intérêts de l’Union européenne, tout comme la Russie soutient certains candidats qu’elle estime favorables à ses intérêts.
Moscou a mis en œuvre des techniques de désinformation, mais aussi d’achat de voix avec l’aide d’Ilan Shor. Il a créé une forme de tourisme électoral et a transporté des électeurs moldaves qui ne pouvaient pas voter en Russie car il n’y avait que deux bureaux de vote. Le pouvoir en place à Chisinau n’a pas répondu aux recommandations de la commission électorale centrale qui proposait cinq bureaux de vote, mais les autorités ont assuré ne pas pouvoir garantir leur sécurité. Shor, avec le soutien de Moscou, s’est emparé de cet argument pour organiser le transport des électeurs vers Bakou, Minsk ou Istanbul en avion ou en bus.
Que reflète ce résultat du lien entre la Moldavie et la Russie ?
Premièrement, le soi-disant camp pro-russe s’est transformé. Le candidat de l’opposition reconnaît l’agression russe en Ukraine. Il souhaite poursuivre l’intégration européenne, mais ne souhaite pas adopter de sanctions contre Moscou. Il ne souhaite pas adhérer à l’union eurasienne qui regroupe plusieurs pays de l’ex-URSS. Enfin, il souhaite maintenir la neutralité militaire et travailler avec la Russie lorsqu’elle peut être un partenaire de développement. Nous sommes loin des revendications pro-russes du passé. Cela reflète un lien plus détendu que par le passé avec Moscou, mais aussi une évolution de cette partie de l’électorat moldave.
On observe alors une forme de polarisation du vote en Moldavie. L’électorat de Transnistrie (région sous occupation russe depuis 1992, ndlr) n’est pas celui qui a le plus voté en faveur d’Alexandr Stoianoglo. C’est celui de la Gagaouzie qui est entièrement rattaché à la Moldavie. Cela reflète le désir de l’électorat moldave de poursuivre son intégration dans l’Union européenne sans s’aliéner la Russie, contrairement à ce qui était perçu comme la politique de Maia Sandu : avoir un choix exclusif entre l’Union européenne et la Russie.
La victoire de Maia Sandu est-elle une défaite pour la Russie ?
Oui, car Maia Sandu est celle qui fait le plus pour rompre toutes formes de liens avec la Russie. Cependant, la Moldavie est une république parlementaire. Si le président est élu au suffrage universel depuis 2016, le scrutin qui apportera du changement est le scrutin législatif prévu en juillet 2025. Si Maia Sandu a servi de locomotive à son parti pour la présidentielle, elle aura du mal à obtenir un majorité pour ses réformes au Parlement. Ce résultat donnera une image globale de ce que veulent les Moldaves. Cela sera influencé par le résultat des élections aux États-Unis et par l’issue de la guerre en Ukraine.