La délicate mission de Bettel entre souffrance des otages et misère de la Cisjordanie

La délicate mission de Bettel entre souffrance des otages et misère de la Cisjordanie
La délicate mission de Bettel entre souffrance des otages et misère de la Cisjordanie

“Avez-vous vos passeports?” » demande le chauffeur du bus avec lequel la délégation de presse luxembourgeoise arrivera dans une demi-heure environ au check-point près de Beitunia. De l’autre côté de cette dernière se trouve la Cisjordanie, territoire de fuite des Palestiniens, administré par l’Autorité palestinienne.

Le convoi s’arrête devant une sorte de hangar, sécurisé par une porte haute côté palestinien. Seuls quelques soldats israéliens montaient la garde au point de passage à midi. En fait, ils ressemblent davantage à des civils portant un gilet pare-balles et un fusil d’assaut.

D’une certaine manière, il est ironique, voire cynique, que l’autorité israélienne s’arrête officiellement à cette clôture de barbelés, à ce point de passage, alors que, dans le même temps, les colons israéliens peuvent se livrer à des dépossessions illégales de terres (de manière semi-officielle, mais avec le soutien massif du gouvernement israélien).

L’ensemble de l’environnement autour du checkpoint respire l’atmosphère qui, depuis la guerre des Six Jours (en juin 1967), caractérise les relations de bon voisinage entre Arabes et Juifs dans la région. L’endroit a l’air désolé, les hautes clôtures et les barrières de sécurité dégagent une atmosphère de prison. Des tours de guet en verre blindé complètent l’impression. La poussière monte alors que les voitures s’arrêtent devant le hall.

«C’est ici qu’on change de voiture», explique notre chauffeur, un sexagénaire. Lors du trajet entre la Knesset et Beitunia, il a quand même réussi à tenir ses passagers en haleine avec des propos amusants. « Combien de temps durent deux minutes au Luxembourg ? » » demande-t-il alors que ses collègues veulent toujours prendre des photos rapidement et sont bien sûr en retard. Mais plus la frontière se rapproche, plus les conversations se raréfient et finissent par disparaître complètement.

Le nouveau chauffeur qui prend le relais au checkpoint s’appelle Mohammad, un jeune Palestinien d’une vingtaine d’années et père d’une petite fille, comme le révèle la photo en fond d’écran de son téléphone.

Condamnation à mort pour les otages israéliens ?

Après un court trajet, le convoi a déjà atteint la ville de Ramallah. Le ministre des Affaires étrangères Xavier Bettel (DP) y tient déjà sa quatrième réunion de la journée, après la Knesset. Il parle d’un cessez-le-feu, de la libération des otages, de la solution à deux États et du retrait par Israël de l’aide financière à l’Autorité palestinienne.

Les Palestiniens ont récemment fait preuve de peu d’énergie en s’engageant en faveur de la libération des Israéliens kidnappés par le Hamas, critique Bettel. Plus d’une centaine d’entre eux ne sont toujours pas rentrés et leur sort est incertain. En Israël, leur mémoire est évoquée en de nombreux endroits. Sont-ils encore en vie ? “Mon opinion personnelle est que la mort de Yahia Sinwar (le leader du Hamas, tué à la mi-octobre, ndlr) était en même temps la condamnation à mort des personnes enlevées”, a déclaré Rita Lifshitz aux journalistes plus tôt dans la journée. Jérusalem, lors d’un entretien avec Xavier Bettel.

Je veux te défendre, mais tu dois m’aider à le faire.

Xavier Bettel a déclaré à l’UNWRA

Ministre luxembourgeois des Affaires étrangères

Née en Suède, elle est arrivée en Israël en 1982 et a pris racine au kibboutz Nir Oz. Si elle-même a été épargnée par un heureux hasard, son beau-père Oded, alors âgé de 83 ans, a été touché. C’est un ami des Palestiniens, dit-elle, mais le Hamas s’en fiche. Elle souhaite une coexistence pacifique des deux peuples, tous deux partageant la souffrance. « Nos cœurs aussi sont brisés », prévient Lifshitz.

Ramallah est une ville de plus de 33 000 habitants. Comme d’autres villes et villages de Cisjordanie, elle est nichée contre les montagnes escarpées où les Palestiniens se sont réfugiés ou ont été déportés après la guerre des Six Jours. Il existe de nombreuses nouvelles constructions, principalement des casernes louées, qui n’ont cependant pas grand-chose en commun avec les nombreuses constructions temporaires que l’on voit encore en abondance.

Dans le bus avec les journalistes, on ne parle presque plus. Tout le monde observe l’agitation dans les rues, les écarts révélant régulièrement le paysage époustouflant de la Palestine. Au loin, nous apercevons de nombreuses autres colonies palestiniennes.

Vives critiques à l’encontre de l’UNWRA

Après seulement un court trajet, un grand portail s’ouvre sur une rue secondaire, le convoi pénètre dans une spacieuse cour intérieure. Il s’agit d’une école gérée par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNWRA). L’UNWRA fournit des infrastructures d’éducation et de santé de base dans les territoires palestiniens occupés et est plus qu’une épine dans le pied du gouvernement israélien, du moins depuis les accusations de terrorisme liées à l’attentat du Hamas du 7 octobre 2023.

La cour intérieure d’une des écoles entretenues par l’UNWRA en Cisjordanie. © PHOTO: Jan Kreller

Lundi dernier, la Knesset a adopté deux lois dont les conséquences équivalent à une quasi-interdiction de l’UNWRA en Palestine. Le ministre des Affaires étrangères Xavier Bettel a protesté contre l’entrée en vigueur de ces lois, prévue dans trois mois, lors d’un entretien personnel avec le président de la Knesset, Amir Ohana. « D’ici là, il est impossible de mettre en place une alternative à l’UNWRA », a déclaré Bettel. « Si aucune solution n’est trouvée dans 90 jours, nous connaîtrons la prochaine catastrophe humanitaire. »

La cour de l’école est grande. Là où les enfants jouent pendant les récréations, les gardes du corps regardent désormais nerveusement autour d’eux. Presque tous les bâtiments voisins dépassent le bâtiment scolaire. Quatre gardes du corps ont également fait le déplacement depuis le Luxembourg, toujours proches du ministre des Affaires étrangères et les plus discrets possibles.

Xavier Bettel est accueilli dans la cour de l’école par des représentants de l’UNWRA, dont l’Allemand Roland Friedrich, coordinateur de l’UNWRA pour la Cisjordanie, et originaire de la région de Coblence sur le Rhin. “Depuis le 7 octobre, nous constatons une augmentation croissante du chômage”, explique Friedrich. Cela s’ajoute au taux de chômage de 30 % en Cisjordanie. Dans les camps de réfugiés, ce taux est encore plus élevé, entre 50 et 60 %.

“Nous sommes très inquiets de l’impact de ces lois”, poursuit Roland Friedrich. Il cite les conséquences exactes si elles entraient en vigueur : « Nous n’obtiendrons plus de visas pour les collaborateurs internationaux, nous aurions des difficultés dans les transactions financières et serions donc obligés de fermer assez rapidement des institutions. Ce qui, de notre point de vue, aurait une influence très négative sur la stabilité de la Cisjordanie et de l’ensemble de la région.»

Coucher de soleil en Cisjordanie. © PHOTO: Jan Kreller

Le coordinateur de l’UNWRA explique que les Palestiniens considèrent ces lois comme une tentative de créer des faits politiques. Il craint que la situation en Cisjordanie ne devienne incontrôlable « si les lois sont effectivement appliquées de cette manière ». Les chiffres montrent à quel point l’organisation onusienne est importante pour la survie de la population. Selon Friedrich, l’UNWRA gère 96 écoles, trois centres de formation professionnelle, 43 établissements de santé et un hôpital rien qu’en Cisjordanie.

Nous avons des directives très strictes pour que notre personnel enseignant enseigne des sujets controversés de manière à encourager la pensée critique des étudiants.

Roland Friedrich

Coordonnateur de l’UNWRAR pour la Cisjordanie

Sur les 800 000 réfugiés enregistrés en Cisjordanie, la moitié bénéficie des services de l’UNWRA. À cela s’ajoutent des services directs dans 19 camps de réfugiés comptant au total 230 000 habitants ainsi qu’une aide sociale et une aide à la reconstruction supplémentaires pour environ 200 000 Palestiniens.

Pour Friedrich, le coordinateur de l’UNWRA, il ne reste que le principe de l’espoir : « Nous espérons qu’il sera possible de mener un dialogue constructif avec nos partenaires israéliens pour voir comment les lois peuvent être appliquées sans mettre en danger la stabilité de la région. »

Le manuel scolaire contient de la terropagande

Il existe des critiques tout à fait justifiées, notamment dans le domaine de l’éducation des plus jeunes. L’accusation de terrorisme se manifeste dans un manuel scolaire que le ministre des Affaires étrangères Bettel a visiblement reçu entre ses mains lors de son entretien à la Knesset. Un « Post It » rose marque une page sur laquelle le terroriste palestinien Dalal Mughrabi est représenté et apparemment fait martyr dans le livre.

Mughrabi, alors âgé de 18 ans, faisait partie d’un groupe de terroristes qui, sur ordre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ont détourné un bus sur l’autoroute côtière près de Tel Aviv le 11 mars 1978 et assassiné 38 civils israéliens, dont 13 enfants. . Plus de 70 autres occupants ont été blessés. Le but de cet acte terroriste était de perturber les pourparlers de paix en cours entre Israël et l’Égypte. Mughrabi a été tué lors d’affrontements avec la police et les forces spéciales israéliennes.

La page du manuel scolaire fourni par l’Autorité palestinienne montre l’auteur de l’attaque, Dalal Mughrabi. © PHOTO: Jan Kreller

Concernant les accusations contre l’UNWRA, « beaucoup de désinformation » circule selon Friedrich. Quoi qu’il en soit, l’agence humanitaire des Nations Unies partage la liste du personnel avec Israël depuis des années. L’UNRWA ne dispose pas de ses propres manuels scolaires, il utilise ceux de l’Autorité palestinienne et contrôle les manuels et les programmes « chaque année pour vérifier qu’ils ne violent pas la neutralité ». Les manuels et les programmes scolaires sont en outre examinés « depuis des années » par des organisations internationales telles que le Parlement européen et les pays donateurs en raison de leur contenu controversé.

« Nous avons des directives très strictes pour que notre personnel enseignant enseigne des sujets controversés de manière à encourager les étudiants à réfléchir de manière critique à ces questions », explique Friedrich. Ce dernier ajoute : « En même temps, il faut dire que les Palestiniens de Cisjordanie vivent sous occupation militaire depuis 1967 et vivent une réalité qui influence leurs propres capacités d’apprentissage. »

Xavier Bettel confronte la direction de l’UNWRA avec ces accusations. « Je veux vous défendre, mais vous devez m’aider à le faire », glisse le ministre des Affaires étrangères. « Pour le moment, je ne suis pas diplomate. Je t’ai dit que tu n’étais pas parfait, mais que tu pouvais t’améliorer. Bettel n’a pas reçu de réponse ce jour-là.

Et c’est ainsi que se termine cette journée en Palestine, avec le retour au checkpoint de Beitunia. Pendant ce temps, la nuit est tombée. Le lendemain, lorsque le soleil se lèvera sur les collines au-delà d’Umm Safa en Cisjordanie et du Mur Occidental à Jérusalem, rien n’aura changé pour personne. Et c’est un fait avec lequel les gens ont appris à vivre.

Cet article a été initialement publié sur le site Internet du Luxemburger Wort.

Adaptation: Julien Carette

 
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