C’est un livre puissant, issu de la famille des textes de Jim Harrison, qui explore les liens que l’Homme entretient avec la Nature. Questionnant l’ordre des choses, sondant l’instinct de révolte, Sandrine Collette nous plonge dans « Madeleine avant l’aube » dans une histoire de familles plutôt malheureuses qui, comme le notait Tolstoï dans l’incipit d’Anna Karénine, sont ici chacune à leur manière.
Nous nous retrouvons dans un lieu à l’abri du temps. Un petit hameau appelé « Les montées », où la vieille Rose lutte pour survivre, et les jumelles Ambre et Aelis s’affairent autour de leurs maris Eugène, le débardeur forestier et Léon, le sabotier qui ne pense qu’à boire. La terre qui frémit sous leurs pas lourds, qui ne leur appartient pas et où ils travaillent sans relâche, reste obstinément avare. L’homme et le cheval marchent côte à côte et chacun se hâte. de cette lenteur presque hypnotique de gros corps épuisés après une journée de travail. »
Les trois garçons d’Aelis ne sont pas non plus paresseux, l’énergie étant leur marque de fabrique. C’est là qu’apparaît un jour Madeleine, une petite fille des forêts affamée et sauvage, qui, perdue dans une grange, est découverte par Rose. Adoptée par Les Montées, elle ravit ses habitants par son courage, et sa propension à tordre le coup de la désastreuse réalité. Intrépide, bravant tous les interdits, recueillie principalement par Ambre qui fait d’elle sa fille de cœur, elle qui n’a pas pu avoir d’enfants, Madeleine incarne une sorte d’emblème de la révolte des femmes, une étincelle, un chant d’espoir. Sans marqueurs spatio-temporels précis, «Madeleine avant l’aube» dont l’action peut se situer un peu avant la Révolution française s’inscrit de manière flamboyante dans l’œuvre de Sandrine Collette dont l’écriture rappelle souvent celle de Jean Giono. Rappelons également que son précédent roman « Nous étions des loups » a remporté le prix Giono en 2022, en même temps que le prix Renaudot des lycéens.
La place des filles et de la famille
« Ce livre » explique Sandrine Collette m’a mis trois ans à écrire, après avoir mis quatre à cinq mois pour imaginer l’intrigue qui s’appuie sur des faits réels. ” Madeleine avant l’aube » est un hommage non dissimulé à ces femmes qui décidèrent en octobre 1789 de marcher sur Versailles. Leur action préfigure sans aucun doute l’arrivée d’une aube nouvelle. “ J’ai très à cœur que mon roman soit perçu comme une manière littéraire de parler de la place des filles et de la famille, de la saluer dans tout ce qu’elle peut apporter, d’honorer le refus d’abandonner quoi qu’il arrive, de magnifier l’amour inconditionnel qui sauve et élève les humains, et étend le récit à la relation que nous entretenons avec les animaux », explique le romancier.
Développant l’idée que ce sont les petites histoires qui font la grande, inscrivant pour lui montrer les destinées de dizaines de personnages dans une succession de descriptions panthéistes, (on se souviendra entre autres de l’émouvante figure de Bran qui vieillit sur Rose, ou de Eugène qui s’insurge contre l’idée de travailler la terre), Sandrine Collette signe un roman d’amour, de douleur et d’obstination, où il est montré que nous sommes contaminés par la nature dans laquelle nous vivons. Cette nature, et c’est l’un des aspects positifs du livre, nous façonne souvent de manière positive.
“La peur nous empêche d’agir”
Ce roman féministe qui ne s’impose pas comme un pamphlet contre les hommes (même s’ils s’inclinent trop souvent) et qui se veut rempli de colère et de tendresse, nous montre, comme l’explique Sandrine Collette, que « c’est la peur qui nous empêche d’agir et que nous pouvons surmonter grâce aux personnes qui nous aident. » La solidarité intergénérationnelle étant l’un des moteurs de cette fiction plus vraie que nature. Vivant de son métier d’écrivain dans un village de 250 habitants et 4 000 vaches, faisant cette existence isolée qui, dit-elle, «s’adapte très bien», terreau de ses rêves et de ses histoires, cette auteure atypique et sincère nous propose avec « Madeleine avant l’aube » une histoire poignante aux entrées multiples dont le dernier mot est « rire » où l’on affirme qu’une simple flamme dans le cœur et dans les yeux des honnêtes gens » va (peut-être) un jour brûler le monde.
Jean-Rémi BARLAND
« Madeleine avant l’aube » de Sandrine Collette – d’après Lattès – 248 pages – 20,90 €