la résistance au bord du gouffre (1/2)

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Ukraine : la résistance au bord du gouffre (1/2)

Par Alain Lipietz

Une victoire de Trump le 5 novembre, entraînant le retrait du soutien militaire américain à l’Ukraine, pourrait mettre fin à la guerre en faveur de la Russie de Poutine, quelles que soient les implications que cela aurait en Europe. En effet, un nouveau bloc international, le NaCA, pour un capitalisme national autoritaire, semble se former, non sans contradictions.

Dans les semaines à venir, le destin de l’Ukraine, et par extension de l’Europe, se jouera sans aucun doute dans quelques comtés de l’un des rares « swing states » des États-Unis d’Amérique. Car si Trump gagne, il imposera à nouveau, comme l’ont fait ses élus à la Chambre des représentants l’hiver dernier, la fin du soutien militaire à la République d’Ukraine et tordra le bras de son président, Zelensky, pour imposer la victoire de Poutine. Soit l’annexion des cinq oblasts du Donbass et du sud revendiqués par Poutine et la « neutralisation » du reste : un copié-collé des accords de Munich (1938) proposant à Hitler l’annexion des Sudètes, peu avant sa prise de contrôle du reste de Tchécoslovaquie.

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La Russie, occupant Odessa, deviendrait alors contiguë à la « Transnistrie », sécession pro-russe de la Moldavie, offrant à Poutine toutes les chances d’envahir ce pays, candidat officiel à l’Union européenne, mais où les récentes élections ont montré le pouvoir d’ingérence. Russes. Et bientôt, au nord, se poserait la question du « couloir de Suwalki », séparant l’enclave russe de Kaliningrad, sur la Baltique, du reste de la Russie, en passant par la Pologne et la Lituanie. Situation similaire au célèbre corridor de Dantzig, point de départ de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Mais les Européens ne sont pas prêts à « mourir pour Suwalki », ni psychologiquement, ni surtout militairement, sans le soutien des États-Unis, que Trump a promis d’abandonner. Et sans compter les effets irréversibles d’une victoire de Trump sur la lutte pour sauver le climat de la planète.

L’Ukraine et nous avions, il y a un an, un avant-goût d’une victoire de Trump : le Parti républicain des États-Unis, complètement trumpisé, a réussi à bloquer l’aide américaine pendant six mois. Ukraine. L’avantage des Russes devint irréversible. Ce qui a confirmé l’analyse de mon article d’octobre 2023 paru dans AOC (« Y a-t-il des « camps » dans cette guerre ? – Ukraine : le temps des doutes 1/2 »). S’il y a un « camp » politique dans cette guerre, ce n’est pas le camp « anti-impérialiste américain » ni le camp du « Sud global », c’est celui du capitalisme national autoritaire (NaCA), celui de Poutine, Xi Jinping, Ali. Khamenei, Kim Jong-un, Orbán… et, pour l’instant dans l’opposition, Trump et Marine Le Pen.

Certes, la situation à la Chambre des représentants des États-Unis a fini par se résoudre en 2024, mais sans effet de rattrapage : les armes non fournies depuis six mois n’ont tout simplement pas été produites parce que les seuls bénéficiaires de la guerre, les sociétés d’armement américaines, devaient faute de commandes, n’avait aucune raison de les produire. Cependant, l’Europe, qui sous Gorbatchev et Eltsine « a reçu les dividendes de la fin de la guerre froide » (et j’approuve cela), ne dispose pas d’un arsenal suffisant et ne pourra pas remplacer l’aide américaine si elle s’éloigne. Pire encore : l’Allemagne, déjà en grande difficulté économique et politique, envisage de réduire de moitié son soutien à l’Ukraine.

La NaCA, « une menace pour la démocratie », est un concept très efficace avancé par Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel. Il désigne des partis qui, dans l’opposition ou au pouvoir, se caractérisent par une combinaison de libéralisme économique et d’illibéralisme politique, remettant en cause les avancées réelles du droit international et de la politique morale au cours de la seconde moitié du XXe siècle. On peut évidemment attribuer le succès mondial, y compris lors des récentes élections au sein de l’Union européenne, de ce courant qui domine aujourd’hui la majorité de la planète aux conséquences désastreuses pour les classes populaires du néolibéralisme économique, hégémonique depuis les années 1980. pays du « Sud » : une réaction contre le fantasme d’hyperpuissance des États-Unis sous l’ère Bush, après l’effondrement de l’Union soviétique.

Le paradoxe est que la NaCA est, en fait, aussi libérale que le « consensus de Washington », mais elle a été capable, idéologiquement, de rejeter la faute sur un ennemi extérieur et sur les siens « vendus aux idées étrangères » et d’appeler à une un pouvoir fort pour « balayer les parasites » : le fascisme des années 1930 ne s’est pas déroulé autrement.

Si Trump gagne, l’Ukraine et ses alliés d’Europe occidentale se retrouveront dans une situation pire que celle de la Pologne, de la et de la Grande-Bretagne en 1939, après l’accord Hitler-Staline.

Intelligemment, nos auteurs soulignent la dimension souvent religieuse de cette tendance. Il s’agit évidemment d’une approche rétrospective visant des évolutions jugées trop rapides par une partie de la population, qui conteste le mode de vie « dégénéré » des citadins instruits. Un « retour de bâton anti-wokiste », à forte composante viriliste, rejetant pêle-mêle la « peste intersectionnelle » : féminisme, indifférence à l’égard de l’homosexualité, antiracisme, écologie… Cette dernière se heurte à un déni croissant même si les crises écologiques (climat réchauffement et effondrement de la biodiversité, ouvrant la voie à de nouvelles maladies infectieuses et menaçant l’approvisionnement alimentaire) représentent désormais une menace majeure, imminente et palpable pour l’humanité toute entière.

En clair, Vladimir Poutine a su jouer la carte de l’alliance des dictatures réprouvées, et notamment des deux États les plus « parias » de la planète : la Corée du Nord et l’Iran de la répression de la Femme, de la vie, de la liberté et du placement de soi, en toute honte de la part de la Russie, sous le protectorat de la Chine. Nouveauté ces derniers mois : cette alliance, initialement niée au nom du droit international et du respect de l’intégrité territoriale de chaque pays (en l’occurrence : l’Ukraine), est sortie de sa cachette. Limitée d’abord au refus des sanctions, puis au contournement du boycott, elle est désormais ouvertement et militairement active. L’Iran dépouille la Russie d’un arsenal de missiles initialement destinés au bombardement d’Israël, une entreprise chinoise est désormais accusée de livraison directe de missiles (et non plus de « pièces à double usage ») à la Russie et, faisant un pas en avant décisif, au Nord La Corée, qui a déjà livré cinq millions d’obus et de roquettes à la Russie, envoie douze mille hommes combattre en Ukraine.

A ce noyau dur s’ajoutent trois autres cercles. D’abord, un « cercle de dictatures » peu solide, conquis ou maintenus avec l’aide de la Russie et de l’armée Wagner : la Syrie d’Assad, les nouvelles dictatures militaires du Sahel. Ils ont vaincu la menace de l’islamisme sunnite radical dans les pays arabes, mais n’ont pas réussi au Sahel.

Plus sérieusement, les BRICS, ancien club de puissances régionales dont l’une (la Chine) est devenue une superpuissance, dominée par des dictatures mais incluant le Brésil, qui s’est ouvert l’an dernier à tous les pays dits « intermédiaires » et autoritaires. Un succès fou : en octobre prochain, tout le « Sud global » se précipite au sommet des BRICS à Kazan, autour de Poutine.

Enfin l’OPEP+, qui, en refusant à Joe Biden d’ouvrir le robinet du pétrole, a permis à la Russie de brader son pétrole à ses alliés « de facto » (ceux qui refusent les sanctions), mais à un prix qui lui permet de financer sa guerre. Un réseau de plus en plus hétérogène, mais qui a bénéficié cette année d’une immense victoire morale : le soutien sans faille de Joe Biden et Olaf Scholz au gouvernement Netanyahu (typiquement NaCA en tous points), malgré les destructions systématiques depuis Gaza, aujourd’hui depuis le Liban (même chrétien) ) et dans une moindre mesure de la Cisjordanie et de ses attaques contre les deux piliers de l’ONU dans la région : l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) et la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Le « double standard » devenant évident, l’Ukraine et ses amis n’obtiendraient certainement plus le soutien quasi unanime de l’Assemblée générale de l’ONU, qui a condamné les invasions russes de 2014 et 2022.

Face à une coalition déjà formidable, si Trump gagne, l’Ukraine et ses alliés d’Europe occidentale se retrouveront dans une situation pire que celle de la Pologne, de la France et de la Grande-Bretagne en 1939, après l’accord Hitler-Staline. , avec en plus la victoire de Lindbergh sur Roosevelt aux élections américaines. Mais la situation peut encore changer.

Premièrement, Trump peut encore perdre (même si l’on sait déjà qu’il contestera sa défaite). L’Espagne et la France ont échappé de peu à la victoire du camp NaCA au printemps dernier, la Pologne en est sortie, la Turquie semble en voie de disparition. Ensuite, le talon d’Achille de « l’arc NaCA », c’est… Na, le nationalisme, qui l’empêche de se construire en un « Axe » solide : le chacun pour soi est la règle. Un bloc Poutine-Xi-Modi est déjà instable, y ajouter Trump le plongerait dans un abîme de contradictions. Trump (dont l’enquête de Bob Woodward a montré la force persistante de ses liens avec Poutine) ne soutient traditionnellement la Russie que contre la Chine, et aussi contre l’Inde.

Déjà, le président brésilien et le prince héritier d’Arabie Saoudite ont fait pâle figure au sommet des BRICS à Kazan. La néofasciste italienne Giorgia Meloni préfère, sur l’Ukraine, suivre l’Europe occidentale plutôt qu’Orbán. L’Arabie saoudite a rompu l’unité de l’OPEP+ en redémarrant sa production pétrolière. Les conflits du début du siècle (islamisme radical contre « juifs et croisés », sunnites contre chiites) ne demandent qu’à se rallumer.

En face, le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, comme celui de l’ONU, António Guterres, restent inflexiblement favorables au soutien de l’Ukraine, alors que cette dernière apparaît de plus en plus comme le grand défenseur des voisins d’Israël et des droits de l’homme face à Netanyahu. L’Union européenne compte un vice-président et ministre des Affaires étrangères particulièrement mobilisé contre la menace russe sur l’Europe de l’Est : l’ancien Premier ministre estonien Kaja Kallas.

Alain Lipietz

Économiste, ancien député européen (Verts)

 
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