Être parent d’un enfant né d’un viol

Être parent d’un enfant né d’un viol
Être parent d’un enfant né d’un viol

A peine arrivée dans son appartement, Zoé* s’empresse d’exhiber fièrement une photo de ses trois enfants.

Maude Petel-Légaré

Collaboration spéciale

« Ce sont mes trois beaux enfants. C’est mon fils qui a 6 ans. C’est mon deuxième qui a trois ans et demi. Ensuite, c’est le petit dernier qui est, au fond, le bébé issu du viol que j’ai subi de la part de mon ex-mari. »

Zoé est une survivante de violences conjugales. Elle a épousé son petit ami du lycée. Un homme charmant, dont elle était amoureuse.

A 19 ans, Zoé tombe enceinte. Petit à petit, son mari commence à restreindre ses dépenses, l’interroge et l’isole. Subtilement, il exerce un contrôle coercitif. Elle se sent obligée de coucher avec lui.

Je n’avais pas d’autre choix que d’agir comme si je le voulais. Je n’avais plus la force de me battre avec lui.

Zoé

C’est au cours de ce cycle de maltraitance qu’elle est tombée enceinte de son deuxième enfant. L’accouchement se passe très mal. Mais cela importe peu à son mari. Impossible pour lui d’attendre qu’elle se rétablisse, il l’a violée, raconte-t-elle.

« Cette relation a été forcée autant psychologiquement que physiquement. »

Les jours passent. Elle ne parle plus. Elle est dévastée. Elle ne sait plus comment se sortir de cette situation. Elle décide de mettre « ça dans un coin de sa tête » et se concentre sur son rôle de mère.

Cinq mois plus tard, Zoé apprend qu’elle est de nouveau enceinte.

J’avais un détachement émotionnel. C’est comme si je le vivais sans vraiment le vivre. J’étais un peu sur « cruise control ». J’ai fait ce que j’avais à faire jour après jour, mais je ne pouvais pas planifier l’avenir comme je l’ai fait avec mes deux autres enfants.

Zoé, au sujet de sa troisième grossesse, suite à un viol

Elle accouche. L’infirmière place son enfant sur le ventre. Elle se fige.

« L’infirmière a posé sa main sur les fesses de ma fille parce que mes deux mains étaient sur le côté de mon corps et que je ne touchais pas l’enfant. […]. Je ne la regardais pas. D’un côté, je me dis : « C’est ta fille, il faut la regarder ». D’un autre côté, je me sentais tellement coupable que je ne m’en sentais pas capable. »

« Il y a eu des moments où j’avais envie de revenir en arrière et de me dire que j’aurais dû avorter. À un moment donné, j’ai même pensé à l’adoption. Parce que je trouvais ça très difficile et je ne voulais vraiment pas la faire souffrir de ça. Je ne voulais pas qu’elle ait une mauvaise vie à cause de ça. »

Pour Zoé, le plus douloureux a été de ne pas ressentir un « attachement immédiat » avec sa fille.

« Je trouve très honteux de dire que je ne me suis pas sentie comme sa mère tout de suite, instantanément, et que j’ai ensuite eu du mal à l’accepter. »

Sa peur d’associer sa fille à son agression sexuelle et de la traiter différemment de ses autres enfants s’est estompée ces dernières années. Aujourd’hui, pour Zoé, il n’y a plus de différence entre ses trois enfants. Son dernier est même sa copie conforme et lui rappelle sa force et sa résilience.

« Ai-je le droit d’aimer un enfant né d’un viol ? […] J’ai dû travailler seule en silence, faire le chemin seule en me disant : oui, j’ai le droit de l’aimer. »

« Céder n’est pas consentir »

Après sept ans de violences conjugales et plusieurs tentatives pour quitter son mari, Zoé a réussi, après un appel de SOS Violences Domestiques, à s’enfuir avec ses trois enfants.

Autant je suis restée longtemps pour mes enfants, parce que je voulais que mes enfants aient une bonne vie de famille, autant je suis partie aussi pour mes enfants parce que justement, j’ai dit non, ce n’est pas dans cette ambiance-là où je veux les élever.

Zoé

Aujourd’hui, Zoé considère que ses deux autres enfants sont eux aussi issus d’un viol. « Je vivais des violences sexuelles, mon consentement n’était pas réel, puisque céder n’est pas un consentement. »

Zoé n’a pas utilisé la loi 12 (Loi portant réforme du droit de la famille en matière de filiation et visant la protection des enfants nés suite à une agression sexuelle et des personnes victimes de cette agression ainsi que des droits des mères porteuses et des enfants nés de grossesse projet pour autrui). Elle devrait pouvoir prouver que l’agression sexuelle a eu lieu au moment même de la conception de l’enfant.

« Pour ma cadette, j’ai l’impression que c’est plus facile à expliquer », car au moment de la conception, elle n’était pas encore remise de son accouchement difficile, constate-t-elle. Pour ses deux autres enfants, cela risque d’être bien plus complexe à prouver.

* Prénom fictif pour protéger l’identité des enfants

Cet article a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

 
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