Plus dangereux mort que vivant ?

Plus dangereux mort que vivant ?
Plus dangereux mort que vivant ?

Jeudi 17 octobre, drame. Alors que l’opération militaire à Gaza diminue en intensité mais que le drame humanitaire se poursuit avec l’annonce de possibles famines cet hiver, les Israéliens publient des photos d’un cadavre. Le corps est emmêlé dans les éboulis. Il a un trou béant au front et son genou est en lambeaux. Jusque-là, Tsahal le suivait dans la clandestinité. Grâce à la stratégie dite de la « cocotte minute », qui consistait à exercer une pression constante sur les réseaux de tunnels du Hamas, Sinwar a remonté à la surface près de Rafah.

Il est mort dans un gilet pare-balles avec une Kalachnikov à ses côtés. Celui qui l’a tué n’était pas un « super-héros » des forces spéciales mais un simple soldat qui n’était même pas dans l’armée avant le 7 octobre. La mort de Sinwar n’était pas due à des services de renseignement sophistiqués comme celui d’Hassan Nasrallah. Il est mort dans une bataille de routine comme celle qui s’est produite quotidiennement à Gaza au cours de l’année écoulée. Repéré alors qu’il avançait en compagnie de deux autres cadres du Hamas, il a ensuite été isolé au deuxième étage d’une maison où, blessé au bras lors d’échanges, le tir d’un blindé l’a achevé.

Yahya Sinwar était un ennemi coriace pour Israël et un redoutable stratège. Ces vingt-deux années passées dans les geôles israéliennes lui ont fait comprendre intimement son ennemi dont il maîtrisait parfaitement la langue. Il a déclaré à Yuval Bitton, directeur de la division du renseignement du service pénitentiaire israélien : « La force et la fierté d’Israël – le fait que la plupart des Israéliens servent très longtemps dans l’armée et que les soldats jouissent d’un statut privilégié dans la société – est une faiblesse qui doit être exploitée. » Dès lors, toute action pour lui consistera à prendre des otages, notamment des militaires.

Il est difficile de se rendre compte à quel point cette question des otages conditionne la vie des combattants palestiniens. Dans leur lutte contre Israël, il y a toujours eu une disproportion dans les échanges de prisonniers, et ils jouent à fond. Dans le cas de Sinwar, en 2017, plus d’un millier de Palestiniens, dont lui, ont été échangés contre le soldat franco-israélien Gilad Shalit. Ce fut également le cas du fondateur du Hamas, Cheikh Yassine, échangé contre deux espions du Mossad arrêtés en Jordanie. L’otage est au cœur du rapport de force qu’entretient le Hamas avec Israël. On est donc au cœur du 7 octobre.

Après deux ans de préparation, Sinwar a pris la décision de faire grève. Israël célèbre la fête religieuse de Souccot, un temps de vacances, donc de détente. L’armée est mobilisée en Cisjordanie. Encouragés par les alliés ultra-religieux de Netanyahu, les colons réclament de nouvelles terres, ce qui réactive la colère des Palestiniens. Deux années de manifestations contre la réforme de la justice proposée par Benjamin Netanyahu ont divisé la société. L’avenir des Palestiniens à Gaza n’intéresse plus personne. La surveillance des conversations entre militants a même été interrompue. Sinwar a dû penser que c’était le bon moment. Le plan est audacieux, machiavélique. Pour gagner, le mouvement doit survivre à la réponse israélienne. De son propre aveu, Sinwar n’a aucune certitude…

Le reste après cette annonce

L’État juif répond dans un territoire exigu où sont détenus 251 de ses ressortissants et où s’entassent deux millions de Palestiniens. Sinwar a réussi à placer son adversaire au cœur d’une contradiction : lui faire la guerre, et donc risquer de ne plus jamais revoir les otages. A leur arrivée, 40 000 Palestiniens et au moins la moitié des otages auront perdu la vie. La guerre ne pouvait pas viser à la fois la destruction du Hamas et la récupération des otages, et c’est clairement le premier projet qui l’a emporté. Une telle situation ne s’était jamais produite.

Sans compter que Yahya Sinwar régnait sur tous les êtres vivants à Gaza, en surface et dans les tunnels. Ismaïl Haniyeh n’a été qu’un rouage des négociations. Son élimination en juillet à Téhéran était une victoire pour Israël, mais Sinwar restait la clé. « Nous avons amené les Israéliens là où nous voulions qu’ils soient »» a-t-il écrit dans une lettre interceptée, dans laquelle il admet néanmoins qu’il pensait que Benjamin Netanyahu ferait davantage d’efforts pour obtenir la libération des otages. Bien que le Hamas ait battu en retraite, avec Sinwar à sa tête, il était toujours en mesure de se battre. Sa mort apporte un immense soulagement, mais son exécution sous la menace d’une arme le place désormais très haut dans le panthéon des martyrs du Hamas.

Au panthéon des martyrs du Hamas, Sinwar occupe une place très élevée

Toute sa vie semblait le conduire vers cette issue. N’a-t-il pas déclaré lors d’un entretien : “Le plus beau cadeau que l’ennemi puisse me faire serait de me tuer” ? Le problème pour Israël, c’est qu’il est mort face à Tsahal seul, comme le montrent les images d’un drone israélien dont la publication offre curieusement un formidable objet de propagande à son adversaire… Avec Sinwar, la phrase d’Oussama ben Laden : “Nous chérissons la mort comme vous aimez la vie”prend soudain tout son sens. Son frère Mohammed, un fanatique, est déjà sur les rangs pour prendre la relève.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Douleur et colère après le meurtre de Thierry Vella au centre de Puget-Ville
NEXT son escapade loin de Douchy quelques semaines après le décès de son père