L’histoire nationale nécessaire | La presse – .

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«Nous sommes aussi les héritiers de cette aventure fantastique qu’a été une Amérique au départ presque exclusivement française et, plus encore, de l’obstination collective qui a permis de maintenir vivante cette partie d’elle qu’on appelle le Québec. » —René Lévesque, Option québécoise


Publié à 00h54

Mis à jour à 9h00

« Ce n’est pas haïr les autres que d’aimer son peuple. »

— Léopold Sédar Senghor

À l’annonce de la création d’un premier Musée national de l’histoire du Québec, on aurait pu s’attendre à un énorme « Enfin ! » des professeurs d’histoire. Mais non, au lieu de se réjouir, une trentaine d’entre eux se sont précipités pour signer une lettre en La presse s’inquiéter d’un éventuel « retour au récit national »⁠1. Voici quelques réflexions soulevées par cette lettre.

La priorité

En 2011, à la demande de la Coalition pour l’histoire, la firme Léger Marketing a réalisé un sondage avec une seule question : « Qui a été le tout premier premier ministre de l’histoire du Québec ? « . Résultat : 94% des personnes interrogées n’ont pas pu identifier Pierre-Joseph-Olivier Chauveau⁠2.

Si on avait demandé aux gens d’expliquer qui était Kondiaronk ou de nommer la première personne noire élue à l’Assemblée nationale, le résultat aurait probablement été le même (peut-être que les personnes interrogées auraient connu George Washington, le premier président américain ?).

Lorsque les signataires de la lettre affirment que le Musée doit servir à « mieux faire la lumière sur certains pans méconnus de l’histoire », ils se trompent complètement de priorité. Le Musée doit commencer par redonner aux citoyens le goût de l’Histoire. Aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de mémoire collective, ce n’est pas l’absence de nuances qui nous menace, mais carrément l’oubli.

Histoire et émotions

Selon ces professeurs, « l’élaboration de récits ne doit pas servir explicitement à provoquer des émotions spécifiques, qu’il s’agisse de fierté ou de honte face à certains aspects du passé ». Pour eux, l’admiration des ancêtres, l’amour de la nation et la fierté sont des émotions suspectes qui menacent l’esprit critique.

Cependant, l’esprit critique ne manque pas dans la manière moderne d’aborder l’histoire. Tout est réévalué, remis en question, relativisé, démystifié. Notre vision de nous-mêmes devient nuancée et raffinée. C’est nécessaire et utile. Cependant, exclure l’émotion de l’histoire n’est ni possible ni souhaitable.

L’arrivée des Européens n’est pas neutre, la Grande Paix de 1701 n’est pas neutre, les traces de boulets de canon tirés sur l’église Saint-Eustache ne sont pas neutres. Dissocier l’émotion de l’histoire, c’est dissocier l’histoire de l’humanité.

Si l’on veut mieux vivre ensemble, il faut au contraire nommer, rappeler, mettre en valeur ce que chacun a vécu comme victoires ou défaites, joies ou peines. Nous sommes les héritiers d’un long combat dont nous pouvons être à la fois critiques et fiers.

Aussi imparfaits qu’ils aient pu être, nous avons une dette envers nos grands-pères, nos grands-mères, nos ancêtres. Leurs efforts, leurs combats, leurs exploits doivent être célébrés. Oui, célébré. Grâce à eux, le Québec est aujourd’hui l’un des États les plus riches au monde.⁠3la société nord-américaine où il y a le moins d’inégalités entre les sexes, le moins de pauvreté infantile, etc.⁠4

Bien sûr, nous devons reconnaître nos imperfections, mais il est peut-être plus important pour nous que pour les autres de partager nos réussites. Tous les colonisés ont du mal à s’aimer. La nation québécoise et les nations autochtones ne font pas exception.

Pour nous aider à guérir de ce manque d’estime de soi, l’histoire doit absolument « provoquer des émotions spécifiques », notamment la fierté. Toute décolonisation implique nécessairement un rappel des réussites, de la beauté et de l’originalité de la culture des colonisés.

Une histoire nécessaire

Se priver d’un récit national, se priver d’une certaine continuité historique, c’est se déshériter, c’est nous détacher d’une part fondamentale de qui nous sommes. C’est risquer ce que Gérard Bouchard appelle « l’effritement sans horizon de la micro-histoire ».⁠5. Dans une société où règne un individualisme forcené, ce n’est pas le « nous » qui constitue une menace, mais plutôt l’absence de « nous ».

Lorsqu’il s’agit de faire face à une crise, c’est vers la nation que l’on se tourne. La nation est le lieu de l’engagement collectif, de la démocratie, de la solidarité, du plus grand que soi. Cela produit du sens. La nation québécoise a joué ce rôle tout au long de son histoire, elle a conscience d’elle-même, elle veut se maintenir et son histoire a de la valeur.

Il existe un fait national québécois tout comme il existe un fait national innu, attikamek, cri, etc. L’histoire nationale n’est ni un retrait ni une menace, elle est une présence essentielle, elle est une explication, elle est un ancrage. L’histoire nationale construit le lien social, elle construit un « nous » mobilisateur.

La création d’un Musée national de l’histoire du Québec n’est pas une fin. Il ne remplacera pas les départements d’histoire de nos universités. L’écriture de notre récit national ne sera jamais terminée. S’il doit y avoir un débat, il ne doit pas porter sur l’effacement du récit collectif, mais sur sa capacité à consolider notre avenir commun.

1. Lire la lettre « Les risques d’un retour au « récit national » »

2. Consultez le sondage Coalition pour l’histoire/Léger Marketing

3. Lire l’article « Le « pays » du Québec bien positionné à l’international » du Journal de Montréal

4. Lisez la chronique « Le courage d’être différent »

5. Gérard Bouchard, Pour l’histoire nationaleÉditions Boréal, 2023, 396 pages

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