Frappées par l’inflation et le coût de l’énergie, la chimie allemande est en crise

Frappées par l’inflation et le coût de l’énergie, la chimie allemande est en crise
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Depuis deux ans, les rapports annuels des grands acteurs paraissent moroses. Fin février, le géant mondial BASF publiait un chiffre d’affaires de 68,9 milliards d’euros, soit une baisse de 18,4 milliards en un an ! Evonik a vu son chiffre d’affaires chuter de 17%, à 15,3 milliards d’euros ; Covestro de 20%, à 14,3 milliards ; Wacker de 22%, à 6,4 milliards. Bayer, le seul à avoir conservé une division pharmaceutique, a enregistré une perte nette colossale de près de 3 milliards, qui s’explique aussi par la baisse de ses ventes de médicaments et ses contentieux liés au glyphosate.

Le rebond post-Covid n’aura pas duré plus d’un an pour l’industrie chimique en Europe. La situation est encore plus dure en Allemagne, pourtant leader européen et numéro trois mondial du secteur. Le pays a été frappé par la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine et par l’interruption brutale des importations de gaz russe dont il était fortement dépendant. Pire, l’arrêt de ses derniers réacteurs nucléaires a fait bondir le prix de l’électricité. Multipliés un temps par dix, « les niveaux de prix du gaz et de l’électricité restent deux fois plus élevés qu’avant », souligne Henrik Meincke, économiste en chef du VCI.


Un modèle problématique

Ce choc énergétique a été renforcé par l’intégration verticale de la chimie allemande. Le secteur a conservé d’importantes capacités de production de matières chimiques de base, ces matières premières essentielles à la chimie de spécialités, à plus forte valeur ajoutée et qui absorbent plus facilement les hausses de coûts. Conçu pour sécuriser la chaîne de valeur, ce modèle ne résiste pas à l’explosion des coûts et aux arrêts des unités chimiques de base, perturbant toute la chaîne aval. Citant la France, « plus axé sur les spécialités et la cosmétique », Henrik Meincke confirme que l’importance de la chimie fondamentale en Allemagne explique que« nous nous en sortons moins bien aujourd’hui que nos voisins européens ». De même, dans un rapport publié en février, Eric Haymann, analyste senior chez Deutsche Bank, estime qu’un « une grande partie des pertes de production en 2022 et 2023 sont de nature structurelle ». Il craint que « Il est peu probable que la plupart des sites temporairement fermés soient remis en service. »

Sur ce sujet, BASF constitue encore une fois un exemple emblématique. A Ludwigshafen, le fleuron du groupe, le plus grand complexe chimique au monde avec 200 unités de production et 39.000 salariés, est en difficulté. C’est le modèle absolu d’intégration totale, allant des matières premières aux plus petits volumes de spécialités. Lors de la présentation des résultats annuels de BASF, le PDG Martin Brudermüller a déclaré : “Notre casse-tête actuel en termes de compétitivité, c’est vraiment Ludwigshafen” dont le chiffre d’affaires s’est effondré de près de 8 milliards d’euros en 2023, à 22,8 milliards. Au début de l’année dernière, le groupe avait déjà décidé d’y fermer plusieurs unités (ammoniac, caprolactame, diisocyanate de toluène, etc.) et d’initier des licenciements.


De vastes plans d’austérité

La chimie allemande est également très dépendante de son marché intérieur (37% des ventes). En 2023, ce chiffre d’affaires s’est élevé à 86 milliards d’euros, selon la VCI, soit une contraction de 16% en un an en raison de la baisse de la demande, notamment celle des secteurs comme le BTP et l’automobile. Les ventes totales ont atteint 230 milliards d’euros en 2023, limitant la baisse à 12% sur un an grâce à de meilleures performances à l’export. L’Allemagne maintient également une balance commerciale positive pour ses produits chimiques, les importations ayant diminué au cours des deux dernières années, même si ces derniers mois, « la pression de la compétitivité se fait sentir », avec « une augmentation significative des importations de matières premières en provenance de Chine et d’Asie, note Henrik Meincke. En raison du désavantage concurrentiel en Europe, nous ne produirons bientôt plus de produits de base ou de plastiques standards pour le reste du monde.»

D’autres facteurs structurels affectent la chimie outre-Rhin. Le VCI pointe une réglementation de plus en plus exigeante, notamment en termes de décarbonation de l’industrie, de coût élevé de la main d’œuvre, mais aussi d’un problème d’infrastructures. “Le gouvernement allemand n’a pas suffisamment investi ces dix dernières années” déplore Henrik Meincke, citant « une infrastructure routière vétuste et surchargée, des ponts en mauvais état, un réseau ferroviaire problématique ».

Puissante, innovante et dotée malgré tout d’un réseau industriel parmi les plus performants au monde, la chimie allemande ne va pas s’effondrer demain. Face à la crise, les grands acteurs mènent de vastes plans d’austérité. Le secteur se bat également pour convaincre le gouvernement de mieux soutenir les industries électro-intensives, avec une aide financière à court terme pour faire face à la crise. A l’automne, un paquet de mesures a été convenu sur le prix de l’électricité pour les industriels, pour une enveloppe estimée à 28 milliards d’euros jusqu’en 2028, dont 12 milliards à partir de 2024. A long terme, la VCI réclame davantage de mesures publiques, financières et politiques. soutien, afin d’accompagner l’industrie chimique dans sa transition verte. En attendant, les perspectives immédiates ne sont pas encourageantes. Ni VCI ni Deutsche Bank ne prévoient autre chose qu’une stagnation de la production chimique en 2024.


Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3729 – avril 2024
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