Fred Dewilde – La Mort Emoi – Hommage à un dessinateur plein de (…)

Le reste est flou, baigné de ce je ne sais quoi qui fait que lorsque vous entendez une mauvaise nouvelle, vous plongez dans un état léthargique et semi-conscient avec l’espoir que quelqu’un vous réveillera et vous sortira de cette torpeur. Mais non ! Quelques clics et SMS et l’information est confirmée. Fred Dewilde s’est suicidé deux jours plus tôt. Il y a de mauvais jours, mais certains sont encore pires…

« Merci monsieur, vous avez été une merveilleuse rencontre ». Ces quelques mots qui concluaient notre entretien en février dernier ont été prononcés par Lélia, une jeune élève de 3e qui, comme tous ses camarades de classe, venait d’écouter pendant trois heures le témoignage de Fred.

Trois heures suspendues dans ses paroles, happées par un discours d’une sagesse et d’une humanité sans précédent. Fred Dewilde venu nous rendre visite pour la deuxième fois au collège, il devait revenir en juin pour constater l’aboutissement du travail entrepris avec lui dans le cadre de la mission préfiguratrice du Musée commémoratif du terrorisme.

La première fois qu’il a été invité à Mulhouse, c’était en 2017. Un peu nerveux, nous l’avons contacté car nous nous lancions déjà dans un projet de lutte contre les dérives radicales et le terrorisme. Qui de mieux qu’un témoin direct pour aider les élèves à comprendre ce que génère la violence extrémiste ? Fred Dewilde je venais de sortir Mon Bataclan. Il a immédiatement accepté notre proposition. C’était apparemment la deuxième fois qu’il rencontrait des jeunes. Caché derrière un paravent, il a écouté patiemment pendant de longues minutes les commentaires des étudiants sur chacune de ses planches exposées au CDI du collège. Nous l’avons vu prendre des notes, à l’abri des regards des écoliers. Alors Fred s’est découvert. Ses mains tremblaient, sa gorge un peu serrée. Mais très vite, tout s’est mis en place. Le récit de la soirée du 13 novembre a été le prétexte pour diffuser un discours de tolérance et d’humanité. On sentait la fragilité de ce colosse se briser. Fred se reconstruisait petit à petit en aspirant tout ce que ce jeune public lui renvoyait.

Sept ans plus tard, nous avons trouvé un Fred Dewilde encore plus grand et plus fort. Après ces nombreuses années de contacts à distance, c’est comme si seulement quelques jours s’étaient écoulés après cette première rencontre. Une cigarette à la bouche, il vous saisit avec ses grandes mains pour vous tenir dans ses longs bras, vous récompensant d’un chaleureux ” salut beauté », un peu ironique. Fred c’est comme ça, il est content de te voir, même si ce n’est que la deuxième fois. Tu es déjà son petit-ami. Il ne veut ni restaurant ni hôtel. Pour qu’il accepte de venir vous voir, il faut » rester chez un local », et jamais aux alentours du 13 novembre. Le reste est juste superflu.

Il semble aller beaucoup mieux. Il faut dire qu’il a travaillé sur ses traumatismes. Il les a combattus à travers et dans ses bandes dessinées : La morsure, Conversation avec ma mort, Dessine-moi un traumatisme… Et il y a ses dessins, ses centaines de dessins qui lui permettent d’exprimer ce qu’il ne peut pas garder en lui. Ces millions de petites lignes qu’il nous raconte sont tracées pendant des millions de secondes de thérapie. Cette fois encore, il parle. Mais il ne raconte plus l’événement violent lui-même. Il explique sa reconstruction, sa résilience, une sorte de renaissance. Il est heureux de pouvoir à nouveau travailler, il donne des cours de dessin. Il s’implique dans des associations et voit régulièrement d’autres survivants avec lesquels il participe à des projets.


La musique et la mise en scène complètent depuis quelques temps son travail pictural. Oui, Fred semble aller beaucoup mieux au point que nous avons occulté les passages de son récit dans lesquels il nous raconte qu’il ne parvient pas à dormir de peur de sombrer dans les limbes d’une nuit qui le ramène des années en arrière, mentant et faisant mort dans une mare de sang qui ne lui appartient pas. On met aussi de côté ce moment où il nous raconte qu’il sent encore la poudre et la mort qui l’ont entouré pendant de longues heures au Bataclan. On ne veut pas le voir s’essuyer le corps en racontant ce traumatisme si profondément ancré en lui.


Lélia, toujours elle, demande à son professeur de français si cela pourrait un jour arriver à Fred. Nous sommes quelques semaines après l’arrivée du créateur. La classe vient de terminer ses études Si c’était un homme de Primo Levi. L’écrivain-philosophe s’est suicidé alors que les images d’Auschwitz qui peuplaient son esprit lui étaient devenues insupportables, même des années plus tard. Cela pourrait-il arriver à Fred ? On aurait aimé dire non, que Fred Dewilde est fort, qu’il s’est reconstruit et que ses échanges avec les jeunes, qu’il n’a jamais refusés, l’ont nourri et lui ont redonné goût à la vie.

Mais la morsure est trop profonde et le poison du traumatisme est trop violent et agit dans la durée, de manière insidieuse. La violence commise par des lâches qui pensent avoir le monopole de la bonne foi est insupportable pour ceux qui l’ont vécue. Fred Dewilde je ne voulais pas, je n’en pouvais plus. Le terrorisme tue aussi hors ligne.


Ce ne sont pas ceux qui poignardent un enseignant dans le dos avant de le décapiter qui gagnent. Ce ne sont pas ceux qui ont égorgé les personnes âgées et les civils sans défense dans les églises qui ont gagné. Ce ne sont pas ceux qui entrent dans une salle de concert lourdement armés pour assassiner, en leur tirant dans le dos, des jeunes venus là pour s’amuser qui ont gagné. Non ! Ils doivent croupir entre deux mondes dans la fange de leurs méfaits aux côtés de leurs amis qui attendent toujours les vierges qui leur ont été promises. Non ! Fred Dewilde n’est plus parmi nous, mais il côtoie d’autres dessinateurs qui, comme lui, n’ont jamais baissé les bras et n’ont jamais, même dans les pires souffrances, exprimé de haine envers leurs bourreaux.


Dans certaines spiritualités, on croit que l’âme d’une personne décédée survit grâce aux traces qu’elle a laissées parmi les vivants qui l’ont côtoyé. Il est certain que tous les lecteurs et auditeurs de Fred Dewildetous ceux qui ont eu la chance d’entendre son témoignage et de discuter avec lui portent et porteront à jamais en eux un peu de l’âme de ce grand monsieur.

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