(Idlib) Elle porte des chaussures de sport blanches tendance et un manteau vert forêt qui la couvre jusqu’aux chevilles. Le niqab noir qui voile son visage laisse apparaître ses yeux rieurs et pétillants. Et pour Amani Haj Mohammad, il n’y a pas de plus grande liberté que celle-ci.
Il faut dire que la jeune femme a parcouru du chemin. À 12 ans, Amani a quitté son village de la région d’Idlib avec sa mère pour rendre visite à sa sœur aînée à Raqqa, dans le centre de la Syrie. Lorsque la guerre éclate, la mère et la fille se retrouvent coincées là. Raqqa est tombée aux mains de Daesh, le groupe armé État islamique, qui en a fait la capitale de son soi-disant califat.
Amani a passé son adolescence sous les bombes – et sous une couverture de plomb. Elle a été mariée de force à un combattant saoudien de Daesh. Ce n’est que lorsque le califat s’est effondré en 2017 qu’elle a pu fuir. Elle avait 17 ans. Et deux enfants sous mes bras.
Amani est revenu le 8 décembre à Idlib, fief des rebelles islamistes qui ont pris le pouvoir à Damas. Administrée par les rebelles depuis 2017, cette enclave du nord-ouest du pays pourrait donner un aperçu de la manière dont ils dirigeront demain l’ensemble de la Syrie.
De la place qu’ils feront également aux femmes syriennes.
Le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui gouverne Idlib, adhère à une idéologie islamiste sunnite ultraconservatrice. Anciennement appelé Front Al-Nosra, il a ses racines dans l’État islamique d’Irak et Al-Qaïda. Il a été désigné groupe terroriste par de nombreux pays, dont le Canada.
Mais Amani Haj Mohammad est mieux placé que quiconque pour dire : HTS n’a pas grand-chose à voir avec Daesh. À Idlib, le groupe rebelle n’a pas rétabli la démocratie, loin de là, mais il n’a pas non plus instauré un régime totalitaire qui couperait les mains des voleurs et lapiderait les femmes adultères. Personne ici n’est obligé de fermer boutique en plein jour pour aller prier à la mosquée.
Aujourd’hui âgée de 23 ans, Amani a pu rattraper les années de scolarité perdues à Raqqa, à Idlib. Elle étudie actuellement les sciences pharmaceutiques à l’université. Elle espère travailler un jour dans un laboratoire de recherche.
Un tribunal a annulé son mariage avec le combattant saoudien.
Mais alors, ce niqab ? Amani dit qu’elle le porte par choix. Par conviction religieuse. Probablement aussi, car c’est ce que font la plupart des femmes d’Idlib, contrairement à celles d’Alep ou de Damas.
Personne ne m’oblige à porter [le niqab]. Ce n’est pas comme à Raqqa, où je devais m’habiller tout en noir et me couvrir les yeux, sinon j’étais arrêté dans la rue.
Amani Haj Mohammad, 23 ans
« Le gouvernement n’impose pas de code vestimentaire strict aux femmes ; ce sont eux qui choisissent », insiste Mohamed al-Asmar, porte-parole du « Gouvernement de salut » mis en place par HTS pour administrer l’enclave de 4 millions d’habitants.
Bref, à Idlib, c’est comme ça qu’on vit.
L’anomalie dans ce pays, c’est moi. Sur les marches de l’université d’Idlib, ma tête blonde devient vite l’attraction du jour. Les étudiants, curieux et joyeux, font la queue pour prendre des selfies à mes côtés. Ils sont inscrits en architecture, gestion, mathématiques, physique…
Leur fascination est compréhensible.
La désignation terroriste du HTS par les pays occidentaux garantit que les étrangers ne s’aventurent pas dans la région. Même les Syriens qui ont commencé à visiter Idlib sont surpris ; ils pensaient trouver un bastion terroriste isolé et découvrir la vie moderne.
Mohamed al-Asmar, porte-parole du « Gouvernement de salut » établi par HTS à Idlib
Dans la petite ville voisine de Sarmada, le parking d’Alhmara Mall compte de nombreuses voitures immatriculées à Alep, voire à Damas. Les Syriens viennent de partout pour voir de leurs propres yeux ce rutilant centre commercial à plusieurs étages, rempli de marchandises venues tout droit de Turquie.
“La plaisanterie qui circule ici, c’est que Dubaï sera bientôt jaloux d’Idlib”, dit mon interprète, Ahmad Haj Mohammad, une pointe de fierté dans la voix. Nous n’en sommes (vraiment) pas là, bien sûr. Mais Sarmada, adossée à la frontière turque, est clairement une ville en pleine effervescence, comme en témoigne l’imposant quartier industriel qui s’y développe.
Les services publics fonctionnent bien, en tout cas mieux qu’ailleurs. La région est l’une des seules en Syrie où l’on peut se connecter à Internet très haut débit. Ses habitants ont accès à tout moment à l’électricité et à l’eau courante. A une heure de route, la ville d’Alep ne dispose que de trois heures d’électricité par jour. Elle est aussi très souvent privée d’eau courante.
« C’est à partir de 2021 environ que nous avons commencé à constater de réelles améliorations », explique Ahmad, mon traducteur. L’électricité – fournie à un prix raisonnable par le gouvernement, qui s’approvisionne en Turquie – a changé sa vie, tout comme celle de sa femme. « Il y a un mois, je lui ai acheté son premier lave-vaisselle… »