Victime de viol par un ami, une petite fille doit quitter son école, à la place de son agresseur

Victime de viol par un ami, une petite fille doit quitter son école, à la place de son agresseur
Descriptive text here

« Je suis tombé de ma chaise, je n’aurais jamais imaginé qu’à cet âge quelque chose d’aussi grave puisse arriver. Nous déposons nos enfants à l’école et nous sommes en confiance. » Stéphanie, la maman de Caroline*, est encore abasourdie par ce qui est arrivé à sa petite fille l’année dernière, alors qu’elle n’avait que 7 ans. Fin mars 2023, elle leur raconte avoir subi plusieurs viols de la part d’une de ses camarades de classe, dans une école de Pantin (Seine-Saint-Denis), comme l’a révélé Médiapart.

Ce jour-là, après s’être confiée une première fois à son professeur, Caroline, très agitée et les mains tremblantes selon le récit de sa mère, expliqua que Rebecca*, qui insistait pour être invitée chez eux et se montrait un peu collante, la bloquait dans les toilettes, la forçant à enlever sa culotte et à lui mettre « les doigts dans la gorge ». “C’est arrivé au moins deux fois”, raconte la petite fille, qui avait déjà été examinée près de dix jours avant ces révélations par un médecin qui avait constaté des “démangeaisons vulvaires”, sans que la cause soit identifiée.

Mais ce soir-là, Caroline prend la parole. Elle raconte également les menaces que son agresseur lui a adressées et l’étonnement qu’elle a ressenti. « Elle lui a dit que tous les membres de sa famille boxaient et viendraient la frapper si elle parlait. Elle m’a également expliqué que le visage de Rebecca semblait changer lorsqu’elle entrait dans les toilettes et qu’elle avait eu très peur. Elle a décrit tous les mécanismes du viol», raconte sa mère.

Minimisation

Le médecin est consulté une seconde fois en urgence et adresse un rapport au procureur de la République. Mais du côté de l’école, la réaction est tout autre. Une rencontre est organisée avec le directeur qui, selon les parents, minimise ces faits. Baptiste, le père de Caroline, décrit un moment « horrible » : « Le ton ne colle pas du tout aux événements. La première chose qu’ils veulent savoir, c’est à quelle heure cela s’est produit, si c’est lié à l’école ou au centre de loisirs. Le directeur de l’école est très insistant sur les horaires, nous disant que c’est mot contre mot, que ce sont des enfants. On nous dit qu’on ne peut pas séparer les enfants, car cela serait perçu comme une sanction alors qu’il appartient aux tribunaux de trancher en leur faveur. Il nous est également proposé de changer l’école de notre enfant si nous le souhaitons. » Une proposition inacceptable pour les parents de Caroline, puisqu’elle en est la victime.

Il existe cependant un guide sur le sujet du ministère de l’Éducation nationale, qui recommande que « l’élève agresseur soit changé d’école ou d’établissement scolaire, l’élève victime doit pouvoir rester dans sa classe ». Mais ce guide, comme l’a montré notre enquête réalisée en novembre sur les violences sexuelles entre enfants à l’école, semble très peu appliqué. Caroline reste donc dans le même établissement que son agresseur pendant des mois, avant que les parents finissent, découragés, par changer d’école.

Caroline perd du poids, a du mal à dormir

En attendant, l’école proposera, au bout de trois semaines, et après avoir initialement affirmé qu’elle ne pouvait rien changer à la situation, une étrange solution : les deux élèves changeront de classe, “par mesure d’équité”, précise-t-on aux parents. Le changement de classe s’impose à Rebecca, tandis que Caroline peut « choisir » sa classe. “Il y a eu un côté punition, c’était une deuxième blessure pour Caroline”, raconte sa mère.

Durant ces trois semaines, la santé de Caroline s’est dégradée. Elle maigrit, a du mal à dormir et surtout ne se sent pas écoutée. Depuis les révélations, elle n’ose plus aller aux toilettes de son école. Et pendant deux mois, elle a parlé quotidiennement de son traumatisme à ses parents, qui se sont mobilisés pour lui apporter leur soutien. « La soirée était organisée autour du besoin de Caroline de se confier et de se faire câliner, raconte sa mère. Aucune psychologue n’a été désignée par l’école, dans un contexte de pénurie de psychologues scolaires en Seine-Saint-Denis, et c’est son médecin traitant qui la prend en charge chaque semaine.

Confiné dans le bureau du directeur

Changer de classe ne résout pas entièrement la situation, car les enfants continuent de se croiser pendant la pause déjeuner. Un jour de mai, Rebecca lui a jeté une brique Lego à la tête. Un autre jour, Caroline se dispute avec un hôte, car Rebecca se plaint que son père va finir en « prison » à cause d’elle. La directrice de l’école suggère à la jeune victime d’attendre la sonnerie devant son bureau pour éviter de croiser l’autre petite fille dans la cour de récréation, ce que fait Caroline, mais ce faisant, elle s’isole des autres enfants.

Rebecca a cependant reconnu les faits à la brigade des mineurs, selon les parents de Caroline, à qui l’école transmet l’information. Malgré cela, rien ne change. La raison de cette inaction tient notamment, selon notre enquête, à la manière dont sont rédigés les textes régissant l’école. Selon le règlement type des écoles élémentaires, un enfant peut être expulsé d’une école, mais pour cela il doit avoir répété les faits ou commis d’autres troubles, après leur découverte par l’administration. Et le décret du 16 août 2023, annoncé en grande pompe par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation, n’y change rien, car il vise explicitement le harcèlement et omet les violences sexuelles, pourtant tout aussi répandues selon notre enquête.

Par crainte de poursuites judiciaires de la part des parents, l’Éducation nationale n’impose donc jamais effectivement de changement d’établissement aux parents d’agresseurs potentiels. Dans cette affaire, les parents de Rebecca, que nous avons contactés, rejettent les accusations portées contre leur enfant, sans vouloir donner plus de détails. Et ils n’ont jamais accepté la solution de sortie que leur proposait l’inspection académique.

Double peine pour les jeunes victimes

Ne sentant pas leur fille suffisamment protégée, les parents de Caroline décident de changer d’école. « On ne prend pas assez en compte le fait qu’il souffre. Caroline m’en a parlé comme d’un viol, le médecin l’a entendu comme ça, la police l’a entendu comme ça, et pourtant elle n’a jamais été appelée pour en parler par le directeur, jamais à aucun moment, ils ne sont jamais placés à son niveau pour l’aider. lui», regrette sa mère. Les parents sont peu informés des conséquences pour Rebecca ; ils ne savent pas, par exemple, si elle a été convoquée par l’école ou si elle est surveillée. En octobre, la procédure lancée par le médecin a également été classée sans suite, pour « insuffisance de preuves » selon le tribunal.

Dans tous les cas, l’âge de l’auteur des faits aurait conduit à ne pas donner suite : en dessous de 10 ans, aucune sanction n’est possible. Si les enfants qui agressent sont bien souvent eux-mêmes des victimes qui reproduisent les violences qu’ils ont subies, ou qu’ils ont vues sur les écrans, la double peine infligée aux victimes a des conséquences délétères sur l’apprentissage des frontières. « Cette année, Caroline a rencontré des enfants de son ancienne école, qui lui ont dit : ‘Rebecca dit que c’est parce que tu l’as agressée que tu as changé d’école’ », raconte sa mère. La victime obligée de changer d’école, ressemble aux autres enfants, comme le coupable.

Pas de protocole

Contacté, le rectorat a dans un premier temps refusé d’entrer dans les détails, estimant « le sujet très hautement sensible » et refusant de le « reconstituer », mais sous-entendant deux versions différentes des faits. «Il y a le sentiment d’une famille et le sentiment d’une autre famille», explique son service de communication. Plus tard, ce même service est revenu vers nous et a affirmé que « l’école s’est basée sur les éléments dont elle disposait dans le cadre de l’enquête policière qui n’a pas donné de recommandations particulières ». Bref, l’école s’en prend à la police.

Quant au protocole à appliquer en pareil cas, il n’y en a pas, nous indique le rectorat après plusieurs allers-retours. Les services disposent d’un cadre, et le rectorat l’a communiqué à 20 minutes, mais il ne s’agit pas d’un protocole officiel du département mais simplement d’une contribution d’un inspecteur. En revanche, ce document paraît si vague qu’on peut comprendre pourquoi il apparaît ici comme inexistant ou non appliqué.

Il est précisé que « les mesures sont peut-être prises au sein de l’école pour garantir la protection de l’élève victime », qu’il « peut être nécessaire de demander PsyEN [psychologue de l’Éducation nationale]l’infirmière scolaire ou la direction académique pour aider à évaluer la situation”, qu’une “information concernant” ou un “signalement à l’autorité judiciaire” peut être fait” en fonction de la gravité de la situation « . Bref, la marge d’appréciation est telle qu’il semble difficile de s’y retrouver pour un professionnel. En effet, bien qu’il s’agisse de viols, quasiment aucune de ces mesures n’a été prise, et notamment aucun rapport judiciaire n’a été adressé par l’école.

Aujourd’hui, Caroline continue son chemin, fait de rechutes occasionnelles de crises de pleurs, de « petites crises de panique à l’école » et d’anxiétés ponctuelles. Et elle ne comprend toujours pas pourquoi c’est elle qui a dû changer d’école.

* Les prénoms ont été modifiés

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV La Haute Cour de Calcutta refuse une audience d’urgence sur les allégations selon lesquelles les femmes seraient forcées de retirer leurs dossiers de viol
NEXT Avant une saison des incendies redoutée, le Canada forme ses nouveaux pompiers