La Silicon Valley est-elle en train de changer sous la houlette d’une nouvelle génération d’entrepreneurs plus soucieux des enjeux éthiques et écologiques ? C’est ce qu’on pourrait penser en observant les virages technocritique exploité par quelques jeunes représentants de la Silicon Valley depuis plusieurs années et dont la figure de proue pourrait être Tristan Harris : cet ancien ingénieur de Google qui, rappelons-le, a quitté la firme en trombe en 2015, et milite depuis pour un monde numérique plus vertueux, au sein son organisation à but non lucratif sobrement intitulée Center for Humane Technology.
Et dans le sillage de sa trajectoire, on observe depuis plusieurs années la création d’autres organisations de ce type dans la Silicon Valley, qui attirent des trentenaires repentis de la tech souhaitant mettre leurs compétences au service d’organisations poursuivant des objectifs plus ambitieux. . vertueux. C’est le cas par exemple du Earth Species Project (Pour en savoir plus sur cette organisation, une enquête dans Usbek & Rica), fondé par un ancien entrepreneur en série, dont la mission est de traduire le langage des animaux grâce à l’intelligence artificielle en aide-nous, dit-il, à « nous reconnecter à la vie ».
Reconnecter avec la nature grâce à la technologie : une promesse historique de la Silicon Valley
Cette promesse de reconnexion avec la nature traverse l’histoire de l’épicentre technologique du monde : pour s’en convaincre, il suffit de regarder la trajectoire de l’un des pionniers de la Silicon Valley, Stewart Brand, à l’origine de la publication du Whole Earth Catalog dans les années 1970, un magazine qui préfigurait les capacités d’Internet. Ce biologiste de formation a décidé de publier dans son magazine la première photo de la Terre prise par satellite dans son intégralité dans le but de créer un « sentiment d’apparence » commun et d’aider l’humanité à prendre conscience de la nécessité de préserver notre planète.
Mais la suite du parcours de ce technophile hippie atypique éclaire aussi la conception de l’écologie qui s’est progressivement répandue dans la Silicon Valley. Depuis les années 2000, Stewart Brand est devenu l’un des plus ardents défenseurs d’une écologie dite « pragmatique », et promeut dans ses travaux les technologies les plus controversées : géo-ingénierie, utilisation massive d’OGM, urbanisation de masse ou encore projets de désextinction. .
Une approche technique qui imprègne la nouvelle génération d’entrepreneurs de la Silicon Valley
Mais cette approche techno-solutionniste promue par Stewart Brand n’est-elle pas simplement symptomatique de son appartenance à une génération plus âgée d’entrepreneurs de la Silicon Valley ? C’est effectivement ce que l’on pourrait penser : plusieurs organisations à but non lucratif de la Silicon Valley s’éloignent depuis quelques années de cette approche technique radicale pour proposer des technologies moins invasives et plus respectueuses du vivant. C’est le cas du Earth Species Project évoqué précédemment, qui promet de nous reconnecter au monde vivant en traduisant le langage animal simplement en analysant les données vocales des animaux grâce à l’apprentissage automatique.
Mais même dans ce type d’approche, l’héritage théorique de la Silicon Valley transparaît : penser que la traduction littérale des cris d’animaux en langage humain permettra à terme de communiquer avec eux est une approche simpliste de la vie : les nombreux bioacousticiens qui ont travaillé sur le sujet depuis des années savent que les interactions dans le monde animal s’effectuent par bien d’autres modalités que le son, et qu’il est très difficile de comprendre ces communications en les sortant de leur contexte d’émission.
Preuve que la vision technique conduisant à une simplification du monde vivant est moins une question de génération que de territoire. La Silicon Valley ne sera donc probablement pas le lieu où émergeront de véritables solutions pour répondre aux grands défis qui nous attendent.
