Dix ans après sa canonisation, l’héritage de Jean-Paul II

Ce samedi 27 avril marque le 10e anniversaire de la canonisation de Jean-Paul II, élevé par le pape François au rang de saint en même temps que Jean XXIII. La canonisation du pontife polonais a cependant été célébrée avec moins de faste que sa béatification, le 1er mai 2011. Que reste-t-il aujourd’hui de son héritage à Rome ?

Leur nombre varie de quelques dizaines à quelques centaines selon les semaines, mais le rite est immuable : chaque jeudi matin à 7h10 précises – afin de permettre sa retransmission sur Radio Vatican – les Polonais du Vatican et ceux qui sont en pèlerinage à Rome pour assister à une messe sur la tombe de Jean-Paul II, « leur » pape, l’homme qui a redonné sa dignité à un peuple écrasé par le joug communiste. « Je me souviens très bien de la réaction des gens en Pologne, dans la rue, lorsqu’ils ont appris l’élection de l’archevêque de Cracovie, le 16 octobre 1978 », se souvient un Polonais vivant aujourd’hui en . « Les médias contrôlés par le régime en ont parlé assez brièvement et il n’y a pas eu de grandes manifestations de joie massive, mais dans la façon dont les gens se levaient, marchaient dans la rue, il y avait une énergie, une fierté retrouvée. Ils se tenaient droits. Jean-Paul II avait donné l’espoir à tout un peuple. Ce moment est inoubliable », admet-il.

Localiser l’héritage de Jean-Paul II à Rome, c’est d’abord reconnaître les drapeaux rouges et blancs des nombreux groupes polonais, visibles chaque jour, lors de tous les Angelus et de toutes les audiences générales. Pour des millions de Polonais de toutes générations, le pèlerinage à Rome est une expérience incontournable, y compris pour les personnes aux revenus modestes qui économisent plusieurs années pour faire ce voyage sur les traces de leur pape, qui a régné plus d’un quart de siècle. Souvent, la messe du jeudi matin sur la tombe de Jean-Paul II est célébrée par le cardinal Konrad Krajewski, actuel préfet du dicastère du Service caritatif. Il servit intimement le pontife polonais en tant que cérémonial pontifical durant les dernières années de sa vie, lorsque sa maladie exigeait beaucoup de délicatesse et d’ingéniosité pour lui faire revêtir ses vêtements liturgiques et le soutenir physiquement lors des célébrations. Le regard attentif et inquiet de Mgr Krajewski reste visible sur de nombreuses photos de l’époque.

Mais cet attachement dépasse le seul ressortissant polonais, et touche parfois des profils plus inattendus, comme ce jeune prêtre béninois rencontré lors de la messe de jeudi matin, et qui, sans jamais avoir mis les pieds en Pologne, a pris l’initiative d’apprendre le polonais. langage par passion pour ce pape mystique et intellectuel dont il voulait capter les pensées dans son texte original. Pour les pèlerins italiens, français ou encore américains, le tombeau de Jean-Paul II reste également un passage incontournable lors de leur visite au Vatican. Il n’est pas rare d’entendre des enfants nés en grande partie après 2005, et donc ne l’ayant pas connu, interroger leurs parents sur ce personnage dont ils perçoivent l’importance en constatant le nombre de personnes priant devant sa tombe.

Populaire dans l’âme des Romains

Autour du Vatican et dans la ville de Rome, le visage de Jean-Paul II apparaît encore dans de nombreuses boutiques de souvenirs, dans les communautés religieuses et dans les paroisses. Curé dynamique de la paroisse Saint-Bonaventure, dans un quartier périphérique et difficile de la capitale italienne, Don Stefano Cascio montre fièrement les photos de Jean-Paul II venu bénir l’église en construction à la fin des années 1970, alors que la municipalité était communiste. Rome menaçait d’empêcher sa construction : une histoire qui faisait alors écho à ses propres luttes en tant qu’archevêque de Cracovie. « Tant que sa santé le lui permettait, il était très attaché à son rôle d’évêque de Rome, visitant presque toutes les paroisses de son diocèse », se souvient Don Stefano, admiratif de son courage physique et spirituel, et qui est entré au séminaire sous son autorité. pontificat, avant d’être ordonné prêtre par Benoît XVI en 2008.

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Pour certains Romains plus détachés de l’Église, la succession de trois papes non italiens reste une réalité difficile à assimiler, comme en témoigne cette scène récemment observée dans un restaurant proche du Vatican. Désignant les tableaux représentant des papes contemporains exposés sur les murs du restaurant, une femme élégante les décrit en ces termes : «Qu’est-ce que Polacco et qu’est-ce que Tedesco» – « Celui-ci est le Polonais, et celui-là l’Allemand ». Cette manière de désigner Jean-Paul II et Benoît XVI par leur nationalité est relativement courante à Rome, et démontre la difficulté des habitants de la Ville éternelle à « adopter » un pape venu d’ailleurs, même si, depuis plus de 45 ans, cette réalité rythme de la vie de l’Église locale.

Rompre avec le pape François ?

Originaire d’Argentine, avec une manière de s’exprimer souvent déroutante et provocatrice, le pape François a parfois choqué les visiteurs polonais en donnant l’impression d’être agacé par une forme de culte de la personnalité autour de Jean-Paul II. Sa courte homélie lors de la canonisation d’avril 2014 a déçu de nombreux pèlerins. Sur un registre plus académique et intellectuel, le changement d’orientation à la tête de l’Institut Jean-Paul II pour la famille, organisé durant l’été 2019, est apparu à certains comme une manière de liquider l’héritage du pontife polonais.

Cette interprétation est contestée par l’actuel président de cette institution désormais rebaptisée « Institut théologique pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille ». Interrogé par I.MEDIA en 2023, Mgr Philippe Bordeyne expliquait que « ce que nous utilisons aujourd’hui pour penser le mariage et la famille, c’est à la fois une éthique personnelle et conjugale, et une éthique sociale. La doctrine est tout cela. Mais cela va de pair avec une compréhension fine des difficultés mais aussi des opportunités actuelles. Ce travail correspond au souhait du Pape François pour l’Institut Jean-Paul II : j’essaie de prendre en compte l’ampleur des changements actuels, et de puiser des ressources dans la tradition doctrinale, mais aussi dans la philosophie et les sciences humaines. , pour montrer que l’actualité de l’Évangile reste étonnante aujourd’hui ».

La mosaïque « Mater Ecclesiae » sur la façade du Palais Apostolique, Place Saint-Pierre au Vatican.

© Antoine Mékary/ ALETEIA

Dans cette perspective, faire de la philosophie personnaliste de Jean-Paul II une pensée « fixiste », sans actualiser son héritage intellectuel en tenant compte des défis actuels, ne lui rendrait pas justice. Mais à l’inverse, d’autres s’inquiètent de voir émerger un certain relativisme dans l’Église, notamment sur les questions liées à la morale et à la sexualité. Certaines propositions du Synode allemand ont ainsi suscité une véritable consternation au sein de l’Église catholique en Pologne, tout comme certaines déclarations du pape François sur la guerre en Ukraine, un dossier sensible sur lequel sa position vis-à-vis de la est perçue comme trop complaisante. . Par ailleurs, la déclaration doctrinale Suppliants Fiduciaouvrant la voie aux bénédictions non liturgiques des personnes de même sexe vivant en couple, a donné lieu à de forts malentendus, certains y voyant une rupture avec l’éthique matrimoniale promue par Jean-Paul II.

Une forme de réhabilitation ?

Ce débat sur l’héritage du pontife polonais sera réinvesti en avril 2025, à l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Jean-Paul II. Dans le contexte du Jubilé, cette commémoration donnera certainement l’occasion à ses plus anciens collaborateurs et au Pape de lui rendre un vibrant hommage, après de nombreuses attaques médiatiques contre sa gestion des cas d’abus, qui ont fragilisé la perception de son pontificat, avec certains remettant même en question sa canonisation.

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L’heure est-elle à une forme de réhabilitation de Jean-Paul II ? Le récent document Dignitas infinita le cite douze fois. Et lors de l’audience générale de mercredi dernier, François a salué la mémoire de celui qui l’a fait cardinal en 2001. « En regardant sa vie, nous pouvons voir ce que l’homme peut accomplir en acceptant et en développant en lui les dons de Dieu : la foi, l’espérance et charité”, a affirmé le pontife, demandant à chacun de rester “fidèle à son héritage” et donc de “promouvoir la vie et de ne pas se laisser tromper par la culture de la mort”. La promotion de la « civilisation de l’amour » contre toute polarisation et tout égoïsme reste donc d’actualité et constitue un héritage vivant du pontife polonais.

 
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