Au Niger, « les Etats-Unis préservent l’avenir mieux que les autres partenaires »

Au Niger, « les Etats-Unis préservent l’avenir mieux que les autres partenaires »
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Au Niger, cela fait neuf mois, ce vendredi 26 avril, que le putsch a eu lieu et que le président Mohamed Bazoum a été enlevé, avec son épouse, par les militaires qui l’ont renversé. Le fait marquant de ces dernières semaines est le virage anti-américain et pro-russe pris par les militaires du CNSP à Niamey. Cela signifie-t-il que les Américains ont perdu la partie au Niger ? “ Ce n’est pas si simple », répond Jean-Hervé Jézéquel, qui est directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group.

RFI : Neuf mois après, y voit-on plus clair ? L’ancien président Mahamadou Issoufou a-t-il joué un rôle dans ce putsch ?

Jean-Hervé Jézéquel : Donc, il y a eu beaucoup de rumeurs sur le rôle de l’ancien président Issoufou, du fait de sa proximité notamment avec le général Tiani qui était le chef de sa garde. Je n’ai vu aucune preuve concluante de son implication… Et pour être honnête, j’ai trouvé curieux qu’un président, qui s’était si longtemps méfié de ses propres forces de sécurité, puisse désormais leur confier son avenir, au risque de ruiner un peu son héritage. et en particulier le parti politique qu’il a construit pendant plus de quatre décennies et qui est aujourd’hui complètement déchiré. En revanche, ce qui est inquiétant, c’est la proximité qu’il affiche aujourd’hui avec une partie du CNSP. [la junte au pouvoir au Niger]. Alors le président Issoufou a voulu jouer le médiateur dans les jours qui ont suivi le coup d’État, il semble aujourd’hui se ranger du côté de la raison du plus fort, et cela ne contribue peut-être pas à construire une transition qui assurerait un meilleur équilibre entre civils et militaires. Aujourd’hui, l’essentiel du pouvoir d’État est entre les mains d’hommes en uniforme et, dans un tel système, un démocrate n’a pas beaucoup d’avenir.

Pourquoi les pays de la sous-région CEDEAO ont-ils renoncé à leur plan militaire contre la junte ?

Eh bien, d’un côté la CEDEAO n’avait pas les moyens militaires, et de l’autre, les opinions ouest-africaines n’y étaient pas favorables. Mais je crois que les pays de la CEDEAO ont très vite compris qu’une telle intervention était non seulement risquée, mais qu’elle aurait pu aussi se retourner contre ses initiateurs. Au fond, je pense que la CEDEAO a haussé le ton trop brutalement, trop vite, et a un peu confondu vitesse et précipitation. Une fois le coup passé, il n’y avait plus aucun retour en arrière. Ce sur quoi nous aurions dû nous concentrer à l’époque, mais c’est certainement facile à dire aujourd’hui, c’est plutôt sur la forme de la transition. Peut-être négocier un meilleur équilibre entre civils et militaires, assurer une meilleure participation des forces politiques et de la société civile. Au Mali, lors de la première transition, en août-septembre 2020, la CEDEAO a plutôt bien négocié… Là, en 2023, elle s’est révélée beaucoup moins efficace.

Les Américains ont-ils joué un rôle dans la décision des pays de la CEDEAO de renoncer à toute intervention militaire ?

Les États-Unis n’ont fait que des paroles en l’air en faveur de l’action de la CEDEAO ; il était clair qu’ils ne croyaient pas non plus à la possibilité d’une intervention, après les premiers jours, du moins pas à une intervention réussie, et ils se sont donc engagés dans une approche accommodante envers le CNSP, les nouvelles autorités, essayant, au fond, de préserver les relations, puis aussi préserver leurs bases. Ce n’était pas nécessairement un pari stupide au départ, mais cela n’a clairement pas fonctionné. Les États-Unis sont donc toujours en tension avec le CNSP, d’abord à propos de leur rapprochement avec des acteurs comme l’Iran et la Russie, puis également en raison du refus du CNSP de fixer un calendrier de sortie de transition. sous pression. Et cela a fini par conduire à l’impasse actuelle… Aussi, je pense qu’il semblerait que le CNSP soit resté très méfiant à l’égard de certains de ses voisins de la sous-région, mais aussi de la France. Il soupçonne ces acteurs de vouloir soutenir des actions déstabilisatrices, et donc, face à cette menace, réelle ou non, le CNSP a plus confiance en l’allié russe qu’en l’allié américain. Cependant, on ne peut pas dire que les États-Unis ont été chassés du pays ; il maintient une présence non militaire. Ils maintiennent une présence à travers des programmes de développement et d’aide humanitaire, ils ont toujours un ambassadeur, présent à Niamey, ils parviennent à éviter une sorte de politique de blocs qui voudrait qu’on retourne à une forme de politique de guerre. froid où un pays est soit votre allié, soit votre adversaire. Et je trouve qu’en faisant cela, même si, à court terme, les États-Unis n’ont pas réussi leur stratégie d’accommodement, ils préservent mieux l’avenir que d’autres partenaires.

Cela fait neuf mois que le président Mohamed Bazoum refuse de signer sa destitution et paye ce courage de la prison dans laquelle il est enfermé avec son épouse… N’a-t-il plus aujourd’hui aucun espoir de libération pour lui ?

Nous l’espérons. Son palmarès est de loin le plus intéressant de la région au cours des quinze dernières années. Il refuse de démissionner sans doute parce que c’est le reflet de son parcours de démocrate, de démocrate convaincu, mais c’est aussi ce qui le maintient en détention jusqu’à aujourd’hui.

Et quel intérêt y a-t-il pour les militaires à vouloir le juger alors qu’ils manifestent leur intention ?

Il s’agit peut-être aussi de trouver un nouveau bouc émissaire. Ce que l’on peut surtout constater, c’est que pour l’instant le CNSP n’a pas vraiment mis en place de programme de transition, et qu’en dehors des choix dans le domaine sécuritaire, il n’a pas vraiment mis en œuvre de signes de changement positif pour le pays.

Une solution négociée est-elle encore possible pour la libération du président Bazoum, peut-être avec une médiation internationale ?

Oui peut-être. Beaucoup l’ont tenté ces derniers mois, on a vu plusieurs puissances, plusieurs pays de la sous-région tenter de jouer les médiateurs, jusqu’ici sans succès. Nous espérons donc qu’ils continueront et qu’ils obtiendront la libération du président Bazoum, qui ne mérite visiblement pas le sort qui lui est réservé aujourd’hui.

 
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