A Nancy, deux assistantes sociales menacées de licenciement parce qu’elles étaient voilées

A Nancy, deux assistantes sociales menacées de licenciement parce qu’elles étaient voilées
A Nancy, deux assistantes sociales menacées de licenciement parce qu’elles étaient voilées

Pendant deux heures, le 19 septembre 2024, dans les locaux de l’association Accueil et Réinsertion sociale (AAR) à Nancy (54), deux employés voilés dans CDI ont reçu l’ordre de se débarrasser de « leur signe religieux ostentatoire » ou de sortir. Les deux femmes sont en poste depuis respectivement trois et quatre ans. Durant l’été, leur employeur a introduit un nouveau règlement intérieur qui inclut une « clause de neutralité ». Le président et leur directeur de département leur auraient présenté trois options : le retrait du voile, le licenciement conventionnel ou le licenciement pour faute. Un ultimatum qui ne plaît pas à la majorité des 350 salariés de l’association, comme le révèle France Bleu Lorraine.

Ce vendredi 27 septembre l’association a reçu le soutien du Ministre de l’Intérieur. « Il n’est pas acceptable que des gens cherchent à échapper aux règles communes en matière de laïcité. Je soutiens cette association, opérateur de l’État, qui n’applique que la loi”, a publié Bruno Retailleau sur X. “En tant que ministre de l’Intérieur, je me battrai sans relâche pour faire reculer les séparatismes. »

“Je suis dégoûté”lâche Emma (1), une de leurs collègues :

« Les choses ont été faites de manière très violente. Comment pouvons-nous prétendre être tolérants si nous ne le sommes pas même avec les salariés ? »

Les deux salariés concernés, qui envisagent de saisir la justice, n’ont pas souhaité s’exprimer auprès de StreetPress. «Ils ont peur de ne pas trouver de travail», estime Philippe Blouet, délégué syndical Sud. Son syndicat est monté au front pour dénoncer une clause « discriminatoire » et « une lecture sexiste, paternaliste et islamophobe de la laïcité ». La présidente de l’AARS Valérie Jurin défend une application simple de la loi et s’appuie sur les récentes directives du Comité interministériel de la laïcité. Contactée par StreetPress, elle a déclaré :

« La situation de ces salariés est douloureuse pour tout le monde mais il y a un manque de connaissance et une non-reconnaissance de la loi de leur part. »

Une nouvelle affaire Bébé Loup ?

“C’est incompréhensible. Ce sont des collègues très compétents dans un secteur où il est difficile de recruter », estime Sarah (1), assistante sociale à l’AARS. Les deux salariées voilées font partie du service d’accompagnement aux demandes d’asile de l’association, qui comprend également un centre d’hébergement d’urgence et un centre médico-social. Selon Sarah, ils auraient demandé si elles étaient effectivement autorisées à porter le voile lors de leur embauche : « Cela n’a posé de problème à personne. » Sa collègue Emma ajoute :

« Nous accompagnons un public étranger qui migre en France. C’est compliqué de leur dire qu’on est gentil et qu’on les accepte telles qu’elles sont si on projette l’image que certaines femmes risquent de ne pas s’intégrer. »

Valérie Jurin, administratrice bénévole de la structure, rétorque : « Nous accueillons, au nom de la France, un État laïc. Pour mener un travail dans l’esprit républicain, il est tout à fait normal que ces personnes soient reçues avec neutralité. » Pour la femme nancéienne :

« Nous faisons un meilleur travail social lorsque nous sommes libérés de toutes ces croyances. »

Le conflit entre les salariées voilées et l’AARS rappelle l’affaire Baby Loup, qui avait secoué le pays en 2008. La crèche associative de Chanteloup-les-Vignes (78) avait licencié Fatima Afif à cause de son voile, une « atteinte à la liberté de religion » avait gouverné par l’ONU. Depuis, la vision de la laïcité des gouvernements français successifs s’est encore durcie.

Dommages collatéraux de la « loi contre le séparatisme »

L’association de Meurthe-et-Moselle a mis en place son tout nouveau règlement intérieur le 10 août 2014, alors que de nombreux salariés étaient en congés. La fameuse clause de neutralité impose aux personnels de « respecter une stricte neutralité politique, philosophique ou religieuse dans leurs attitudes, propos et habitudes vestimentaires ». Valérie Jurin assure avoir visé juste. Elle fait référence aux 17 décisions du Comité interministériel de la laïcité, créé en 2021 dans la foulée de la « loi contre le séparatisme » pour remplacer l’Observatoire de la laïcité, accusé de ne pas en faire assez contre l’islamisme.

La première de ces décisions, passée totalement inaperçue médiatiquement, étend l’application du principe de laïcité à « tous les organismes chargés d’une mission de service public ». Mais cela pourrait avoir de graves conséquencescomme l’illustre le cas de l’AARS, qui est un organisme privé doté d’une délégation de mission de service public. Au téléphone, Valérie Jurin continue de marteler son discours :

« Ces deux salariés n’ont pas encore compris le cadre dans lequel ils travaillent, ils ont besoin qu’on leur explique les choses. »

Le président est un ancien élu de droite

Pourquoi le président de l’AARS est-il si zélé ? Enseignante dans un établissement privé catholique sous contrat, Valérie Jurin est une ancienne élue. Pendant vingt ans, de 2001 à 2020, elle a été adjointe du maire de Nancy, Laurent Hénart, figure du Parti radical de centre droit. Son élection à la tête de l’AARS par le conseil d’administration (CA) en 2023 n’est sans doute pas un hasard. Depuis sa création, l’association d’aide aux sans-abri entretient des liens ténus avec la droite locale. Son premier président fut André Rossinot, ministre sous Jacques Chirac. « On sait que notre CA est de droite, on a déjà eu des désaccords syndicaux très forts. Mais jamais de ce type. C’est le reflet de la droite de la société.»analyse Christophe, travailleur social à Sud. Sa collègue Emma est d’accord :

« Parler de laïcité lorsqu’on enseigne dans une école catholique n’est pas neutre. On sait très bien qui sont les personnes ciblées dans cette histoire. »

Pour soutenir les salariés menacés de licenciement, le syndicat Sud appelle à un rassemblement mercredi 2 octobre à 16h30 devant la salle de réunion où se tiendra le conseil d’administration de l’AARS. Consigne du délégué syndical Philippe Bouet : « Venez avec des pancartes religieuses, politiques et philosophiques ostentatoires diverses et variées ! »

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Photo d’Une via Flickr, prise par Patrick à Nancy le 25 mai 2017. Certains droits réservés

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