Pourquoi la France ne compte-t-elle que 7 % d’OQTF « appliquées », bien en dessous de la moyenne européenne ?

Pourquoi la France ne compte-t-elle que 7 % d’OQTF « appliquées », bien en dessous de la moyenne européenne ?
Pourquoi la France ne compte-t-elle que 7 % d’OQTF « appliquées », bien en dessous de la moyenne européenne ?

Le débat ressurgit presque à chaque fait divers, attisé par la droite et l’extrême droite : la France n’expulse pas suffisamment ses étrangers soumis à l’obligation de quitter le territoire (OQTF). Un nouveau chiffre confirmerait, selon eux, cet anathème, puisque la France applique chaque année 7% de ses OQTF, contre 30% en moyenne dans l’UE. Mais le problème est, comme c’est souvent le cas, plus complexe qu’une simple statistique sortie de son contexte.

«Nous avons un faible taux d’exécution en raison du caractère automatique des mesures prises», répond d’emblée Tania Racho, chercheuse en droit européen et membre de Desinfox-migrations. La France prend ainsi entre 120 000 et 140 000 mesures d’éloignement chaque année, un chiffre en augmentation depuis plusieurs années, contre moins de 40 000 pour l’Allemagne. « Dès qu’une personne est en situation irrégulière à un moment donné, elle est sous la menace d’une OQTF lors d’un contrôle », regrette l’avocate Camille Escuillié, spécialisée dans le droit des étrangers et le droit d’asile.

Les OQTF trop systématiques ?

“On dit trop d’OQTF”, estime-t-elle, fustigeant une “volonté de faire des chiffres” liée à “un discours politique” qui vire (très) à droite sur la question migratoire. Et tant pis si l’on délivre des OQTF qui n’ont aucune chance d’être appliquées, au détriment des migrants parfois « parfaitement intégrés ». « Certains ont toute leur vie, leur famille en France », affirme l’avocat, qui défend des clients qui attendaient parfois le simple renouvellement de leur titre de séjour.

Plusieurs facteurs expliquent le faible taux d’application des OQTF. Certaines tombent en désuétude avec la régularisation ou sont annulées par le juge administratif « dans 12 à 20 % des cas », estime Tania Racho. Elle prend l’exemple d’une Ukrainienne qui serait soumise à une OQTF, mais qui serait exposée à la guerre si elle revenait. « Depuis la réforme du droit d’asile, une OQTF est notifiée sous quinze jours en cas de rejet de la demande », rappelle Camille Escuillié.

Le laissez-passer consulaire, un « outil diplomatique »

Dans d’autres cas, “le retour est impossible à organiser”, explique Tania Racho, faute de vols, voire d’infrastructures et de stabilité sur place, comme ce fut le cas en Afghanistan. Sans parler des OQTF « mal rédigés » par des personnels débordés. « Il y a un manque de moyens, on ne peut pas mettre tout le monde en centre de rétention administrative, et organiser un retour coûte cher », argumente l’avocat Camille Escuillié. Il existe en effet une vingtaine de centres en France pour environ 1 500 places.

Il convient également de noter que les retours volontaires ne sont toujours pas pris en compte dans le calcul des OQTF « exécutés », notamment lorsque les migrants partent en franchissant les frontières terrestres. Enfin, « c’est avec les départs forcés que se pose le problème du pass consulaire », explique Tania Racho. Lorsque la personne en situation irrégulière dispose de papiers de son pays d’origine, organiser le retour est plus simple. Mais sinon, il faut négocier avec le pays où vous la renvoyez. Ce qui devient « un outil diplomatique, notamment pour les anciennes colonies de la France, afin d’obtenir davantage de visas en échange », ajoute Camille Escuillié.

Il n’en reste pas moins qu’au final, malgré un taux plus faible, la France expulse au moins autant, sinon plus, que l’Allemagne. « 15 000 expulsions par an, ce n’est pas rien », constate Tania Racho. Mais comment être plus efficace ? Premièrement, en arrêtant de faire des OQTF tout le temps. « Il faut se concentrer sur les cas de menaces à l’ordre public », indiquent d’une seule voix les deux experts interrogés par 20 minutes. Selon CheckNews, sur les 129 681 OQTF prononcées en 2022, seules 9 837 reposaient sur ce motif. Une autre idée avancée par Tania Racho est de se concentrer « sur l’aide au retour, qui serait plus efficace » et aurait le mérite de rendre l’éloignement moins « brutal » que l’escorte menottée sur un vol commercial.

 
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