La rémunération de Carlos Tavares est-elle économiquement justifiée ? – .

La rémunération de Carlos Tavares est-elle économiquement justifiée ? – .
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Ce sont des chiffres qui donnent le vertige à presque tous les travailleurs. Carlos Tavares, le patron de Stellantis, le groupe issu de la fusion entre PSA et Fiat, touchera une rémunération de 36,5 millions d’euros pour l’année 2023. Soit 3,04 millions par mois et 100 000 euros par jour ! Des émoluments qui ont suscité de nombreux commentaires.

Pour comprendre pourquoi le montant de ce chèque annuel a suscité une telle réaction, il faut le comparer à d’autres grandes entreprises françaises. En 2022, selon les données de Proxinvest, la rémunération des dirigeants des sociétés du CAC 40, l’indice boursier auquel appartient Stellantis, n’était « que » de 6,7 millions d’euros.

L’évolution du montant est également surprenante. Carlos Tavares a ainsi bénéficié d’une « augmentation » de 55 % en 2023, après avoir déjà enregistré une augmentation de 34 % en 2022. Avec de telles augmentations, mécaniquement, les écarts salariaux au sein du groupe Stellantis explosent.

Le ratio d’équité, c’est-à-dire le multiple entre la rémunération du PDG et le salaire interne moyen, atteint 518 en 2023, contre 365 en 2022 et un peu moins de 300 en 2021. Les 280 000 salariés de Stellantis ont connu en moyenne des augmentations d’un peu moins de 10 % en 2023. Ce ratio de fonds propres n’était « que » de 89 en 2022 parmi les entreprises du CAC 40.

Un marché mondial pour les grands patrons ?

Montant ou évolution, le cas Tavares est d’un autre ordre de grandeur. Ces cas extrêmes ne sont cependant pas si rares. En 2022, le directeur de Dassault Systèmes, Bernard Charlès, disposait d’une rémunération de 33 millions d’euros. L’entreprise et son patron étant moins connus du grand public, l’affaire n’a quasiment pas fait de bruit médiatique. En 2021, le patron de Teleperformance, Daniel Julien, a gagné 19,6 millions d’euros.

Carlos Tavares se compare à une star du sport : « Comme pour un footballeur et un pilote de Formule 1, il y a un contrat. »

Mais cela ne répond pas à la question : comment expliquer un tel salaire ? La première personne s’est comparée à une star du sport : « C’est une dimension contractuelle entre l’entreprise et moi. Quant à un joueur de football et un pilote de Formule 1, il y a un contrat. » L’argument revient à dire que, pour attirer les meilleurs profils, il faut y mettre le prix, un peu comme pour un Kylian Mbappé ou un Cristiano Ronaldo dans le monde du football.

Sauf que si ces footballeurs changent effectivement de club et de pays (voire de continent) tout au long de leur carrière, existe-t-il vraiment un marché mondial pour les patrons ? Carlos Tavares a effectué une grande partie de sa carrière chez Renault-Nissan, de 1981 à 2014, avant de prendre la tête de PSA – devenu Stellantis en 2021. Une trajectoire impeccable dans l’industrie automobile française, en somme.

Selon une étude réalisée en 2022 par le cabinet Segalen et associés, seules six entreprises du CAC 40 sont dirigées par des étrangers. De l’autre côté du Rhin, les trois grands constructeurs (Volkswagen, BMW, Mercedes-Benz) ont tous des Allemands à leur tête. Le marché mondial des modèles reste en réalité sous-développé.

Normes américaines

Mais la comparaison européenne est limitée, note le comité de rémunération de Stellantis, l’organe du conseil d’administration qui détermine et justifie la rémunération de Carlos Tavares :

« Pour attirer et retenir les meilleurs cadres, il faut considérer un mix d’entreprises américaines et européennes […]. Stellantis doit être considérée comme une entreprise mondiale. »

Les membres de ce comité de rémunération soulignent également que le groupe tire 47% de ses revenus du marché nord-américain. La fusion avec le groupe Fiat a en effet fait entrer dans le giron des marques Stellantis comme Jeep et Chrysler, dont les modèles imposants et chers se vendent bien aux Etats-Unis.

« La rémunération de Carlos Tavares est en effet plus conforme aux standards américains, bien plus élevésexplique François Xavier Dudouet, sociologue au CNRS et co-auteur de Sociologie des dirigeants des grandes entreprises. En 2021, la rémunération des dirigeants des 500 plus grandes sociétés cotées, le S&P 500, s’élevait en moyenne à 14,1 millions de dollars, dont certaines dépassaient largement la centaine de millions. »

Mais alors, les entreprises françaises exerçant une part significative de leurs activités outre-Atlantique s’alignent-elles automatiquement sur les standards américains ? Pas vraiment.

Pour ne citer que deux exemples du CAC 40 : le champion français Air Liquide réalise 39 % de son chiffre d’affaires sur le continent américain et son patron a touché moins de 3 millions d’euros en 2023 ; le franco-italien EssilorLuxottica, numéro un mondial de l’optique, y réalise 45 % de son activité et son dirigeant gagne 5 millions d’euros. L’explication des 36 millions de Carlos Tavares reste donc à trouver.

Aligner les intérêts du dirigeant et des propriétaires

Regardons le détail de cette rémunération. Contrairement à la grande majorité des salariés, les émoluments des top managers sont structurés différemment. La partie fixe – le salaire de base, pour ainsi dire – ne représente qu’une petite partie du total : 2 millions d’euros pour Carlos Tavares, soit seulement 5 % de l’enveloppe.

Depuis plus d’une décennie, la part actionnariale de la rémunération des grands patrons enregistre une croissance continue

Le reste de la rémunération est composé d’une prime de performance de 11,4 millions d’euros, d’une prime en actions de 13 millions et d’une prime exceptionnelle en actions de 10 millions. L’essentiel de la rémunération est ainsi réalisé par le paiement d’actions.

Pourtant, depuis plus d’une décennie, la part dite actionnariale de la rémunération totale des grands patrons enregistre une croissance continue. Représentant moins d’un cinquième au début de la dernière décennie, il représente désormais près de la moitié des salaires des cadres du CAC 40. Le comité des rémunérations de Stellantis ne s’en cache pas :

L’alignement entre la rémunération des dirigeants et les intérêts des actionnaires est au cœur de notre politique de rémunération « .

Une variante de ce que les économistes ont appelé la « théorie de l’agence ». Selon les promoteurs de cette vision, pour éviter que les dirigeants de l’entreprise (appelés agents) ne cachent des informations aux propriétaires de l’entreprise ou n’utilisent les bénéfices de l’entreprise à d’autres fins, rien de mieux que d’aligner l’intérêt du dirigeant avec celui de son propriétaire.

« Cette théorie de l’agence est plutôt un discours venu valider une pratique déjà existante, selon laquelle les managers ne doivent servir que l’actionnaire et sur laquelle s’appuie aujourd’hui la direction des entreprises. »tempère François-Xavier Dudouet.

Des actionnaires reconnaissants

C’est là que réside le plus sûrement l’explication du salaire de Carlos Tavares, ses différentes primes étant conditionnées à l’atteinte d’objectifs de génération de liquidités, de dividendes, de synergies, etc. Car, en termes de valeur actionnariale, ses résultats sont édifiants : le bilan financier de Stellantis les résultats sont excellents.

Le constructeur a axé sa stratégie sur la valeur plutôt que sur le volume, en se concentrant sur les modèles qui réalisent des marges élevées. Malgré une baisse du nombre de voitures vendues, Stellantis a augmenté ses revenus et sa rentabilité. Cela se traduit par un bénéfice record de 18,6 milliards d’euros en 2023 et des marges proches de celles de l’industrie automobile haut de gamme.

Stellantis est devenu un distributeur de cash, qui a versé 12 milliards d’euros de dividendes en trois ans

Stellantis est ainsi devenue une machine à cash, qui a versé 12 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en l’espace de trois ans, auxquels s’ajoutent 2,5 milliards de rachats d’actions. Et le groupe a annoncé en début d’année un nouveau programme de rachat d’actions qui pourrait s’élever jusqu’à 3 milliards d’euros.

Tous ces facteurs ont eu un fort impact sur le cours de l’action et sur la valorisation de l’entreprise, c’est-à-dire la somme de la valeur des actions, qui ne cesse de croître. De 39 milliards d’euros début 2021, elle est passée à 74 milliards d’euros en avril 2024. Les actionnaires ont ainsi vu la valeur de leurs actifs doubler en trois ans.

Puisque les actionnaires (au premier rang desquels figurent pour 14%, la famille Agnelli, héritière du fondateur de Fiat, la famille Peugeot pour 7%, l’Etat français pour 6% et le gestionnaire d’actifs Black Rock pour 3,5%) se partagent des milliards. , ils peuvent sans sourciller accorder quelques dizaines de millions d’euros à Carlos Tavares.

 
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