Comme un symbole, et pourquoi pas le signe d’un apaisement retrouvé, c’est le député Emmanuel Tjiabou, le fils du célèbre leader indépendantiste, l’un des pères des accords de Matignon en 1988, qui a introduit la séance de travail de la délégation interinstitutionnelle calédonienne reçue, ce jeudi, à la présidence du Sénat. « Nous espérons que cet échange apportera de la vitalité […] d’espoir que nous pouvons écrire une nouvelle page.
Autour de la table, des représentants du Congrès et du Sénat calédonien, des députés et sénateurs de l’Archipel, les présidents des groupes politiques de la chambre haute ainsi que le rapporteur général du budget, Jean-François Husson. « Il nous a semblé important de recevoir votre délégation. Ce geste que nous faisons ensemble. C’est un geste d’amitié, mais c’est aussi un geste d’écoute », a déclaré Gérard Larcher.
Les Calédoniens vont devoir être à l’écoute. On compte désormais 13 morts dans l’archipel du Pacifique depuis le début des émeutes qui ont éclaté en mai dernier, après l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale d’un projet de loi constitutionnel visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales.
« Les collectivités n’ont pas les moyens de faire face à cette crise sociale »
« Il s’agit d’une situation d’une grande complexité qui appelle l’État à avoir une attitude extrêmement active en solidarité avec tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie », a déclaré le sénateur LR Philippe Bas en charge du dossier à la Chambre haute. « L’urgence, c’est le traitement de la situation économique et le traitement de la situation sociale avec le rétablissement de la paix civile. » […] Plus de 30% des entreprises calédoniennes sont actuellement en arrêt de travail. Il y a une perte de ressources pour toutes les collectivités qui n’ont pas les moyens de faire face à cette crise sociale.
A l’approche de l’examen du budget, les représentants du Congrès sont venus présenter aux sénateurs leur plan de reconstruction quinquennal, transpartisan, adopté le 28 août dernier, qui prévoit 4,2 milliards d’euros sur 5 ans de la part de l’Etat pour reconstruire l’archipel. « Nous sommes à la veille de l’effondrement sociétal de notre pays […] « Responsables institutionnels, politiques et coutumiers de la Nouvelle-Calédonie, même si nous pouvons avoir des divergences, nous sommes tous d’accord sur un point, c’est qu’il faudra tout faire pour sauver la Nouvelle-Calédonie de l’effondrement », prévient Milakulo Tukumuli, troisième vice-président de la Province Sud, et président d’Eveil océanien.
Egalement en charge du dossier calédonien, le vice-président (LR) du Sénat, Mathieu Darnaud promet que le Sénat « sera particulièrement attentif au chiffrage » des crédits. « Il en va de l’avenir et de la relance économique de la Nouvelle-Calédonie. »
« Le dossier calédonien revient à Matignon comme l’histoire l’a voulu »
De manière mitigée, le bilan de Gérald Darmanin, l’ancien ministre de l’Intérieur, en charge des Outre-mer depuis deux ans, est désavoué. Sa gestion de la réforme institutionnelle, déjà jugée « trop verticale » par les élus de la chambre haute au printemps dernier, avait mis le feu aux poudres. A cet égard, la nomination au poste de ministre en charge des Outre-mer en plein exercice auprès du Premier ministre, de François-Noël Buffet (LR), le président de la commission des Lois, expert du dossier calédonien, est une « première bonne nouvelle » pour Milakulo Tukumuli. « Le dossier calédonien revient à Matignon comme l’a voulu l’histoire. Nous connaissons M. Buffet avec qui nous avons beaucoup échangé. C’est un grand auditeur. Il est attentif au dossier calédonien. Nous avons donc confiance dans l’avenir », insiste Milakulo Tukumuli qui espère rencontrer Michel Barnier et François-Noël Buffet avant le discours de politique générale.
« Le dialogue entre les Calédoniens et un État impartial doit être rétabli »
Si la dissolution a mis un coup d’arrêt à la révision constitutionnelle contestée par les indépendantistes visant à ouvrir le corps électoral, la crise institutionnelle est loin d’être résolue. Les trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, qui ont vu le « non » l’emporter, doivent laisser la place à des négociations entre les parties prenantes en vue d’un accord global sur l’avenir de l’Archipel. Des négociations qui piétinent depuis deux ans, notamment en raison du rejet par les indépendantistes de la réforme institutionnelle « imposée d’en haut ».
Ce sujet institutionnel n’était pas au cœur des discussions du jour mais reste en arrière-plan. « Si nous n’organisons pas la relance économique et la gestion des amortisseurs sociaux, nous aurons beaucoup plus de mal à créer les conditions d’un dialogue fructueux […] « Il faut ouvrir l’avenir. Le dialogue entre les Calédoniens et un État impartial doit être rétabli. Et nous sommes confiants que Michel Barnier et François-Noël Buffet sauront l’incarner », insiste Philippe Bas. Dans les conditions actuelles, la loi organique qui prévoit la tenue des prochaines élections provinciales au plus tard le 15 décembre 2024 paraît difficilement applicable à ce stade. Une décision du Conseil d’État avait pourtant fixé au gouvernement « une date butoir » pour l’organisation des élections provinciales, fixée au 30 novembre 2025, mais une nouvelle date butoir pour le scrutin nécessitera l’adoption d’une nouvelle loi organique avant décembre.
A l’issue de la réunion, le président du Sénat, Gérard Larcher, a indiqué que Philippe Bas et Mathieu Darnaud seraient « chargés d’établir une synthèse » des échanges de la journée. « Je porterai cette synthèse au Premier ministre car le dossier de la Nouvelle-Calédonie doit faire partie de l’ordre du jour et du projet que le Premier ministre nous présentera dans sa déclaration de politique générale. »