« Gino aurait dû être là, maintenant »

La semaine dernière, Simon Pellaud (Tudor Pro Cycling) est arrivé sur le Tour des Alpes en provenance de Colombie, où il s’est installé il y a quelques années. “Je vais être un peu fatigué”, murmurait-il avec sept heures de décalage horaire à gérer… Et il s’est échappé lors des deux premières étapes. A Medellin, le globe-trotter à deux roues, originaire de Chemin-Dessus en Valais, est devenu le « suizo paisa » : « suizo », comme ses origines suisses, et « paisa », comme les habitants de la région d’Antioquia, qui ont adopté aussi naturellement qu’ils ont embrassé leur passion du cyclisme.

A 31 ans, Pellaud est un personnage singulier dans les pelotons, anachronique, “un peu romantique”, comme il le dit lui-même. Il a voyagé, couru dans une quarantaine de pays, levé les bras sur quatre continents (Afrique, Amérique, Asie et Europe)… On l’a vu se lier d’amitié avec Thomas De Gendt, au fil d’évasions partagées sur le Giro. Il était également proche de Gino Mäder, qui aurait dû le rejoindre dans les rangs de l’équipe Tudor avant de perdre la vie suite à une chute lors de la course l’an dernier sur les routes du Tour de Suisse.

Présenté par Gino Mader lors de la présentation du Team Bahrain lors du lancement du Tour de France 2023 à Bilbao

Crédit : Getty Images

On dit souvent que les coureurs n’ont pas le temps de profiter du paysage… Quelle est la différence entre courir au Cameroun, en Malaisie ou au Venezuela ?

Simon Pellaud : Quand on est vraiment en mode course, c’est un peu différent. Mais j’ai l’impression que ces derniers mois, ces dernières saisons, c’est peut-être ce qu’il y a d’autre que la course qui fait de moi un cycliste, plus que la course elle-même. C’est bien d’être coéquipier, de pouvoir aider un coureur à gagner, mais je vais reprendre une phrase d’un coureur que j’admire, Primoz Roglic : raconte-moi un coureur qui a commencé le cyclisme en rêvant d’être gregario… Ce n’est pas le cas exister. Lorsqu’un enfant fait du vélo, ce n’est pas pour rapporter des contenants à un camarade de classe ni même pour profiter de la nature. Tout cycliste professionnel du peloton vous dira qu’il a commencé le cyclisme parce qu’il voulait gagner des courses. C’est quelque chose qui m’a fait réfléchir ces derniers temps. Au final, il faut aussi savoir trouver son équilibre. Je vis en Colombie, je parle cinq langues, j’ai rencontré beaucoup de gens dont des amis qui me sont très proches grâce au cyclisme, et ce n’est pas seulement parce que j’ai gagné des courses.

Et s’il y a un pays qui vous a particulièrement marqué dans tout ça…

SP : Je pense que c’est facile à trouver !

SP : Si je suis resté bloqué là-bas au départ, c’était pour faire du vélo. Le peuple colombien a un respect et une adoration qui, je crois, n’existent dans aucun autre pays au monde.

Est-ce que cela se ressent au quotidien ?

SP : Avant même le culte, il faut commencer par le respect. Les Colombiens travaillent six jours par semaine, ils n’ont pas vraiment de vacances. Je pense donc que le cycliste est respecté pour sa dureté de caractère. A la maison, on vous dit : « Vous faites du vélo ? Oh d’accord. Et avez-vous couru le Tour de France ? Non? Mais alors, que fais-tu dans la vie à part faire du vélo ? Les gens ne réalisent pas forcément à quel point le cyclisme est exigeant.

Si le vélo est si beau, c’est parce qu’il est si cruel

On est régulièrement impressionné par les images de Colombiens sur de vieux vélos, en sandales, qui se mettent à suivre les pros qui s’entraînent. Est-ce que cela vous arrive aussi ?

SP : Tous les jours ! Là, on part tôt pour rouler, vers 6-7 heures du matin, et on revient pour la sortie de l’école vers 13-14 heures, et quand je traverse mon village j’entends des cris : « Nairo ! », « Rigo ! Ce sont les deux coureurs (Nairo Quintana et Rigoberto Uran, ndlr) les plus influents en Colombie. Pour les jeunes, voir un cycliste, c’est aussi une évasion, une porte ouverte sur l’Europe. Et c’est pour ça que ça fait vraiment rêver les jeunes. En Europe, rouler cinq ans dans une équipe WorldTour avec un salaire de 30 à 50 000 euros n’est pas forcément un rêve. En Colombie, avec un salaire comme celui-là, vous pouvez subvenir aux besoins de vos parents, de vos grands-parents et de vos enfants. Cela fait quatre générations qui vivent grâce au vélo si on le fait bien. C’est une sorte d’eldorado sportif.

Simon Pellaud, crée un fantasme dans l’échappée lors de la 20ème étape du Giro

Crédit : Getty Images

Vous avez invité d’autres pros, comme Annemiek van Vleuten, à partager votre entraînement en Colombie. Que veux-tu leur montrer ?

SP : Cet hiver encore, j’ai fait venir un collègue suisse, Arnaud Tissières, pour trois semaines. Quand j’étais chez IAM Excelsior, j’ai réussi à faire participer l’équipe au Tour de Colombie. Là, il y avait tout le staff, tout le monde. Pas mal de monde est déjà venu me voir et j’espère que ce n’est pas fini ! J’ai aussi en tête l’idée d’organiser des voyages à vélo pour montrer aux Européens ce qu’est la Colombie profonde et l’incroyable territoire qu’elle représente pour le vélo.

Si on résume, le vélo est-il beau ?

SP : Oui, le vélo, c’est beau. Disons que cela a des côtés vraiment positifs. Après, on sait que c’est comme tout, tout n’est rose nulle part.

SP : Si le vélo est si beau, c’est parce qu’il est aussi si cruel. Ce n’est vraiment rien. Combien de fois me suis-je fait reprendre dans les derniers kilomètres après une longue échappée ? Ou combien de fois suis-je tombé ou me suis-je blessé après des semaines ou des mois de préparation ? Combien de fois ai-je été si proche et si loin en même temps ? Il y a plein d’histoires comme ça. Et c’est aussi ça qui fait la beauté du sport. Ici, je parle des êtres humains, pas des cinq extraterrestres qui dominent notre sport… Je pense que c’est ce qui fait la beauté du sport, d’être si souvent si proche et en même temps si loin des moments qui sont des émotions au bar. Et quand vous ressentez cette adrénaline, cette émotion, c’est là que le cyclisme prend vraiment tout son sens.

Nous avons passé un moment incroyable en Chine avec Gino

Le cyclisme a aussi emporté un proche, Gino Mäder… Qui était-il pour vous ?

SP : Gino était un ami, un confident au sein du peloton, sans avoir partagé mon enfance avec lui. C’est quelqu’un avec qui j’ai toujours été ouvert et il a beaucoup marqué ma carrière. Il m’a vendu son vélo, un Bianchi haut de gamme, lors de mon arrivée chez IAM Excelsior. C’était le meilleur vélo pour quelqu’un qui ne fait pas partie d’une équipe de première ligue. Ce n’est pas toujours évident d’avoir du matériel de pointe pour tous les coureurs, ce sont des budgets énormes. Et j’ai eu la chance d’acheter son vélo, ce vélo qui m’a ensuite fait passer professionnel chez Androni puis chez Trek. Il me l’a laissé à un prix qui n’avait aucun sens. Et je ne gagnais pas d’argent non plus. Je n’aurais pas eu la chance d’acheter un vélo qui représente un budget de plus de 10 000 euros. C’était une décision folle de sa part. Et nous avons aussi partagé un des plus beaux moments de ma carrière et je pense à son parcours aussi, au Tour de Hainan, en Chine. J’ai gagné la dernière étape et lui a remporté l’étape reine et a terminé 2ème au classement général. Nous avons une relation particulière je pense. Et je me souviendrai toujours de ce jour où j’ai appris ce qui s’était passé.

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« Merci pour la lumière, la joie et les rires apportés » : Hommage à Gino Mäder

Une des images fortes de ce moment était la communion des coureurs suisses présents sur le Tour de Suisse et qui étaient ensemble pour absorber le choc. Comment ça se passe pour vous sur le Tour de Slovénie ?

SP : Sylvain Blanquefort, le directeur d’équipe présent, a fait preuve d’une compréhension que je n’oublierai pas. Il a été très présent pour moi, il a su aussi trouver… Ce ne sont pas les mots, il n’y a pas vraiment de mots à ce moment-là. Mais il a su me calmer, disons. Entre coureurs, c’était difficile. Et j’étais, je pense, l’un des coureurs les plus touchés, du moins parmi ceux présents sur le Tour de Slovénie. Et c’est à Sylvain qu’il revient en grande partie de m’avoir relevé après cette énorme claque. J’étais allongé à l’arrière du bus dans un état… Je ne veux même plus y penser. C’est lui qui m’a vraiment aidé.

Vous rendez alors hommage à Gino pendant la course…

SP : Encore une fois, ce sont les émotions qui restent. Je suis peut-être un peu trop sensible mais c’est comme ça que je fonctionne. C’était instinctif, rien n’était prévu, prémédité, dans mon acte de lui rendre hommage. C’était quelque chose de vraiment spécial, des émotions que je ne pouvais même pas décrire.

Avez-vous le sentiment que Gino occupe aujourd’hui une place à part, non seulement à cause de ce drame, mais aussi à cause de ce qu’il incarnait ?

SP : Quoi qu’il en soit, il occupe une place vraiment spéciale dans mon cœur. Gino était une personne unique. Il aurait certainement dû être ici, sur le Tour des Alpes, en ce moment même. S’il était venu chez Tudor, c’était pour participer au Giro et le Tour des Alpes aurait été quasiment obligatoire. Mais oui, c’était une personne si humble et si grande que cela a certainement laissé plus de traces dans le cœur de nombreuses personnes. Mais quand on voit le vélo ces jours-ci, j’ai l’impression qu’il n’a pas laissé assez de traces non plus. Les risques pris, le courant chute, nous passons chaque jour très, très près d’une tragédie égale à celle de Gino.

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Les larmes de Bahreïn-Victorious et une minute de silence : Hommage à Gino Mäder

 
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