« Il devient urgent de mieux encadrer ce secteur », prévient la députée Estelle Folest

« Il devient urgent de mieux encadrer ce secteur », prévient la députée Estelle Folest
Descriptive text here

LLa petite communauté de l’enseignement supérieur les appelle « margoulins » ou « dispensaires ». Mais ces termes paraissent presque trop faibles pour désigner ces établissements privés aux pratiques frauduleuses, trompeuses et illégales, spécialisés dans la vente de diplômes sans valeur académique. Certaines sont de petites structures indépendantes, mais la plupart appartiennent à de puissants groupes privés, et se sont développées grâce à la loi sur la formation professionnelle de 2018, avec peu ou pas de contrôle.

Mise à jour du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez les informations analysées et décryptées par la rédaction du Point.

MERCI !
Votre inscription a été prise en compte avec l’adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisation et notre politique de confidentialité.

Même si tous les établissements privés et toutes les formations ne sont heureusement pas concernés, « il devient urgent de mieux réguler ce secteur », explique la députée du Val-d’Oise Estelle Folest (MoDem). Chargée avec la députée Nord Béatrice Descamps (Liot) d’enquêter sur l’enseignement supérieur privé, elle dresse un portrait plutôt sombre du secteur dans le rapport qu’elle a remis le 10 avril à la commission des affaires culturelles et de la culture. L’éducation de l’Assemblée nationale réclame notamment plus de contrôle. Que faut-il retenir ? Le député répond à nos questions.

Indiquer : Vous dressez un tableau assez sombre du secteur. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué ?

Estelle Folest : Ce qui m’a le plus choqué, c’est que ce sont les ménages les plus pauvres qui ont le plus souffert. Nous manquons certes de données sociologiques objectives pour le détailler, mais nous pouvons le supposer car la plupart de ces « pharmacies » fondent leur modèle sur l’apprentissage. Cela permet toutefois à l’étudiant d’être exonéré des frais d’inscription et même d’être payé. Pour ces familles, qui connaissent peu ce milieu et qui sont plutôt de l’idée que « si ça paie, c’est bien » – une idée largement défendue par ces écoles lors des salons étudiants –, c’est gagnant-gagnant. Beaucoup s’y sont engagés les yeux fermés.

Le problème c’est que le diplôme proposé n’est pas toujours celui attendu…

En effet. De nombreuses écoles jouent avec les mots. Ils parlent de « célibataires » pour leurs programmes bac+3. Un terme qui ne fait référence qu’aux 3e année d’IUT dans le système universitaire français (le BUT), mais qui correspond peu ou prou à une licence dans le monde anglo-saxon. Ce qui inspire confiance à tort. Pour les programmes bac+5, ils parlent de « master », « master of science », « master of business administration » ou « MBA », au lieu de « master », seul diplôme national à être reconnu par le ministère de l’Enseignement supérieur. Même chose pour les « doctorats en administration des affaires » qui commencent à fleurir dans l’offre de formation. Ils ne sont pas équivalents aux diplômes nationaux et un certain nombre d’entre eux ne valent rien ! Il s’agit de diplômes scolaires, sans équivalence dans le système européen LMD (licence-master-doctorat). Concrètement, cela signifie que si l’étudiant souhaite poursuivre ses études après un « baccalauréat » ou un « master » ailleurs en France ou en Europe, il ne pourra pas le faire. À moins qu’il ne faille tout recommencer depuis le début.

Pratiques marketing trompeuses destinées à influencer la décision de l’étudiant

La plupart de ces écoles mettent cependant en avant leur reconnaissance par l’État…

Encore une fois, c’est une inexactitude. Elles reposent sur leur inscription au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), certifications qui sont délivrées par le ministère du Travail en fonction, essentiellement, du taux d’employabilité déclaré par les écoles. Ces derniers les présentent comme un gage de qualité, mais en réalité ils ne présentent aucune garantie pédagogique ou scientifique. Beaucoup moins, en tout cas, qu’un diplôme délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur qui atteste de la qualité pédagogique et scientifique de la formation, avec un corps enseignant professionnel, un soutien à la recherche, un volume d’heures de cours à respecter, y compris en présentiel. -en face à face, etc.

D’autant plus qu’il est possible de louer ces certifications professionnelles !

En effet. Un établissement qui pour diverses raisons ne possède pas de titre RNCP a le droit d’en louer un auprès d’un autre établissement, pour un coût équivalent à plus ou moins 10% du prix de la formation…

Vous évoquez également un nombre important d’abus. Quels exemples pouvons-nous donner ?

C’est ce qu’a souligné en 2022 la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Au flou entretenu sur la valeur des diplômes délivrés, on peut citer des pratiques commerciales trompeuses destinées à influencer la décision de l’étudiant ; informations tronquées sur l’insertion professionnelle, les entreprises partenaires ou les conditions de cours, etc. ; la publication d’avis faussement positifs sur les réseaux sociaux ; des clauses contractuelles injustes permettant, par exemple, une modification unilatérale des frais de scolarité, voire de la certification délivrée. Enfin, nous avons été informés de pratiques qui mettent en péril la qualité de l’enseignement : professeurs sous-payés, réduction brutale du volume des heures de cours, envoi des cours en PDF, etc.

Tous les établissements d’enseignement supérieur privés sont-ils concernés par ces dérives ?

Heureusement non ! Il en existe de très bons, que l’on peut qualifier de « sous contrat », car contrôlés et évalués par le ministère de l’Enseignement supérieur. Il existe notamment des établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général (EESPIG), créés selon un modèle à but non lucratif, avec des normes de qualité élevées.

L’enseignement supérieur privé lucratif a pu rapidement profiter des aides de l’État

Combien y a-t-il de ces établissements louches ?

Impossible à dire. On ne connaît même pas le nombre exact d’établissements privés ! La seule chose que je peux dire, c’est que les étudiants du privé représentent désormais un quart des étudiants et que la qualité varie énormément d’une filière à l’autre. On peut donc trouver de très bonnes et de très mauvaises choses au sein d’un même groupe, voire d’un même établissement. Les familles doivent donc être très vigilantes lorsqu’elles recherchent une formation.

Comment est-ce qu’on est arrivés ici ?

Il y a d’abord eu le boom démographique des années 2000, l’augmentation du taux de réussite au baccalauréat et l’augmentation du nombre d’étudiants souhaitant poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur pour obtenir un emploi. L’enseignement supérieur public n’a pas réussi à absorber cette nouvelle population étudiante. Il faut également mentionner une certaine désaffection des jeunes pour l’université, du fait de la crainte de ne pas y trouver sa place et de ne pas y réussir, en raison d’un taux d’encadrement jugé trop faible. C’est enfin une conséquence de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a libéralisé l’apprentissage et la formation professionnelle. Couplé à des aides d’État exceptionnelles, cela a provoqué un boom de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Et il s’avère que l’enseignement supérieur privé lucratif a pu rapidement profiter des aides de l’État pour accroître sa formation.

Cela a conduit le marché à se structurer autour de quelques grands groupes d’enseignement supérieur. Et ces derniers ne sont pas de gentils philanthropes…

Encore une fois, tout n’est pas noir ou blanc ! Mais il est vrai que ces groupes sont guidés par des principes de rentabilité, si possible rapide. Pour cela, le modèle économique semble être toujours le même : acheter des écoles et, avec elles, des biens immobiliers, les exploiter, atteindre une taille critique et revendre le tout cinq ans plus tard, avec une forte plus-value. Les frais d’inscription constituent également une base économique importante, tout comme l’enseignement à distance qui permet des économies d’échelle. Et il est vrai que cette logique de rentabilité a conduit un certain nombre de ces entreprises à commettre des fraudes et des actes illégaux, comme le montrent les contrôles de la DGCCRF. Le tout en bénéficiant de subventions de l’État pour l’apprentissage.

L’État n’aurait-il pas intérêt à mieux contrôler ce qui est fait de son argent ?

Oui bien sûr. C’est ce que nous demandons à travers nos recommandations. Il faudra se pencher non seulement sur cette question, mais aussi sur la question de savoir si l’on ne veut pas réduire davantage les aides d’État au niveau par exemple de l’infrabac, là où les étudiants ont le plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail, ou encore dans le secondaire, car c’est dans l’industrie que nous avons le plus besoin de former les talents de demain.

Le danger, à terme, est de voir émerger une jeunesse mal formée

Certains dénoncent des conflits d’intérêts. Fait, on trouve chez Galilée Martin Hirsch, Guillaume Pepy et Muriel Pénicaud, tous trois fins connaisseurs de l’État. Le dernier, ancien ministre du Travail, est même à l’origine de la loi Avenir Professionnel de 2018 qui a fait exploser l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Charline Avenel, ancienne rectrice de Versailles, a été recrutée par Ionis avant d’abandonner. Cela ne devrait-il pas poser question à l’heure où l’on parle de mieux réguler ce secteur ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a été contactée à plusieurs reprises à ce sujet et a émis à chaque fois un avis. A partir de là, je n’ai aucun commentaire à faire.

Quels sont les risques de ne pas mieux réglementer le secteur ?

Le danger, à terme, est de voir émerger une jeunesse peu formée, qui parvient certes à entrer sur le marché du travail mais pas forcément à y rester ou à évoluer. Tout cela pourrait peser sur la capacité du pays à répondre aux défis économiques et sociétaux.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Le blé d’aujourd’hui est plus résistant que le blé d’hier
NEXT Sébastopol, cette victoire française que les Russes préféreraient oublier