“J’ai réalisé que mes paroles avaient un sens, un poids”, confie Lio

“J’ai réalisé que mes paroles avaient un sens, un poids”, confie Lio
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Le 25 avril 1974, un coup d’État militaire renverse Salazar, marquant la fin de plus de quarante ans de dictature au Portugal. A l’occasion du cinquantième anniversaire de cet événement, la chaîne Histoire TV diffuse ce mercredi, à 20h50, Sous les œillets, la révolution portugaise. Ce documentaire de Tony Liégois retrace en une heure les journées qui ont changé à jamais le pays. Lio est le narrateur. L’artiste, née au Portugal et qui a fui la dictature avec sa mère, explique à 20 minutes comment ce film chargé de résonances intimes contribue à son envie de se consacrer à des projets qui ont du sens pour elle.

Ce documentaire fait écho à votre histoire personnelle…

Nous avons quitté le Portugal pour des raisons personnelles, liées à ma mère, mais aussi politiques : sous la dictature de Salazar, le divorce était interdit. Lorsqu’une personne était reconnue coupable d’adultère, son autorité parentale lui était retirée. Il y avait un procès et, en même temps, ma mère commençait une nouvelle vie avec quelqu’un d’autre – le père de ma sœur Helena, appelée à combattre dans les guerres coloniales. Il ne voulait pas y aller. Il y a donc eu cette fuite, en deux temps. D’abord, ma mère et moi. Alberto la rejoignit plus tard. C’était en 1969. Au départ, l’idée était de s’installer à Paris, mais la ville se relevait à partir de Mai-68, alors nous sommes arrivés à Bruxelles, par ce fameux train que prenaient de nombreux réfugiés politiques avec peur depuis qu’il y avait le PIDE. [la police politique de Salazar] qui a passé et vérifié les papiers à la frontière espagnole. Ce n’était pas facile.

Dire le commentaire comporte donc une charge émotionnelle ?

Cela va de pair avec l’expérience que j’ai vécue, même si j’étais petite. Il y a une charge d’émotion certes, mais aussi de mémoire. J’ai voulu faire connaître cet épisode qui est si important pour nous, les Portugais, mais aussi, je pense, pour le monde, tout simplement. C’était la fin d’une dictature. Et on a tendance à vouloir l’oublier, à vouloir le faire oublier, aujourd’hui avec la montée de l’extrême droite. Le Portugal, épargné il y a encore trois ans, se retrouve avec une extrême droite en plein essor.

Avez-vous l’impression que les Français connaissent la révolution des œillets et ce qu’elle a impliqué et conduit ?

Non, ils ne connaissent pas bien cette révolution. Car les immigrés portugais arrivés n’avaient qu’une seule envie, s’intégrer. Ils ne parlaient donc pas beaucoup de politique. On en parlait entre Portugais.

Les Français ont peut-être plus facilement en tête la chute de Franco et la « Movida » espagnole…

Exactement. Franco est une image beaucoup plus forte. Il y a eu la guerre civile, elle a été très violente. Il est véritablement reconnu comme un dictateur. Tout le monde voit son visage – son sale visage, dirais-je. Celui de Salazar est beaucoup plus discret. C’est vraiment du fascisme paysan, très discret. Ses sympathies étaient claires mais il essayait de maintenir sa neutralité. C’était un professeur d’école, pas un soldat, donc il n’a pas captivé l’imaginaire collectif comme un Franco.

Vous aviez 12 ans au moment de la révolution des œillets. Quels souvenirs gardez-vous de ces jours-là ?

Je me souviens avoir été incroyablement excité. C’était terriblement fort. Nous venions tout juste d’avoir la télévision, en noir et blanc. Je me souviens des tables rondes avec Álvaro Cunhal [le leader du Parti communiste portugais qui s’était exilé] et Mario Soares [secrétaire général du Parti socialiste, lui aussi exilé, qui sera élu président du Portugal en 1986] devant cet écran, Chaussée de Waterloo à Bruxelles. La question prioritaire, pour moi, était de savoir si on pouvait passer des vacances au Portugal, y retourner…

Avez-vous pu y retourner assez rapidement ?

Immédiatement après, pour les vacances d’été de 1974. Je suis revenu sans ma mère car l’amnistie pour des délits réputés courants, comme l’adultère, était plus tardive. Je suis arrivé là-bas en août, j’ai revu mes cousins, tout le monde avait des épingles à la faucille et au marteau. Lisbonne était décorée de magnifiques peintures révolutionnaires qui ont toutes été dissimulées depuis – peut-être qu’une ou deux ont été sauvées mais ils voulaient effacer les traces, cela n’était pas considéré comme historique. Tout le monde faisait campagne, même les plus jeunes ! C’était comme respirer, c’était énorme.

Participer à ce documentaire ou, comme vous l’avez fait récemment, au jury de « Drag Race Belgium », s’inscrit dans une envie de vous consacrer à des projets qui ont du sens pour vous ?

Oui. Je pense que le rendez-vous qu’il ne faut pas manquer dans la vie est avec soi-même. Sinon, nous ne nous incarnons pas non plus avec les autres. Il s’avère que j’ai survécu, plus en tant que femme qu’en tant qu’artiste, en suivant des positions qui me paraissaient évidentes mais qui ne l’étaient visiblement pas à l’époque. Ainsi, il n’y avait plus de disque « Lio chante Lio » mais Lio chante Caymmi où j’ai dû me battre pendant six ans pour que les gens le sortent enfin [en 2018] se pincer le nez. J’ai existé grâce à la nouvelle génération qui, tout d’un coup, m’a reconnu pour mes paroles. J’ai réalisé que mes mots avaient un sens, du poids. Pour mieux nommer les choses et supprimer le malheur du monde. Parce que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, comme le disait Albert Camus. J’ai 60 ans, je suis un senior. En attendant de réaliser un disque de « Lio chante Lio », je prête ma voix à des sujets et mon visage à des projets qui me semblent importants.

Vous avez dénoncé les violences sexistes et sexuelles bien avant que le sujet ne soit pris en compte par les grands médias. Vous étiez une voix forte, mais un peu isolée. Avec ce qui se passe récemment, notamment autour de #MeToo dans le cinéma français, vous sentez-vous moins seul ?

Je suis juste heureux que les choses avancent. Il ne s’agit pas de se sentir moins seul. Je me sens assez seul. Mais pas du point de vue de la fraternité. Je ne veux pas qu’on oublie ceux qui ont pris tous les risques au départ. Le cinéma #MeToo, ce n’est pas Judith Godrèche seule. C’est, avant elle, Adèle Haenel, qui l’a payé très très cher et je pense que c’est grâce à cette première pierre que Judith Godrèche fait mieux entendre sa parole aujourd’hui. Cela n’enlève rien à son combat, mais je ne voudrais pas qu’on dise qu’il vient de commencer. Cela a commencé bien avant mais la France est un pays qui résiste terriblement. Ce n’est pas pour rien que Robespierre en est le héros.

Votre apparition dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson en 2006, où vous évoquez la manière dont Marie Trintignant a été tuée par Bertrand Cantat, a marqué les esprits. Il réapparaît régulièrement sur les réseaux sociaux. Pensez-vous que cela a été fondamental dans votre prise de parole, dans votre carrière ?

Malgré lui. Malgré cet homme [Thierry Ardisson] qui est un manipulateur et que je ne respecte pas.

Êtes-vous d’accord avec Christine Angot qui, dans une tribune publiée il y a quelques jours, s’est indignée qu’Emmanuel Macron ait décerné la Légion d’honneur à Thierry Ardisson ? Elle dit percevoir cela comme « une gifle » qui honore « l’humour-humiliation ».

Je n’ai pas lu sa chronique mais au fond dans ce que tu me dis, oui, je suis d’accord. En tout cas, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macron, Foutriquet nous donne des gifles les unes après les autres. Maintenant que je sais que ce monsieur ne fait que ça – j’ai aussi entendu ses positions sur Gérard Depardieu –, je sais qu’il n’a pas de mots, qu’il se fiche des femmes. Cela représente bien l’état d’esprit de la France face aux violences faites aux femmes et aux enfants, ainsi qu’aux personnes homosexuelles et trans. La parole est libérée mais l’oreille doit aussi se détendre, non ? S’il n’y a pas d’oreilles, on peut crier très longtemps dans le désert.

 
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