Du vrai asphalte et du pétrole rêvés en Limagne

Du vrai asphalte et du pétrole rêvés en Limagne
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A l’ère Tertiaire, plus précisément à l’Oligocène (-34 millions à -23 millions d’années), un bassin d’effondrement sédimentaire d’une centaine de kilomètres de long et trente kilomètres de large le recouvrait. Dit « en touches de piano » 1, il plonge, sous Riom, jusqu’à trois mille mètres d’épaisseur accumulés sur dix à quinze millions d’années.
Son paysage ressemble à un marécage peuplé d’échassiers et parsemé de récifs calcaires à choux-fleurs, les stromatolites. Issues de la première manifestation de la vie générée par des algues microscopiques, elles remontent à quelque trois milliards d’années et existent, parfois avec leurs porosités emprisonnant le bitume, notamment sur le site exceptionnel de la carrière de Gandaillat.
Mélange noir d’hydrocarbures lourds, le bitume – à l’origine du mot béton – existe également à l’état naturel. Liquéfiable à chaud, il offre un cachet remarquable connu depuis le plan de sauvetage de l’Arche de Noé et la première photographie au monde, un héliographe en bitume de Judée 2 sur plaque d’étain poli obtenu par Nicéphore Niépce, en 1827, avec une chambre noire et
plusieurs jours d’installation.

Le sanctuaire bitumineux du Puy de la Poix

De cette butte volcanique de la commune de Clermont-Ferrand, mentionnée par Gabriel Siméoni en 1560-1561 sur sa Carte de Limagne d’Auvergne,
il s’en échappe un filet d’eau très salée qui suinte du bitume inlassablement dégradé par des cohortes de bactéries, d’où une odeur pestilentielle d’hydrogène sulfuré, alias œuf pourri.
Déjà, en 1605, le médecin de Moulins Jean Banc décrivait « une puanteur si horrible [et] les oiseaux dans l’hiver le plus froid qui, [venant] buvez dans cet endroit incapable de gelée, prenez-le comme du slime 3″. En 1867, Henri Lecoq prend soin des visiteurs : « Qu’ils ne commettent pas d’imprudence […] s’asseoir sur le monticule, leurs vêtements n’y résisteraient pas. Soyez prudent avec vos chaussures, le terrain colle tellement fort que vous risquez de vous coincer dedans. »

Souvenir d’un stromatolite de Jussat, détaché par la tempête de 1999… © Pierre Thomas, 1978 – Laboratoire de Géologie de (ENS de Lyon)
Un autre, bitumé, dans la carrière de Gandaillat. ©DR
Le bitume collant du Puy de la Poix… © Club Géologique d’Île-de-

L’asphalte a l’air bien

Lorsqu’éclate la Révolution française, les Auvergnats sont tiraillés entre leur atavisme légendaire qui leur murmurait de ne rien laisser se perdre, et leurs incertitudes sur le sort des richesses de leur sous-sol ! À mesure que les années passent et que les besoins en rues et trottoirs augmentent, le bitume passe du statut d’article encombrant à celui d’investissement lucratif. Le comte de Laizier, l’influent baron de Barante, les frères Michel et François Bresson se bousculent pour obtenir des concessions d’exploitation, dites mines. Ils ne sont pas les seuls…
De 1840 à 1944, la famille Ledru – directeur des opérations d’asphalte du Puy-de-Dôme depuis 1831 – extrayait du grès imprégné de bitume de la mine de Chamaliéroise au lieu-dit Roche-Coudert, non loin de l’avenue Thermale. Entre 1887 et 1932, la Société des Mines d’Asphalte du Centre (SMAC) lâche quelque 200 000 tonnes de roches contenant 15 % de bitume (500 tonnes de bitume pur) sous le Pont-du-Château, là où des galeries abandonnées s’étaient effondrées. , en 1983.

La « jambe de bitume » du SMAC

De l’aube du XXe siècle jusqu’en , à Dallet, jusqu’à cinquante-cinq mineurs ont extrait 830 000 tonnes de bitume à 7 % de calcaire – soit 58 000 tonnes de bitume pur – dans les cinq kilomètres de galeries « piliers ». tourné » de la mine du Colombier-des-Roys, reliée à Pont-du-Château par une voie ferrée, sur la rive gauche de l’Allier.
Le travail difficile génère solidarité et convivialité, pour Sainte-Barbe le personnel du SMAC déguste un « agneau bitumé », soigneusement calfeutré dans du papier sulfurisé et plongé dans les fours de l’usine à 300°C ; un vrai délice !
En 1842, les asphaltes de Limagne, qui composent les trottoirs de la capitale, sont inscrits au cahier des charges de la Ville de Paris ; une vraie réussite…

En 1560, Collis Bituminosus sur la carte de Simeoni. © BnF
A Martres-d’Artière, un geyser d’eau chaude mémorable. CP – Coll. Louis_Françoise Saugues
Des matchs qui craquent pour le SMAC ! Coll. COMME. Simonet

Et pourquoi pas le pétrole ?

Un tel succès ne peut qu’aiguiser les appétits pétroliers. Entre 1883 et 1981, plusieurs campagnes de forages sondent le sous-sol de la Limagne à la recherche de manne.
De 1919 à 1929, le célèbre professeur de géologie clermontoise d’origine creusoise, Philippe Glangeaud (1866-1930) 4, supervise les prospections avec son collègue Louis de Launay. En 1919, ils lancent un premier forage profond à Martres-d’Artière, jusqu’à 400 mètres, qui propulse de mémorables geysers d’eau à plus de quarante mètres. Qu’importe, le duo persévère à Pont-Charraux, près du Puy de Crouël. Les travaux, débutés le 29 mars 1920, révélèrent à trois reprises des remontées de gaz combustible et de pétrole, dont 3 500 litres furent extraits. Mais, le 22 octobre 1922, une poussée de
le gaz écrase le tubage de forage abandonné. De Launay abandonne également l’affaire.

Rendez-vous manqués avec l’or noir

Désormais seul à vouloir croire que la Limagne possède du pétrole, Glangeaud a des idées… En 1923, 1 000 mètres sont atteints à Mirabel avant un nouveau levé au Menhir de Beaulieu, à Clermont-Ferrand, le 3 novembre de la même année. Après deux ans, le bit atteint 1 147 mètres ; pas d’huile.
Ne se décourageant pas, Glangeaud commande du matériel de pointe à la Pennsylvanie et, le 23 février 1925, les forages commencent à Mirabel, près de Riom.
Après trois années d’effort jusqu’à 1 322 mètres, le « butin » s’est réduit à quelques centaines de litres de pétrole. Cette fois, l’État supprime son soutien financier aux prospecteurs. C’est au tour des sourciers de prendre le relais !
C’est sans le chercher que le pétrole se souvient – ​​une dernière fois ? – à la bonne mémoire auvergnate des Cébazaires. Le 29 octobre 2012, des travaux sur la ZAC des Trois Fées bloquent accidentellement un forage géothermique et pétrolier de 1981. Un pétrole visqueux s’échappe ce qui nécessite le creusement d’un bassin et surtout, fin janvier 2013, l’installation de deux vannes. sur le tubage du vieux puits pour stopper cette hémorragie de pétrole indésirable !

Philippe Glangeaud, en 1911. DP
En 2012, bulles d’huile improvisées à Cébazat. © Jean-Jacques Arène – Info Magazine

Merci à Jean-Pierre Couturié qui sait allier géologue et professeur.

1 La plus profonde se situe sous Clermont-Ferrand.
2 Parce que, dans l’Antiquité, on le récupérait à la surface de la Mer Morte.
3 Branches ou planches enduites de colle par des petits braconniers d’oiseaux.

4 Considéré comme le père de la grande faille de Limagne, il a montré son rôle essentiel dans
structure volcanique de la région.

 
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