Place forte du raffinage et de la pétrochimie depuis plus d’un siècle, le complexe industriel de Port-Jérôme en Seine-Maritime a été plongé ce jeudi 11 avril dans une sorte de précipité de la transition post-fossile. Ce matin-là, à 10 heures, ce fut un choc. Depuis un hôtel de La Défense, ExxonMobil annonce la fermeture de toutes les unités liées aux pétroplastiques de sa raffinerie de Normandie et la suppression de 650 emplois d’ici deux ans. ” Un tsunami », s’étonne un représentant du personnel dans les médias.
Chimie verte versus pétrochimie
Changement d’ambiance deux heures plus tard sur place. Hasard du calendrier, c’est aussi cette date que le patron du groupe belge Futerro a choisi pour confirmer une bonne nouvelle. Devant les élus locaux et les journalistes, il réaffirme son intention de construire à deux pas de la raffinerie » la première usine européenne de PLA « .
Le bioplastique sera fabriqué à partir de glucose de blé fourni » en court-circuit » par la féculerie voisine de Terreos, nous dit-on. Résultat, un investissement d’un demi-milliard d’euros et la création de 250 emplois en 2027 et 2028. Debout sur scène, Frédéric Van Gansberghe tente de consoler un public quelque peu traumatisé. ” Cette transition du carbone fossile vers la chimie végétale va dans le sens de l’Histoire. C’est la voie à suivre pour l’industrie européenne », argumente-t-il.
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A ses côtés, la présidente de l’agglomération de Caux Seine n’a pas vraiment le cœur à la fête. Le coup porté par le géant américain est brutal et d’une ampleur à laquelle personne ici ne s’attendait. On s’attendait juste à des fermetures progressives d’unités. Pour autant, Virginie Carolo s’efforce de voir le verre à moitié plein. Après tout, ne se bat-elle pas depuis dix ans pour que le complexe industriel de Port-Jérôme se débarrasse de son addiction à l’or noir, d’où le tapis rouge de bienvenue réservé à Futerro ? ” Nous assistons à une accélération du timing des transitions, commente-t-elle avec un sourire serré. Cette journée paradoxale nous donne raison… Un peu trop tôt « .
Car l’intéressé le sait bien. Au moment où l’un part et l’autre arrive, « cela va bouleverser humainement, économiquement et fiscalement « . Derrière la plateforme pétrochimique d’ExxonMobil gravite en effet une galaxie de TPE et PME sous-traitantes, souvent mono-clients. ” Il faut multiplier au moins par trois le nombre d’emplois menacés, sans tenir compte de l’impact sur les entreprises. », calcule à voix haute un bon connaisseur des lieux.
Le désengagement du majeur L’Amérique est aussi synonyme de baisse des recettes fiscales pour les collectivités : plusieurs millions d’euros vont disparaître. ” Certains investissements devront sans doute être différés », prédit-on déjà dans les services urbains.
« On va pouvoir rebondir »
Mais tout le monde dans le public est d’accord, les blessures vont vite guérir. Bien située sur les bords de Seine aux portes de l’Île-de-France et dotée d’un solide historique industriel, Port-Jérôme sait attirer les investisseurs. ” Nous sommes sollicités chaque semaine par au moins un industriel », rappelle sans vantardise Gilles Carpentier, directeur de l’agence de développement économique. En effet, les annonces pleuvent ces derniers mois.
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Outre Futerro, Eastman (dont le nouveau patron pour la France était présent hier aux côtés des élus) doit y construire, pour un milliard d’euros, une gigantesque usine de recyclage de recyclage moléculaire du plastique. Il accostera au futur mégaélectrolyseur à hydrogène d’Air Liquide, dont les travaux ont démarré. A cela s’ajoutent les investissements millionnaires prévus par Oril pour augmenter ses capacités. Et la liste n’est pas exhaustive. ” Nous pourrons rebondirassure Virginie Carolo avec la foi d’un charbonnier. La difficulté sera de gérer le carrelage entre projets dans un délai plus court que prévu « .
Le matin même, la préfecture de Seine-Maritime promettait que l’Etat soutiendrait « Quand le temps viendra » toutes les initiatives « revitalisation économique « . Pendant ce temps dans la salle, certains soulignent que la déconstruction des unités pétrochimiques promise par ExxonMobil constituera « une opportunité » à l’heure de la Zero Net Artificialisation. ” Le chantier va occuper beaucoup de monde et libérer au moins quarante hectares », glisse un élu La galerie. Encore une manière de voir le verre à moitié plein.
