Wafa Ghorbel ou la libération

Wafa Ghorbel ou la libération
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« Fleurir » (éd. Kalima, Tunis 2024, 412 pages) est le titre du troisième roman de l’écrivaine franco-tunisienne Wafa Ghorbel, où elle raconte la descente aux enfers d’une adolescente qui renaît à la vie et à l’amour à travers sa passion pour la poésie, la danse et la musique.

Par Latif Belhédi

Le roman a deux narrateurs : Yasmine, à travers un carnet retrouvé après sa dernière fugue, où elle avait consigné tout ce qui lui était arrivé et comment elle l’avait vécu, dans sa chair meurtrie et son âme rebelle, et Adam, son cousin, revenu en l’île que l’adolescente avait quittée pour enquêter sur les déboires qu’elle y avait vécus et qui la faisaient fuir, très, très loin, comme pour conjurer un sort qui s’acharnait sur elle.

Les deux histoires, de Yasmine et d’Adam, se déroulent en parallèle : elles se déroulent, se croisent, se parlent indirectement, nous parlent aussi et écrivent, petit à petit, au fil des pages, l’histoire de deux âmes torturées ivres d’absolu et qui finissent par trouver dans la musique l’élan d’une libération ultime au prix d’innombrables blessures, douleurs et deuils partagés.

« Personne ne voudra plus de toi ! Tu n’es plus vierge… »

Yasmine a quatorze ans lorsqu’elle est violée par son professeur. Dans une société conservatrice où le corps est traîné comme un fardeau, la victime devient coupable, et par une loi médiévale (article 227 bis du code pénal tunisien), appliquée avec zèle par des juges aveugles à la souffrance féminine, elle est contrainte de l’épouser. violeur, qui devient peu à peu son bourreau et son bourreau. Alors, désespérée, elle décide de fuir l’enfer où ses parents l’ont jetée comme victime expiatoire (“Que veux-tu que nous fassions? Nous n’avons pas le choix ! Ou mariage ou scandale… Quel avenir auriez-vous après ce qui s’est passé ? Plus personne ne voudra de toi ! Tu n’es plus vierge… »lui dit sa mère, comme pour la ramener à sa soumission originelle).

Yasmine embarque alors avec d’autres migrants illégaux dans un bateau qui fait naufrage près des côtes italiennes. Sauvée in extremis d’une mort certaine, elle trouve auprès de la famille d’un médecin italien le réconfort dont elle a besoin pour retrouver la santé. Et c’est auprès de Tonton Hatem, un oncle vivant en , aimant et ouvert, qu’elle trouve enfin refuge, ainsi qu’auprès de son épouse espagnole, Tata Manuela, et de leurs jumeaux, Yassine, un être timide, réservé et solitaire. , qui passe son temps enfermé dans sa chambre, et Adam, atteint d’un handicap, bégayant, suite à un accident domestique durant son enfance, et devenu une star de la musique, souvent en voyage.

C’est là, dans cette maison du bonheur enfin retrouvée que se déroule un autre drame, tandis que là, à la campagne, éclate la révolution de la dignité contre un système obsolète et liberticide.

Regard sans concession sur une société étouffante

Pour Yasmine, comme pour Yassine et Adam, qui tombent tous deux amoureux d’elle, une nouvelle page s’ouvre où chacun écrit ses rêves et ses attentes. L’adolescent, qui découvre dans le flamenco, la musique et la danse, plus qu’un refuge, le moyen de se rebeller contre sa condition et de s’élever spirituellement, aide Yassine à se remettre de l’interminable dépression qu’il traîne depuis son enfance pour avoir failli tuer son frère. dans un jeu enfantin qui lui a causé des dommages irréversibles. Elle noue également avec Adam une sorte d’amitié spirituelle scellée par la même passion pour l’art, la musique et la danse. Et c’est alors que se noient les fils d’un nouveau drame : se sentant abandonné, meurtri par le dépit et la jalousie de l’amour, Yassine se tue en se jetant dans la Seine, Yasmine disparaît en laissant son journal et Adam s’y rend, dans cette île lointaine, brûlé par le soleil d’été et l’odeur du jasmin, là où son âme sœur avait vécu la tragédie de sa vie. Et c’est ainsi que les deux histoires se rejoignent, celle indirecte de la disparition de Yasmine et celle directe d’Adam retrouvé, mais “orphelin” des deux personnes les plus chères à son cœur : son frère et son cousin.

Avec “Fleurir”, Wafa Ghorbel nous offre un roman fort, intense, où les sentiments s’expriment dans un torrent d’émotions, et où les personnages vivent intensément chaque instant de leur vie, même les plus douloureux, tout en analysant leurs faits et gestes et en portant un regard sans concession sur une société qui les étouffe par sa gravité. Comme dans ce passage poignant où l’adolescente, après son viol, décrit la découverte brutale de son corps… de femme : « Je ne sais rien de ce corps. Je ne serais même pas capable de localiser et de nommer clairement ses organes intimes. Sa langue et ses lieux me sont complètement secrets. Il est là, à la fois si familier et si étranger, si concret et si indéfini (…) Livré sans notice ni explication. Personne ne m’a jamais dit à quoi ça servait, comment l’utiliser… pas même ma propre mère (…) Il paraît que c’est ce qu’on appelle « devenir une femme ». C’est ainsi que je suis devenue femme, dans le silence assourdissant, dans la solitude angoissante, dans la peur de l’inconnu, dans l’inhibition de mon corps et de ma féminité..

Le roman contient aussi de très belles pages sur la musique en général et sur le flamenco en particulier, et c’est là que Wafa Ghorbel nous livre sa deuxième grande passion, partageant avec nous cette ivresse des sons, des rythmes, du cœur qui bat et du corps qui exulte de libérer un excès d’émotions contenues et de pulsions longtemps refoulées dans une sorte d’hymne à la liberté enfin retrouvée.

 
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