Avec Soljenitsyne, exil politique et idéologique, d’hier à aujourd’hui

Avec Soljenitsyne, exil politique et idéologique, d’hier à aujourd’hui
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En février, nous avons commémoré le 50e anniversaire de l’exil forcé de Soljenitsyne en Occident, lorsqu’il a été chassé de Russie. On connaît son parcours, qui le conduisit au Vermont, où il mena une vie de travail intellectuel, vouée à la construction d’une œuvre éclairant à la fois l’histoire de la Russie ainsi que les fondements métaphysiques du totalitarisme dans la modernité, indissociable de sa mécanique sociale. Soljenitsyne ne doutait cependant pas d’une chose : il reverrait un jour son pays. Il y reviendrait vivant. Déchu de sa nationalité par un régime idéocratique exigeant non pas la loyauté au pays mais la soumission ostentatoire à une orthodoxie, son entrée dans la dissidence s’est faite à la fois au nom d’exigences élémentaires de liberté et de loyauté envers une patrie antérieure à une idéologie falsifiant sa représentation.

Le courage et le génie de Soljenitsyne font de lui un être exceptionnel. Mais on aurait tort de croire que son parcours nous est absolument étranger. Notre époque n’est certainement pas celle du goulag, et cela ne peut être considéré comme un détail. Les millions de morts dues au totalitarisme communiste ont laissé une cicatrice à jamais visible sur le visage de l’humanité. Mais l’exil idéologique existe à nouveau. Mais il prend une autre forme : c’est l’exil intérieur, dans une société qui renoue avec une orthodoxie, une orthodoxie diverse, à laquelle il faut adhérer ostensiblement, en répétant ses slogans, en se conformant à ses rituels, parmi lesquels on retrouve la dénonciation des «intolérants» et autres réfractaires, qui ne veulent pas s’agenouiller devant la nouvelle religion, ni embrasser ses icônes.

Le délateur, qui dénonce les dérives idéologiques de son voisin, est le citoyen modèle de notre temps. C’est un justicier. Alors il dénonce. Il sait que la moindre déviation de conduite idéologique peut inspirer des comportements et des réflexions non autorisés chez ses concitoyens, et pousser à la délinquance ceux qui gardaient jusque-là au plus profond d’eux-mêmes leurs réserves à l’égard du régime. De mauvais exemples peuvent conduire à une épidémie de mauvaises pensées. Pour cela, la sanction doit être radicale. Des lois sont mises en place pour condamner les déviants : ces condamnations ont pour but de les marquer légalement du sceau de l’infamie, et de les réduire publiquement à ces convictions. Le régime actuel crée ainsi des parias en les qualifiant de propagateurs de haine.

L’exilé intérieur porte en public un nom sous lequel il ne se reconnaît pas. On l’appelle «l’extrême droite», c’est la marque du diable. Et qu’importe s’il ne le revendique pas, critique cette catégorie et prétend appartenir à une autre : son avis n’a pas d’importance. Les gardiens de l’idéologie dominante décident du dossier public de chacun, puis ils se contentent de le répéter. Cet enregistrement est réalisé au nom de la transparence : on explique qu’il permet aux gens ordinaires de savoir à qui ils ont affaire lorsqu’ils entendent quelqu’un. En fait, il s’agit avant tout de dire à l’homme ordinaire ce qu’il doit penser de tel ou tel individu, avant même qu’il ne parle. Ceci est un avertissement : si vous avez une bonne opinion d’un homme avec une étiquette sale, vous serez également appelé à porter cette étiquette. Faut-il rappeler que cette étiquette n’a aucune valeur descriptive, qu’elle n’a pas non plus de valeur intellectuelle ?

Le porteur d’une sale étiquette verra sa vie brisée, au pire, et compliquée, au mieux. On le voit partout en Occident, il sera probablement banni professionnellement. Ou peut-être une interdiction bancaire. S’il est attaqué dans la rue par un milicien antifa, les gens diront qu’il le cherchait. S’il est parent et qu’il refuse que ses enfants lui soient enlevés par les savants fous du régime qui promeuvent la théorie du genre, ses droits parentaux seront suspendus. Il s’agit de la forme acceptée de privation de citoyenneté. Alors pour éviter tout cela, l’homme ordinaire ment souvent. Il est condamné à une existence divisée. Il dit ce qu’il doit dire pour fonctionner dans la société, même si, de temps en temps, il vote secrètement pour les partis vilipendés. On devine que si le vote électronique arrive un jour, il ne se permettra plus une telle audace. Parce que nous pourrions le prendre. Entre-temps, il sera devenu fou.

J’y reviendrai. Soljenitsyne espérait retourner dans son pays et il y parvint. L’homme de notre temps espère plutôt retrouver la sienne, qu’il garde au plus profond de son cœur comme la musique de son enfance ou de ses ancêtres. Il aimerait au moins retrouver ses libertés, sortir d’une société surveillée, plaisanter avec ses amis au bistrot sans qu’une remarque de trop soit perçue comme une plaisanterie coupable. Vivre une journée sans respecter les interdits du régime est une manière d’entrer dans la dissidence sans le savoir. On nous dira que le mot dissidence ne convient pas à cela. Pourtant, la machine à écraser des vies existe. La roue de la diversité tourne. Soljenitsyne, qui vivait parmi nous, l’avait senti et voulait nous avertir. Sa vie, pour nous, est celle d’un homme illustre.

 
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