La géo-ingénierie a-t-elle suffisamment progressé pour nous protéger du changement climatique ? – .

La géo-ingénierie a-t-elle suffisamment progressé pour nous protéger du changement climatique ? – .
Descriptive text here

« La lutte contre le réchauffement climatique repose sur la réduction des gaz à effet de serre en remplaçant les énergies fossiles très émettrices de dioxyde de carbone par des énergies bas carbone, renouvelables ou nucléaires », estime Philippe Charlez.

Atlantico : Pour lutter contre le réchauffement climatique, les scientifiques doivent trouver des solutions originales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La décarbonation du mix énergétique est-elle la seule solution ?

Philippe Charlez : La lutte contre le réchauffement climatique passe avant tout par la réduction des gaz à effet de serre en remplaçant les énergies fossiles fortement émettrices de dioxyde de carbone par des énergies bas carbone, renouvelables ou nucléaires. Mais tous les scénarios prouvent qu’il faudra plusieurs décennies pour décarboner complètement l’énergie mondiale qui, en 2023, reposait sur un mix composé à 82 % d’énergies fossiles. Ainsi, le scénario le plus optimiste de l’AIE envisage un mix énergétique à l’horizon 2050 contenant encore entre 40 et 50 % de fossiles : presque plus de charbon, moins de pétrole mais toujours beaucoup de gaz naturel. Pour atteindre la neutralité carbone (zéro émission et non zéro fossile), il faudra capter le CO2 encore émis pour éviter qu’il ne rentre dans l’atmosphère. C’est ce qu’on appelle la « compensation » : le CO2 émis est compensé par le CO2 capté. On pourrait même rêver de la situation inverse : capter plus que le CO2 encore émis et donc réduire la teneur en CO2 de l’atmosphère pour, à terme, faire baisser la température.

Pour ce faire, il existe deux solutions. La première consiste à augmenter la capture naturelle grâce à la photosynthèse végétale : c’est ce qu’on appelle la bio-séquestration. Pour ce faire, il faut augmenter la surface végétale, par exemple en plantant davantage d’arbres. Mais la bio-séquestration a ses limites. Un arbre n’absorbe que 30 à 50 kg de CO2 par an, absorbant les 400 millions de tonnes émises en France chaque année (seulement 1 % des émissions mondiales), il faudrait planter… 8 milliards d’arbres. On est donc très vite confronté à un effet d’échelle insurmontable.

L’autre solution consiste à capter le CO2 et à le réinjecter dans le sous-sol. Cette méthode est appelée CCS (Carbon Capture & Sequestration). Elle peut être réalisée à deux niveaux : soit en captant le CO2 émis par les fumées de grands émetteurs industriels (sidérurgie, verrerie, cimenterie, centrales électriques) contenant plusieurs % de CO2 (parfois plus de 20 %) soit en filtrant directement l’air ambiant. On parle alors de DAC (Direct Air Capture).

Technologie du futur pour les uns, greenwashing pour les autres, CSC et DAC sont loin de faire l’unanimité. La plupart des écologistes y sont fermement opposés : “Fantastiques et coûteuses, ces technologies ne feraient que gaspiller des ressources et du temps et endormir les citoyens en inoculant la fausse idée qu’il sera possible de ralentir le réchauffement climatique sans éliminer les énergies fossiles”. Un changement du statu quo dénoncé par de nombreuses ONG estimant qu’il s’agit d’un stratagème grossier utilisé par les compagnies pétrolières pour pérenniser leur activité.

Le CCS et la DAC sont-ils opérationnels aujourd’hui ? Existe-t-il des projets pilotes ou industriels ?

Le CCS est opérationnel depuis de nombreuses années et l’Europe est à l’avant-garde dans ce domaine. Le champ pilote Sleipner[1] en Norvège a été pionnière dans ce domaine (la réinjection a commencé à la mi-1996). En France, un mini-pilote a été mis en œuvre au début des années 2000 par TotalEnergies dans le Béarn. A noter également que la technologie d’extraction du CO2 des fumées (à l’aide d’amines) est française : elle a été développée dans les années 1950 sur le champ de Lacq dont le gaz acide contenait 15 % de H2S et 5 % de CO2. Mais très vite, les Américains et les Chinois ont pris le relais et dominent aujourd’hui 95 % du marché. Ce marché reste cependant très limité avec une réinjection globale de l’ordre de 45 millions de tonnes. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et compenser les 40 % de fossiles résiduels, l’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudrait injecter 8 milliards de tonnes. La tâche s’avère donc herculéenne !

En revanche, le DAC reste une technologie d’avant-garde. En théorie, l’idée est très simple : on aspire de l’air et on le fait passer à travers des pastilles poreuses qui captent sélectivement le CO2. En chauffant les pellets, du CO2 est libéré qui est ensuite séquestré dans le sous-sol. Or, contrairement aux fumées des usines, l’air ne contient que 0,042 % de CO2 (les fameux 420 ppm responsables du réchauffement climatique). Il faut donc filtrer des volumes d’air pharaoniques pour en extraire des poches de CO2. Bien au-delà des difficultés technologiques, le principal problème réside dans l’effet d’échelle.

À notre connaissance, il existe actuellement deux projets pilotes du CAD. En Islande, la société CARBFIX est à l’origine du projet MAMMOTH capable de capter annuellement 36 000 tonnes de CO2 atmosphérique. Une réussite technologique mais une goutte d’eau dans l’océan : 36 000 tonnes, c’est un millionième des 35 milliards de tonnes rejetées dans l’atmosphère chaque année par la combustion des énergies fossiles !

Après avoir racheté pour plus d’un milliard de dollars la start-up Carbon Engineering à la pointe des technologies DAC, la compagnie pétrolière Occidental vient de lancer le projet STRATOS près d’Odessa, au nord du Texas. Une fois opérationnelle, l’unité captera et séquestrera 500 000 tonnes de CO2 par an, soit dix fois plus que MAMMOTH. Occidental ne compte pas s’arrêter là. L’entreprise américaine a noué un partenariat financier avec BlackRock pour construire une centaine d’installations d’une capacité de 1 million de tonnes par an. Le gigantisme des unités est aussi effrayant que leur coût et la consommation d’énergie nécessaire pour aspirer les quantités stratosphériques d’air à filtrer.

En supposant qu’elles puissent être utilisées à des échelles suffisantes, ces technologies sont-elles économiques ? Le CO2 peut-il être récupéré ? Pourrait-on assister à une multiplication de ce type d’unités si elles s’avéraient suffisamment efficaces ?

Dans la mesure où la teneur en CO2 des fumées peut être très variable, le coût du CSC varie selon les industries concernées. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le coût d’une tonne de CO2 séquestrée varie de 50 à 120 € avec une moyenne autour de 100 €. Le marché européen du carbone, qui avait presque atteint 100 €/tonne en 2023, s’est aujourd’hui fortement déprécié (moins de 60 €/tonne en mars 2024). Ces incertitudes représentent un obstacle majeur aux investissements qui ne peuvent s’avérer durables que si la tonne de carbone reste bien au-dessus de 100 €. Il n’est donc pas surprenant que les projets se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main.

La valorisation du CO2 est en effet une des solutions envisagées pour améliorer la rentabilité. Hormis son utilisation massive pour gazéifier les eaux minérales, peu de gens savent que le café est décaféiné en le passant… sur un lit de CO2 supercritique. Le CO2 est également utilisé dans l’industrie pétrolière pour améliorer la récupération du pétrole mais c’est surtout l’ingrédient de base des hydrocarbures de synthèse. En le combinant avec l’hydrogène, on peut facilement produire du gaz mais aussi des carburants de synthèse qui constitueront la base des futurs carburants aviation bas carbone. Loin d’être un déchet, le CO2 pourrait être un ingrédient majeur de la transition.

En revanche, le coût du DAC (entre 150 et 400 €/tonne avec une médiane autour de 250 €) est aujourd’hui prohibitif. A moins d’être massivement subventionné par les Etats, tant que la tonne de carbone reste à son niveau actuel elle stagnera au niveau de la démonstration et du projet pilote.

D’autres innovations pourraient-elles voir le jour ?

Mines Paris Tech, la filiale Cryo Pur de la Française de l’Energie a développé une méthode très originale de captage physique du CO2 par « anti-sublimation ». Elle consiste à extraire le CO2 contenu dans le biogaz (mélange de méthane et de dioxyde de carbone), dans les fumées ou encore éventuellement dans l’air ambiant en faisant passer ce CO2 de l’état gazeux directement à l’état solide. d’où l’expression anti-sublimation. La solidification du CO2 nécessite une température de -120°C. Le CO2 solide récupéré est liquéfié et peut être directement valorisé. À suivre !

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT 26 avions et 5 navires militaires chinois détectés près de l’île