« L’inceste, il faut en parler partout, tout le temps pour que ça s’arrête »

« L’inceste, il faut en parler partout, tout le temps pour que ça s’arrête »
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« ÔVous ne vous connaissez pas ? » Un vendredi de mars. Il est 10 heures et Montreuil se réveille. Dans un petit bar, des rires, des débats agités et les gémissements de la machine à café. La voix de Mai Lan Chapiron se fraye un chemin dans ce brouhaha. Et frappe. « Nous nous connaîtrons alors. » Comme pour briser la distance polie qui ne permettrait pas de se dire les choses, de dire « vrai ».

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«J’ai besoin de la vérité. » Cette quête, Mai Lan Chapiron a commencé quelques années plus tôt. Même si certains l’ont connue pour ses succès musicaux, l’artiste est aujourd’hui l’une des principales figures de la lutte contre l’inceste en France et réalise des albums de prévention destinés aux jeunes. Début mars, l’auteure et aquarelliste sort son deuxième livre, C’est MON corps ! publié par La Martinière jeunesse. « Un album ludique, coloré et pop » qui permet aux enfants de connaître et de protéger leurs parties intimes. Le succès fut immédiat : rupture de stock en trois jours.

« C’est assez fou ce qui se passe », dit-elle avec un sourire aussi grand que celui des personnages qu’elle a dessinés. Depuis la publication du livre, Mai Lan a reçu de nombreux remerciements sur les réseaux sociaux. Des parents « soulagés », d’autres qui disent que « leur enfant demande le livre tous les matins », d’autres encore qui partagent des stories sur Instagram incitant leurs camarades de classe à « acheter le livre ».

Comment expliquer cet engouement ? « Je pense qu’il faut savoir dire les choses aux enfants. Je voulais envoyer un message direct et clair, explique-t-elle. Un livre « 100 % sûr », qui ne met pas les adultes en difficulté et permet d’expliquer la notion de consentement, simplement. Un livre « détente », avec un brin d’humour. » Un succès retentissant donc auquel Mai Lan Chapiron ne s’attendait pas. Pas plus que son tournant littéraire et jeunesse.

Ne pas être informé m’a laissé dans le brouillard pendant tant d’années. Tant d’années sans savoir ce qui s’est passé, si j’avais le droit de le dire, si j’avais le droit de me sentir mal.

L’année du “Loup”,nécessité vitale »

2021. Mai Lan est au sommet de sa carrière. Deux albums et trois EP remarqués par la critique, des collaborations avec M83 ou Oxmo Puccino, une tournée internationale… Puis sort « Le Loup », une « comptine » qui s’impose comme « une nécessité vitale ». «Je n’avais pas du tout prévu cela», décrit-elle. C’est mon inconscient qui a parlé. » Le point de départ d’un projet de prévention, composé d’une vidéo, d’un album illustré et d’un livret d’accompagnement… Tout lève le tabou sur l’inceste. Et permet à l’artiste de sortir du silence aussi.

Car l’histoire de Miette, l’héroïne de son livre, est en partie inspirée de la sienne. «Je me remets à la place de cet enfant», explique-t-elle. J’avais envie de retranscrire sa vérité, ce qu’elle pouvait ressentir. Ce sentiment d’insécurité que l’on peut ressentir chez soi. »

Née en 1982, Mai Lan Chapiron a grandi au 20e quartier de Paris dans une maison très artistique – père peintre, frère futur cinéaste. Elle deviendra elle aussi styliste, musicienne, compositrice, chanteuse, aquarelliste, écrivaine. La petite fille passe ses journées à dessiner et à jouer du piano dans une famille « grande », « très unie », « très unie ». Cependant, l’enfance se termine à l’âge de 7 ans. « Le Loup » est son grand-père maternel.

Dans cette famille, avec « une grande pudeur », l’enfant affirme que « tout va bien ». Mais « une lourdeur », « un sentiment de décalage », persiste. « Quelque chose qui ne permet pas de profiter du moment présent », explique-t-elle pensivement. Un obstacle à l’être. » A 13 ans, elle reprend courage : « J’essaye d’en parler à ma mère. Elle répond : « Moi aussi ». Elle aussi est donc victime de cet homme. » Et ses paroles s’éteignent aussitôt. L’adolescente n’ose plus en parler, de peur que cela « détruise la famille ».

Quinze ans plus tard, le sujet de l’inceste est à nouveau évoqué dans les foyers. Mai Lan Chapiron avait alors 28 ans. « C’est ma mère qui l’a exprimé à la famille », se souvient-elle. C’est elle qui parlait. » Commence alors un travail pour « rassembler tous les morceaux épars d’elle-même ».

Ce long voyage se concrétise donc, 11 ans plus tard, par l’outil de prévention « Le Loup ». Une manière, pour l’aquarelliste, d’inciter les victimes à prévenir les aînés. Et aussi pour éviter que son histoire ne se répète. « Ne pas avoir été informée m’a laissée dans le brouillard pendant tant d’années », regrette-t-elle. Tant d’années sans savoir ce qui s’est passé, si j’avais le droit de le dire, si j’avais le droit de me sentir mal. Toutes ces choses qui, en plus de nous traumatiser en tant que victimes, peuvent nous rendre fous. »

Tout ce qu’il faut savoir sur l’inceste, un phénomène systémique

Si la prise de parole reste douloureuse et délicate en famille, parler publiquement de l’inceste semble d’autant plus vertigineux qu’elle déplace cette question de l’intime vers la société. «Je pensais qu’être fort, c’était garder tout pour soi», note Mai Lan Chapiron. En fait, c’est tout le contraire : parler me connecte au monde, me rend trois milliards de fois plus puissant. »

Puissante donc, à l’image de toutes les personnes qu’elle aime citer. Ceux qui ont témoigné lors du mouvement #MeTooInceste en 2021. Charlotte Pudlowski (Ou peut-être une nuit) qui, à travers le récit de sa mère, interroge la réduction au silence des victimes. Ou encore Camille Kouchner (La grande famille) qui dénonce les crimes de son beau-père Olivier Duhamel commis contre son frère jumeau.

Devenue l’une des porte-parole de la cause – Mai Lan Chapiron est l’égérie d’une campagne nationale contre l’inceste en 2021 –, elle reçoit désormais des témoignages partout où elle passe. « Presque tout le monde est victime », note-t-elle. Il ne s’agit pas d’exagérer mon propos : dès que je parle de mon projet, je me retrouve face à quelqu’un qui me dit « moi aussi », ou « ma mère aussi », ou « ma sœur aussi ». »

En cela, elle qualifie l’inceste de « systémique ». 6,7 millions de personnes sont en effet victimes d’agressions sexuelles ou de viols au sein de leur famille, soit 1 Français sur 10, selon un rapport du collectif Face à l’inceste. L’association constate que ce chiffre reste encore « largement sous-estimé » puisque « de nombreuses victimes sont encore dans le déni. Il y a aussi tous ceux qui se suicident et qui, du coup, ne témoigneront jamais.»

« L’inceste, il faut en parler partout et tout le temps pour que ça cesse », insiste Mai Lan Chapiron. Si aborder le sujet des violences sexuelles avec ses enfants peut effrayer plus d’un, « ce sont plutôt les adultes qui ont peur, pas les enfants », constate-t-elle. En effet, à ses yeux, lutter contre ce silence passe aussi par sensibiliser les jeunes – elle réalise ainsi des interventions auprès des élèves de 6 à 11 ans avec son association Mille Miettes. « Je ne peux m’empêcher de faire des parallèles avec moi-même. L’enfant victime va lui parler immédiatement, dit-elle. Savoir que ces dizaines d’étudiants auront été informés peut paraître minime, mais j’ai le sentiment d’un devoir accompli. »

Si toutes ces actions peuvent être libératrices, elles n’apaisent pas Mai Lan Chapiron. Au contraire. « Ma colère grandit, mais c’est une colère très calme, permanente, qui me pousse à réfléchir à la manière dont je peux aider », note-t-elle. Colère ébranlée par le démantèlement de la première Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants (Ciivise) – « J’étais démoralisée. » Mais une colère collective, impétueuse.

Une colère partagée par Judith Godrèche et auparavant par Adèle Haenel, lorsqu’elles dénonçaient l’influence de Benoît Jacquot et Christophe Ruggia. Une colère qui pousse Mai Lan Chapiron à saisir tous les moyens possibles – ministères, institutions, associations – pour qu’une « véritable politique de protection de l’enfance soit mise en place ».

L’artiste ne peut plus se détourner de ce combat. « Je lis tout ce qui passe, beaucoup d’essais féministes, et j’étudie beaucoup de rapports sur ces questions », explique-t-elle. A tel point que je n’arrive pas à terminer les romans que j’ai commencé ! » Elle-même n’imaginait pas être à ce point « absorbée par cette lutte ». Entre plusieurs conseils de lecture, Mai Lan confie, malicieusement : « Je pensais que « Le Loup allait être juste un projet et que j’allais retourner auprès de mes moutons. En fait, je crois que j’ai changé de mouton ! »

 
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