« Un Français consomme 85 kilos de viande par an, soit deux fois plus que la moyenne mondiale »

« Un Français consomme 85 kilos de viande par an, soit deux fois plus que la moyenne mondiale »
Descriptive text here

Après « Carnage » en 2020, voici « Comment l’humanité se mange » où vous écrivez que « la viande dévore la planète »…

J’utilise un langage grossier et radical, parce que je parle de réalités que je ne veux pas édulcorer. Mais tout ce que j’écris est sourcé, basé sur des études scientifiques, je donne les références. L’objectif est de mettre en lumière l’impact écologique colossal de la consommation de viande. Le public ne comprend pas toutes les conséquences de nos pratiques alimentaires, d’élevage et de pêche.

Quels sont-ils ?

Ces activités ont un impact aussi important que les énergies fossiles sur le climat. Les mouvements écologistes se sont beaucoup intéressés, à juste titre, à la question énergétique et ont quelque peu négligé une autre bombe climatique : l’impact de cette consommation sur l’habitabilité de la planète. Elle se mesure à travers les émissions de gaz à effet de serre, la perte de biodiversité liée à la déforestation, l’utilisation des terres pour l’élevage et les pâturages. Les prairies et les cultures nécessaires à l’alimentation du bétail représentent 30 % de la superficie du territoire. C’est l’équivalent de la surface des Amériques. Cet espace est dédié à l’élevage, même si cette nourriture n’est pas essentielle à notre santé.

Vous prônez le 100% végétal, mais n’est-il pas lui-même produit dans des conditions souvent néfastes à la biodiversité ?

Des travaux scientifiques montrent que les protéines animales provenant de la viande, du lait et du poisson peuvent être remplacées par des protéines végétales. Cela couvrirait tous les besoins nutritionnels et aurait un impact positif sur la planète. L’impact des cultures végétales n’est pas aussi fort que celui de l’élevage, qui représente 14,5 à 18 % des émissions de gaz à effet de serre, soit trois fois plus que le trafic aérien. Il faut également prendre en compte le protoxyde d’azote et le méthane, liés aux déjections des ruminants. Le premier est 250 fois plus réchauffant que le CO2 sur vingt-cinq ans, la seconde 80 fois plus. Ces gaz contribuent massivement au réchauffement climatique. En les supprimant, nous serions à mi-chemin de l’objectif de 1,5° de réchauffement à ne pas dépasser.

Sans aller jusqu’à l’éliminer, une réduction de l’alimentation carnée ne suffirait-elle pas ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on assiste à une production exponentielle de protéines carnées, dépassant largement nos besoins, avec des conséquences environnementales majeures. Elles sont également liées à la santé, les zoonoses se développant du fait de la proximité des élevages avec la faune sauvage. On le sait dans le Sud-Ouest, avec des épizooties dans les élevages de canards. La question des carences liées à la suppression du régime carné ne se pose pas, car en moyenne nous consommons trop de protéines par rapport à nos besoins. Je suis abolitionniste, pour l’abandon total de l’exploitation animale moralement indéfendable et écologiquement suicidaire. La science, de son côté, appelle à une réduction drastique, jusqu’à 90 % d’ici 2050, pour respecter les limites planétaires et garantir l’habitabilité de la planète.

Dans certains pays, des populations entières ont besoin de pêche pour vivre…

Premièrement, l’idée de réduire drastiquement la consommation de poisson vise justement à permettre à ceux qui en ont un besoin vital d’avoir accès à une « ressource » vitale. Quoi qu’il en soit, le déclin sera progressif et imposé par l’inévitable épuisement des populations de poissons.

En faites-vous aussi une question d’éthique ?

Chaque année, 80 milliards d’animaux sont tués pour se nourrir. Qu’est-ce qui justifie un tel massacre d’animaux dont on sait désormais qu’ils souffrent ? Ce sont des mammifères, ce sont nos cousins, il faut se poser la question du prix à payer pour des besoins qui ne sont pas essentiels.

Que pensez-vous du plaisir de manger de la viande ou du poisson, si important pour beaucoup d’entre nous ?

Il y a beaucoup de résistances car la consommation de viande est très identitaire, elle fait partie de la gastronomie, de l’art de vivre à la française, de la sociabilité autour d’un bon repas. Mais tout cela n’est pas rationnel. Un Français consomme 85 kilos de viande par an, soit deux fois plus que la moyenne mondiale. Il y a une forme de folie et de déni, compte tenu des dégâts que cela provoque sur la planète et sur la santé. C’est moralement injustifiable et écologiquement insoutenable. La viande fait partie d’une identité, mais rien n’empêche une identité d’évoluer.

Vous évoquez également le poids des lobbys…

Les agences internationales de santé exhortent les gouvernements à réduire cette consommation, mais on constate une résistance des entreprises et un lobbying très fort de la part des fabricants. Le système est verrouillé. On l’a vu en France lors de la crise agricole : le gouvernement a cédé, y compris sur des choix absurdes comme l’extension de l’agriculture intensive. Il a également arrêté les plans de réduction du cheptel préconisés par l’Ademe. [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, NDLR], a bloqué les alternatives à base de plantes qui voulaient utiliser des appellations comme steak à base de plantes. Tout est fait pour préserver le statu quo. L’élevage est très subventionné, et c’est aussi le métier où il y a le plus de suicides, on marche sur la tête.

N’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ?

Nous sommes dans une impasse mondiale dont nous ne pouvons mesurer les effets. Le but de mon livre est de sensibiliser à cela. Je fais une analogie entre les énergies fossiles, le tabac et la viande. Ces industries ont la même logique de fabriquer le doute, de distiller des mensonges, pour maintenir leurs intérêts économiques. Je suis régulièrement confronté à des réactions hostiles sur les réseaux sociaux. C’est un sujet sensible, certains sont extraordinairement attachés à la viande, beaucoup ne réalisent pas à quel point elle est néfaste pour notre avenir collectif. Ils caricaturent les alternatives.

« Comment l’humanité mange de la viande, le réel impact du régime carné », par Jean-Marc Gancille, éd. Rue de l’échiquier. Du même auteur : « Ne plus se mentir, un petit exercice de lucidité en période d’effondrement écologique » (2019), « Carnage, pour en finir avec l’anthropocentrisme » (2020).

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Moins connue que la Toscane et les Pouilles, cette région d’Italie et ses villages regorgent de merveilles naturelles et culturelles
NEXT Appel urgent à l’aide – Mozambique